• FR
  • NL
  • EN

Taxation des plus-values sur actions, earn-out et abus fiscal. La chronique.

1. Introduction

La taxation des plus-values sur actions réalisées par des personnes physiques constitue, depuis de nombreuses années, un terrain de tension récurrent entre les contribuables et l’administration fiscale belge.

Si le principe de non-imposition des plus-values relevant de la gestion normale du patrimoine privé demeure l’un des fondements historiques de l’impôt des personnes physiques, son application pratique fait l’objet d’une interprétation de plus en plus restrictive, en particulier dans le contexte des transmissions d’entreprises.

Les articles 90, 1° et surtout 90, 9° du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92) sont aujourd’hui mobilisés de manière privilégiée afin de soumettre à l’impôt des plus-values sur actions que l’administration estime réalisées en dehors de la gestion normale du patrimoine privé.

À cette problématique s’ajoutent deux sources importantes de contentieux : d’une part, la qualification fiscale des mécanismes d’earn-out lorsque le cédant demeure à la tête de l’entreprise après la cession et, d’autre part, les montages dans lesquels tout ou partie du prix de cession est financé par une remontée de dividendes, fréquemment analysés sous l’angle de l’abus fiscal.

Et la future taxation des plus-values sur actifs financiers ne changera rien à la situation, puisqu’elle institue une taxation généralisée des opérations relevant de la gestion normale d’un patrimoine privé sans rien supprimer.

En d’autres termes, d’une part elle s’ajoute à ce qui existe déjà, et d’autre part, en examinant les futures opérations de cession d’actions, elle pourra toujours tenter de taxer des opérations de cession d’actions sur les bases qui sont détaillées ci-après, et elle le fera certainement, puisque la future taxation des plus-values sur actifs financiers lui permettra d’identifier de manière systématique les opérations de cession.

2. Le cadre légal : articles 90, 1° et 90, 9° CIR 92

2.1. L’article 90, 1° CIR 92

L’article 90, 1° CIR 92 vise les bénéfices ou profits provenant d’opérations ou de prestations réalisées en dehors de toute activité professionnelle habituelle, notamment lorsque ces opérations présentent un caractère spéculatif.

Historiquement, cette disposition a constitué le principal fondement de la taxation de certaines plus-values sur actions lorsque le comportement du contribuable révélait une intention spéculative manifeste.

La jurisprudence récente tend toutefois à réserver l’application de cette disposition à des hypothèses relativement marginales.

En pratique, l’administration fiscale privilégie désormais l’article 90, 9° CIR 92, jugé plus adapté pour appréhender les cessions d’actions qui excèdent, selon elle, le cadre d’une gestion normale du patrimoine privé.

2.2. L’article 90, 9° CIR 92 et la notion de gestion normale

L’article 90, 9° CIR 92 permet de taxer les plus-values sur actions lorsque celles-ci sont réalisées en dehors de la gestion normale du patrimoine privé du contribuable.

Le législateur n’a volontairement pas défini cette notion, laissant à la jurisprudence le soin d’en préciser les contours.

Les juridictions ont progressivement dégagé une série de critères d’appréciation, parmi lesquels figurent notamment : la durée de détention des actions, le rôle actif du cédant dans la société, le caractère structuré ou sophistiqué de l’opération, la répétition d’opérations similaires, ainsi que l’existence d’une préparation active de la cession.

Aucun de ces critères n’est toutefois déterminant en soi, l’appréciation devant être globale et casuistique.

3. Jurisprudence récente relative à l’article 90, 9° CIR 92

La jurisprudence des dix dernières années a joué un rôle central dans la délimitation du champ d’application de l’article 90, 9° CIR 92 et dans la protection, relative, des vendeurs d’actions contre une application automatique de la taxation.

3.1. Cour de cassation, 30 janvier 2015

Dans cet arrêt de principe, la Cour de cassation rappelle que la notion de gestion normale du patrimoine privé doit être appréciée in concreto, sur la base du comportement global du contribuable.

La Cour précise qu’une plus-value importante, pas plus que l’implication active du cédant dans la société, ne suffit à elle seule à justifier une taxation sur la base de l’article 90, 9° CIR 92.

Cet arrêt sanctionne toute approche purement quantitative et impose à l’administration fiscale de démontrer concrètement en quoi l’opération excède ce qu’un investisseur privé normalement prudent et avisé aurait accompli.

3.2. Cour d’appel de Gand, 20 juin 2017

La cour d’appel de Gand a admis la taxation d’une plus-value sur actions sur la base de l’article 90, 9° CIR 92 dans une affaire caractérisée par la création, le développement et la revente répétée de sociétés.

La cour a attaché une importance particulière à la répétition d’opérations similaires et à l’existence d’une véritable stratégie de valorisation suivie de cession, assimilable à une activité quasi professionnelle.

