
À l’approche de la fin de l’année, une même question revient avec insistance dans les cabinets : faut-il encore distribuer un acompte sur dividende avant le 31 décembre pour sécuriser le taux de 15 % du précompte mobilier ?
Les experts-comptables sont de plus en plus sollicités par leurs clients, inquiets des annonces budgétaires du gouvernement et de la hausse annoncée du taux effectif à 18 % dans le cadre du régime VVPRbis et des réserves de liquidation.
Les interrogations sont d’autant plus légitimes que le cadre juridique n’est pas encore stabilisé : la mesure figure dans un accord budgétaire, mais aucun texte légal n’est encore publié, laissant subsister une zone d’incertitude sur la date exacte d’entrée en vigueur et sur les règles transitoires.
Le régime VVPRbis permet, sous conditions strictes, de bénéficier d’un précompte mobilier réduit de 15 % sur les dividendes distribués par les PME, à partir du troisième exercice comptable suivant l’apport en capital.
L’accord budgétaire du 24 novembre 2025 prévoit toutefois une augmentation de la charge fiscale globale à 18 %, tant pour le VVPRbis que pour les réserves de liquidation. À ce stade, plusieurs éléments doivent être clairement distingués.
D’une part, la volonté politique est clairement affichée : aligner et renchérir la fiscalité des distributions.
D’autre part, la loi n’est pas encore adoptée, et les probabilités d’une entrée en vigueur avant le 31 décembre 2025 sont, selon les informations disponibles, très faibles.
En pratique, tant que la loi n’est pas publiée au Moniteur belge, le taux de 15 % reste applicable, pour autant que toutes les conditions du régime soient remplies.
La question se pose avec une acuité particulière pour les acomptes sur dividendes, c’est-à-dire les distributions décidées par l’organe d’administration sur le bénéfice de l’exercice en cours.
Sur le plan juridique et fiscal, plusieurs principes doivent être rappelés.
D’abord, le régime VVPRbis n’exclut pas les acomptes sur dividendes. Un acompte peut bénéficier du taux réduit, à condition que :
Ensuite, le fait générateur déterminant pour le taux du précompte mobilier est la date de mise en paiement, et non la date de clôture de l’exercice ni celle de la décision de l’organe d’administration.
Autrement dit, un acompte mis en paiement avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle devrait, en principe, rester soumis au taux de 15 %.
C’est précisément ce point qui explique le regain d’intérêt pour les distributions avant le 31 décembre.
Toutefois, réduire la réflexion à une simple comparaison entre 15 % et 18 % serait une erreur. Les experts-comptables le savent : une distribution de dividendes n’est jamais fiscalement neutre et peut avoir des effets collatéraux importants.
Avant toute décision, plusieurs impacts doivent être analysés de manière globale.
Un dividende réduit mécaniquement les fonds propres. Cette diminution peut avoir des conséquences sur :
Pour les sociétés présentant un compte courant créditeur important, une réduction des réserves peut accroître le risque de requalification des intérêts en dividendes, avec à la clé une non-déductibilité à l’impôt des sociétés et une imposition plus lourde chez le bénéficiaire.
Un élément mérite une attention particulière et complète indispensablement l’analyse : la future taxation des plus-values sur actifs financiers, annoncée à partir du 1er janvier 2026.
Cette taxe viserait notamment les personnes physiques qui cèdent leur entreprise. Le mécanisme repose sur un principe clé : la valeur de référence des actions serait figée au 31 décembre 2025.
Or, toute distribution de dividendes avant cette date réduit les capitaux propres et, par conséquent, la valeur de la société à cette date de référence.
Le raisonnement est alors implacable :
Autrement dit, un gain immédiat via un dividende taxé à 15 % peut se transformer, à terme, en une charge fiscale accrue sur la plus-value.
Cet effet concerne principalement :
Enjeu | Avantage d’une distribution anticipée | Risque ou effet négatif |
Précompte mobilier | Sécurisation possible du taux de 15 % | Hausse à 18 % évitée à court terme |
Fonds propres | Liquidités personnelles immédiates | Affaiblissement de la structure financière |
Société financière | Aucun, a priori | Risque de bascule et perte du taux ISoc réduit |
Compte courant | Apurement partiel possible | Requalification future des intérêts |
Plus-value future | Aucun | Augmentation de la plus-value taxable en cas de cession |
Face à cette complexité croissante, le rôle de l’expert-comptable est plus que jamais central. Quelques lignes directrices peuvent être dégagées.
Il est essentiel, d’abord, de ne jamais raisonner uniquement en taux de précompte. La fiscalité des dividendes s’inscrit dans un ensemble plus large qui englobe la structure financière, la stratégie patrimoniale et les projets futurs du dirigeant.
Ensuite, une distinction claire doit être opérée entre :
Enfin, dans un contexte où la loi n’est pas encore votée, la prudence commande de :
Distribuer un acompte sur dividende avant le 31 décembre peut, dans certains cas, permettre de sécuriser un avantage fiscal réel.
Mais cette décision ne peut être prise isolément, ni dans l’urgence, ni sous la seule pression de l’annonce d’un taux plus élevé à venir.
Entre précompte mobilier, structure financière, requalification fiscale et future taxation des plus-values, l’arbitrage est devenu éminemment stratégique.
C’est précisément dans cette zone de complexité que l’expertise de l’expert-comptable prend tout son sens: transformer une inquiétude fiscale en décision éclairée, cohérente et durable.