Projet de réforme fiscale : pourquoi le ministre Van Peteghem nous inquiète-t-il tellement ?

Le texte, aussi introductif soit-il, permet enfin aux contribuables de commencer à entrevoir la sauce à laquelle ils seront mangés. Une chronique de Sabrina Scarnà et Jérôme Terfve, avocats chez Tetra Law.

Soyons clairs, après tout ce qui a été dit sur ce projet de réforme et ce qu’il pourrait contenir ou ne pas contenir, le fait que le ministre soit sorti du bois constitue déjà un soulagement en soi. Le texte, aussi introductif soit-il, permet enfin aux contribuables de commencer à entrevoir la sauce à laquelle ils seront mangés.

Ce n’est évidemment pas sur une note de quelques pages que l’on juge de la qualité d’une réforme dans une matière aussi complexe. Il est également trop tôt pour calculer l’impact de la réforme sur des situations particulières.

On peut cependant déjà s’interroger sur la capacité de cette réforme à atteindre ses objectifs en l’état.


1.La baisse d’impôt sur le salaire est partiellement financée par une augmentation de la charge sur… le travail

L’objectif affiché est évidemment louable : baisser la charge sur les salaires et simplifier la structure de rémunération des salariés. Dans la réforme proposée, on trouve deux mesures phares :

  • La révision des tranches d'imposition qui permet d'assurer une meilleure progressivité de l'impôt (devenue quasiment inexistante en l'état actuel de notre droit) ;

  • La suppression d'une série d'avantages extra-légaux qui, depuis plusieurs années, sont largement utilisés par les employeurs pour tenter de réduire la tension existante entre le "net poche" de l'employé et le coût pour l'employeur.

Il n’aura échappé à personne que, dans le chef des employés concernés par ces avantages extra-légaux, la baisse d’impôt sera donc partiellement ou totalement compensée par la perte de ces avantages extra-légaux. Le niveau de vie de ces personnes ne sera dès lors pas ou peu amélioré par la réforme.

Ce que le texte ne dit pas, c’est qu’il existe un impact négatif caché sur le coût pour l’employeur. En effet, si les avantages extra-légaux en question bénéficient d’un régime fiscal favorable, ils bénéficient également de régimes spécifiques en ce qui concerne les cotisations sociales quand ils n’en sont pas tout simplement exonérés. Le fait de supprimer ces avantages aura nécessairement un impact sur le coût salarial pour l’employeur et limitera les possibilités d’offrir un "net poche" plus élevé à ses employés.


2.Comment le principe de sécurité juridique sera-t-il respecté ?

Comme pour toute réforme fiscale, il est nécessaire pour tout un chacun de revoir sa situation personnelle à l'aune du nouveau droit. Cependant, il est essentiel, pour conserver la confiance des contribuables et respecter le principe de sécurité juridique, que la réforme ne porte pas atteinte aux choix et aux décisions qui ont été pris par le passé en se fondant sur la législation en vigueur à l’époque et desquels les contribuables ne peuvent se défaire facilement.

L’exemple des pensions complémentaires cristallise les inquiétudes à ce sujet : de très nombreux contribuables ont souscrit à des engagements de pension sur la foi de ce qu’ils pourraient "toucher" ces capitaux à leur pension en bénéficiant d’un régime fiscal favorable. Rappelons que le régime fiscal du deuxième pilier a été voulu par le législateur pour encourager – fortement – le contribuable à cotiser, en sus des cotisations légales. Ceci afin de lui permettre d’atteindre un niveau de retraite qui lui permettra de pouvoir, a minima, faire face à ses dépenses et, au mieux, participer à la collectivité de par sa consommation. Le législateur a, par ailleurs, autorisé les citoyens à prélever des avances sur ces capitaux ou à mettre ces contrats en garantie pour financer des achats immobiliers. Il est donc essentiel que les contrats soient liquidés sous forme d’un capital qui sera versé à la pension.

Or, deux propositions risquent de mettre à mal le contribuable sur ces points. D'une part, le ministre annonce vouloir instaurer un plafond individuel dont on ne comprend pas très bien la portée alors qu'il existe un plafond lié au montant de la rémunération des personnes concernées (règle des 80 %). D'autre part, il souhaite éliminer "progressivement le traitement préférentiel d'un paiement en capital par rapport à un paiement en intérêts" (rentes), ce qui porte atteinte aux anticipations légitimes de contribuables qui ont souscrit à ces contrats, en étant, à l'époque, encouragés par le législateur.

Il est légitime de considérer que les contrats existants doivent rester soumis au droit actuel en ce compris les réserves restant à constituer. Or, la note ne dit rien à ce sujet.


3. La suppression d’un "enfer fiscal" ne doit pas se faire par la création d’un autre

Tout le monde s’accorde pour dire que la fiscalité sur le travail est trop élevée en Belgique. Le ministre opère donc un glissement de la fiscalité sur le travail vers une fiscalité du patrimoine (25 % sur les revenus, 15 % sur les plus-values).

Ce glissement ne peut cependant se faire à l’emporte-pièce et doit également tenir compte d’autres impôts qui frappent certains revenus ou certains actifs : l’instauration d’un impôt sur les plus-values mobilières s’accompagnerait logiquement d’une suppression de la taxe compte-titre et de la TOB.

La fiscalité immobilière reste, en revanche, beaucoup plus problématique et deux exemples suffisent à l’illustrer :

  • L'introduction d'une taxation des plus-values immobilières fait abstraction du fait que les mutations immobilières sont déjà très lourdement taxées en Belgique et ce, autant en droit d'enregistrement à l'occasion d'une vente qu'en droit de succession à l'occasion d'un décès. N'oublions pas que les droits d'enregistrement étant prélevés sur le prix de vente, un impôt serait donc prélevé sur l'impôt (à raison de la plus-value). Or, le ministre n'a pas le pouvoir de modifier ces impôts car ils sont prélevés par les Régions, et il ne semble pas envisager la possibilité de conclure un accord de coopération avec elles sur ce point ;

  • La taxation sur les loyers réels devrait logiquement s'accompagner d'une exonération des immeubles qui ne sont pas productifs de revenus (par exemple, les résidences secondaires qui ne sont pas données en location). Or, le ministre entend clairement imposer ces résidences secondaires. On semble donc considérer que celui qui a acquis et entretient une résidence secondaire serait implicitement plus riche que celui qui part quatre fois par an au Club Med, ce qui n'a aucun sens.

Il reste donc beaucoup de travail pour que cette réforme aboutisse et on ne peut qu’espérer que celle-ci fasse l’objet d’un véritable travail parlementaire pour en corriger les effets pervers. Malheureusement, cela n’a que rarement été le cas en matière fiscale ces dernières années. Les votes passés ont montré que les lois fiscales sont plus souvent adoptées en fin d’année et en urgence, ce qui serait d’autant plus regrettable pour une réforme de cette ampleur. Par ailleurs, il faut espérer que les tractations qui vont s’engager et l’exercice de discipline budgétaire ne viennent pas entacher l’apparente cohérence de la réforme y compris en ce qui concerne l’entrée en vigueur des différentes mesures.

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