Economiste @ Institut pour un Développement Durable
« I like making deals – préferably big deals » Trump, 29-12-2014
Dans la nuit du 29 au 30 septembre 1938, les dirigeants de quatre pays – la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie – signent les fameux accords de Munich.
« Ces accords ont pour but de régler la crise des Sudètes mais indirectement scellent le sort de la Tchécoslovaquie en tant qu'État indépendant. Ils permettent à Hitler d'annexer les régions tchécoslovaques peuplées majoritairement d'Allemands ethniques. Les accords sont considérés comme ayant mis un terme à la Première république tchécoslovaque. La « Deuxième république tchécoslovaque» ne survivra que quelques mois avant son démembrement » explique Wikipédia.
Ce dernier point est important. En gros, les accords de Munich ont juste permis de gagner (un peu) de temps, mais sans même bien l'utiliser.
« En plus de ces accords, Chamberlain (le premier ministre Britannique) repart avec une résolution supplémentaire entre le Royaume-Uni et l'Allemagne engageant les parties à négocier de manière pacifique leurs différends futurs. Chamberlain brandit ce document à son arrivée à Londres, lors de l'accueil triomphal qui lui est fait ; il est même surnommé the peacemaker (faiseur de paix).
L'opinion publique, consciente qu'on vient de frôler un conflit majeur, est soulagée et reconnaissante de ces accords de paix, mais de nombreux commentateurs n'y voient qu’un compromis lâche et dilatoire : Winston Churchill écrit à David Lloyd George avant la conférence, « j’ai l’impression que nous allons devoir choisir pendant les prochaines semaines entre la guerre et le déshonneur, et j’ai assez peu de doute sur l’issue de ce choix" et l'historien William Manchester transforme cela après la guerre en "Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre." »
On ne peut s'empêcher de penser aux accords de Munich de 1938 après la conclusion du deal entre Trump et la présidente de la Commission européenne.
Le symbole d'abord : le "mâle alpha" a fait en sorte que les négociations se fassent sur son territoire. Les négociateurs européens sont allés très souvent à Washington ; Ursula von der Leyen s'est rendue, pour conclure (provisoirement) sur le bout de territoire de Trump en Europe, qui plus est situé dans un pays qui a tourné le dos à l'Europe. Quel symbole !
Cet accord déshonore tous ceux qui, au nom d'intérêts les plus divers, vont le défendre comme un moindre mal, soulagés, disent-ils, d'avoir échappé à pire. C'est là l'erreur stratégique et politique. Si on avait affaire à un dirigeant de parole, pourquoi pas, c'est un choix qui peut (éventuellement) se défendre. Mais ce n'est pas le cas.
Comment réagira-t-on si Trump, par exemple, conclut demain avec d'autres (y compris avec la Chine en cas de retournement stratégique – tout est possible) des accords qui prévoient des taux inférieurs à 15% ? Rappelons que le Royaume-Uni a été mieux traité que l'Europe continentale.
Que se passera-t-il si en 2027 Trump estime que les entreprises européennes n'ont pas investi assez ou l'Europe pas acheté assez de gaz américain ? Reniera-t-on l'accord si, après-demain (et cela peut l'être au sens littéral), Trump annonce des droits (plus) élevés sur les produits pharmaceutiques ?
Bien sûr que derrière le deal de Turnberry se cachent de nombreux autres enjeux, dont l’évolution du taux de change euro/dollar, le réarmement de l'Europe (en particulier les achats d’armements aux États-Unis) et le conflit russo-ukrainien. Tous enjeux où l'Europe est coincée ; non, s'est laissée enfermer.
J'ai longtemps pensé que la médiocrité largement partagée de la classe politique, son manque de ½ vision, son manque d'ambition et son manque de courage concernaient surtout les questions écologiques, dans la mesure où toute action dans ce domaine bute sur les modes de vie et les attentes supposées des consommateurs-citoyens. Mais non, en fait, cela s'applique aussi aux contraintes économiques (pour garantir à terme le maintien de notre niveau de vie il faut vouloir investir assez, même si c'est pour un temps au détriment de la consommation privée) et aux enjeux géo-stratégiques (lepremier objectif d'une entité politique qui entend défendre un modèle de société qui l'honore est de s'affranchir le plus possible de toute dépendance économique ou stratégique). Sur ce dernier point on a accepté de dépendre de marchés d’exportation qui se ferment, d'un parapluie armé américain qui se replie et de fournisseurs américains d’énergies fossiles qui jouent de notre addiction au carbone.
Deux ans après les accords de Munich, Chamberlain a été remplacé par Churchill, dans les circonstances dramatiques que l'on sait. Je me fous de savoir si demain c'est encore un.e conservateur.trice allemand qui dirigera la Commission, pour autant qu'il.elle ait la trempe de Churchill et s'appuie sur un parlement de coalition, qui devrait réunir ceux qui refusent tous les populismes et d'être seulement les porteurs d'eaux d'intérêts sectoriels. On paie aujourd'hui très cher l'action retardatrice des lobbies et l'inachèvement de l'Europe politique et militaire.
Les historiens conviennent pour dire que si on avait eu le courage d'utiliser à temps l'arme militaire– ou de menacer de le faire de manière crédible - on aurait pu contenir Hitler. L'Europe doit agir de même en matière commerciale. Et elle a de fameux atouts.