Transfert de siège social à l’étranger : quand le service des décision anticipées contredit l’administration fiscale

Il est relativement fréquent qu’une société souhaite transférer son siège social à l’étranger. La question des conséquences fiscales de cette opération, tant dans le chef de la société elle-même que de celui de ses actionnaires, mérite un intérêt particulier.

Depuis quelques années, les services centraux de l’administration fiscale considèrent que ce transfert de siège vers l’étranger, sans maintien d’un établissement stable en Belgique, donne lieu à un dividende passible du précompte mobilier dans le chef des actionnaires.

Le transfert du siège d’une société belge vers l’étranger est régi par le Code des Sociétés et Associations, lequel traite de la procédure de « transformation transfrontalière ». Une fois le siège transféré, la société, désormais étrangère, sera soumise au droit des sociétés local.

En pareil cas, le transfert de siège s’opère en continuité juridique (i.e. la société conserve sa personnalité juridique et est gouvernée par le droit des sociétés local) et comptable (i.e. la comptabilité est reprise telle quelle à l’étranger). Il en résulte que la situation patrimoniale de la société n’est pas modifiée et ses actifs se retrouvent dans la nouvelle comptabilité étrangère à la même valeur que celle qu’ils avaient dans les comptes de la société belge au moment du transfert de siège.

Cette opération de transfert de siège, emporte des conséquences fiscales et ce, tant dans le chef de la société (I.) que dans celui de ses actionnaires (II.).


Conséquences fiscales dans le chef de la société

I/. Dans le chef de la société, le transfert est considéré comme étant réalisé en discontinuité et dès lors sera, en principe, assimilé par le truchement d’une fiction fiscale, à une liquidation pour les besoins de l’impôt de sociétés.

Partant, en principe, les plus-values latentes sur les actifs de la société émigrante seront soumises à l’impôt des sociétésexit tax »).

En pratique, le frottement fiscal peut donc être plus ou moins important. En effet, dans le cadre d’une société émigrante opérationnelle, les plus-values latentes peuvent s’avérer importantes et partant la charge fiscale à supporter amère, alors qu’en revanche dans le chef de société émigrante jouant un rôle de holding, les plus-values latentes sur les actions seront, sous réserve du respect de certaines conditions, exonérées.

Une fois établie dans l’Etat de destination, la société émigrante pourra, en principe, réévaluer ses actifs à leur valeur réelle pour déterminer les plus-values ultérieures (« step up »).

Force est de constater que ceci conduit à une asymétrie, potentiellement considérable, entre le bilan comptable (ayant bénéficié du principe de continuité) et le bilan fiscal (ayant fait l’objet d’un step up).

Conséquences fiscales dans le chef de ses actionnaires

II/. Dans le chef des actionnaires, il nous semble pouvoir être considéré que ceux-ci ne subissent pas d’imposition. Toutefois, une divergence de position existe actuellement entre l’administration fiscale et le Service des Décisions Anticipées (« SDA ») sur cette question essentielle.

L’administration se fonde sur la fiction légale assimilant le transfert de siège à une liquidation pour considérer qu’un dividende est attribué aux actionnaires et ce en vertu de l’article 18 al. 1 2° ter CIR/92 traitant des dividendes et ne visant qu’uniquement la situation des liquidations classiques (et pas les liquidations assimilées, tel le transfert de siège).

En revanche, le SDA considère et il l’a encore rappelé récemment[1], que l’émigration d’une société belge ne donne en principe pas lieu à la perception d’un dividende imposable dans le chef de ses actionnaires, à tout le moins lorsque ce transfert est réalisé sous le bénéfice du régime de continuité juridique et comptable.

Peu importe qu’une fiction fiscale assimile le transfert de siège à une liquidation pour les besoins de l’impôt des sociétés puisque la notion de dividende ne vise qu’uniquement les sommes réparties en cas de liquidation, lors de laquelle, le cas échéant, les actionnaires s’enrichissent et de manière corrélative, la société s’appauvrit. Or, en cas de transfert de siège, on perçoit mal l’enrichissement dans le chef de l’actionnaire et partant, un élément fondamental de la notion de dividende fait défaut.

De ce fait, il parait inconcevable de traiter de manière similaire la liquidation classique d’une société susceptible de conduire à l’attribution d’un dividende à ses actionnaires et une liquidation assimilée, comme dans le cas d’un transfert de siège, laquelle ne conduit pas à l’attribution d’un tel dividende.

Les cours et tribunaux ne se sont encore que très peu prononcés sur cette question mais, dans un jugement récent[2], la position tenue par l’administration fiscale s’est vue rembarrer. Le tribunal a, à raison selon nous, confirmé que le transfert de siège ne donne pas lieu à un dividende imposable dans le chef des actionnaires. Cette décision s’est néanmoins vue frappée d’appel et nous attendons avec impatience l’arrêt qui sera rendu à cet égard, même si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que le jugement soit confirmé.

Cette dichotomie entre la position de l’administration centrale et celle du SDA met, de manière regrettable, à mal la sécurité juridique que tout contribuable peut espérer.

Il est donc vivement recommandable à toute société qui souhaite transférer son siège à l’étranger, de faire avaliser l’opération par le Service des Décisions Anticipées et ce afin d’obtenir la confirmation que l’opération n’engendra pas de dividende imposable dans le chef des actionnaires.


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[1] Décision anticipée n° 2023.0435 du 25 juillet 2023.

[2] Trib. P.I. Brabant-Wallon, 3 février 2023, RG n°21/96/A

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