3.3. Cour d’appel d’Anvers, 24 avril 2018

À l’inverse, la cour d’appel d’Anvers a rappelé que la structuration juridique et financière préalable à une cession n’est pas en soi constitutive d’une gestion anormale du patrimoine privé.

Le recours à des instruments juridiques courants, tels que des holdings ou des conventions d’actionnaires, peut s’inscrire dans une logique normale de protection et de valorisation de l’investissement.

3.4. Cour de cassation, 23 novembre 2018

La Cour de cassation confirme que la charge de la preuve de l’existence d’une gestion anormale du patrimoine privé repose sur l’administration fiscale.

Cette preuve ne peut résulter de simples présomptions générales, mais doit être fondée sur des éléments concrets et individualisés propres au contribuable concerné.

4. Les earn-out : complément de prix ou rémunération de dirigeant ?

4.1. Mécanisme de l’earn-out

L’earn-out constitue un mécanisme de détermination différée du prix de cession, par lequel une partie du prix est conditionnée aux résultats futurs de la société cédée.

Ce mécanisme est fréquemment utilisé dans les opérations de transmission de PME, en particulier lorsque le cédant demeure impliqué dans la gestion après la cession.

4.2. Risque de requalification en rémunération

Lorsque le cédant conserve un mandat de dirigeant et que le versement de l’earn-out dépend directement de sa performance future, l’administration fiscale tend à requalifier tout ou partie du complément de prix en rémunération de dirigeant d’entreprise au sens de l’article 32 CIR 92.

La cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 8 mai 2019, a ainsi requalifié un earn-out en rémunération en relevant que le complément de prix dépendait quasi exclusivement des prestations futures du cédant, resté administrateur délégué, et qu’il ne comportait qu’un aléa économique très limité.

À l’inverse, la cour d’appel de Liège, dans un arrêt du 12 février 2021, a refusé une telle requalification en constatant que l’earn-out était principalement lié à des facteurs économiques indépendants de la seule action du cédant et qu’un aléa réel subsistait.

4.3. Conséquences fiscales et sociales

La requalification d’un earn-out en rémunération entraîne une imposition progressive à l’impôt des personnes physiques ainsi que l’assujettissement aux cotisations sociales, ce qui modifie substantiellement la charge fiscale pesant sur le vendeur d’actions.

5. Paiement du prix par remontée de dividendes et abus fiscal

5.1. Analyse sous l’angle de l’article 344, §1er CIR 92

Les montages dans lesquels la société acquéreuse finance tout ou partie du prix d’acquisition des actions au moyen de dividendes remontés par la société cible sont régulièrement analysés par l’administration sous l’angle de l’abus fiscal.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mars 2017, rappelle que l’abus fiscal suppose la réunion de deux éléments : l’obtention d’un avantage fiscal contraire aux objectifs du législateur et l’absence de motifs autres que fiscaux justifiant le choix du contribuable.

La simple optimisation fiscale ne suffit pas à caractériser un abus.

La cour d’appel de Bruxelles, dans un arrêt du 26 septembre 2020, a toutefois admis l’existence d’un abus fiscal dans une structure où les dividendes avaient été organisés de manière artificielle afin de permettre le paiement du prix au vendeur sans réelle mise en risque de l’acquéreur.

5.2. Enseignements tirés de la pratique du SDA

Les décisions publiées par le Service des décisions anticipées montrent une approche pragmatique mais exigeante : les structures impliquant une remontée de dividendes peuvent être admises lorsque des motifs économiques sérieux sont démontrés et que l’acquéreur assume un risque réel et effectif.

6. Enseignements pratiques pour les vendeurs d’actions

L’analyse combinée de la jurisprudence et de la pratique administrative met en évidence une insécurité juridique persistante pour les vendeurs d’actions.

Les lignes de fracture se situent principalement au niveau de la qualification de la gestion normale du patrimoine privé, de la structuration des mécanismes d’earn-out et du financement du prix de cession par dividendes.

Une attention particulière doit être portée à la cohérence économique des opérations, à la documentation des motifs non fiscaux et à la réalité de l’aléa supporté par les parties.

7. Conclusion

La taxation des plus-values sur actions en Belgique demeure un domaine marqué par une forte casuistique et par une lecture parfois extensive des dispositions légales par l’administration fiscale.

Les développements récents en matière d’earn-out et d’abus fiscal confirment la nécessité, pour les vendeurs et leurs conseillers, d’anticiper les risques de requalification et de structurer les opérations sur des fondements économiques solides.

La jurisprudence des dix dernières années, si elle n’offre pas toujours une sécurité juridique absolue, permet néanmoins de dégager des principes directeurs utiles à la pratique des transmissions d’entreprises.

Quoi qu’il en soit, l’administration fiscale veille au grain, les contrôles sont nombreux, alors faites-vous conseiller.

Et joyeux Noël à toutes et tous.

Mots clés