Avec sa directive du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’application du droit (ci-après « la Directive ») , l’Europe s’attaque à la discrimination salariale entre hommes et femmes et impose des obligations en matière de transparence des rémunérations octroyées à partir de 2026.
Malgré la consécration du principe d’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes pour un même travail ou un travail de même valeur au niveau européen, son application est en effet jusqu’à présent restée entravée par un manque de transparence des systèmes de rémunération et un manque de sécurité juridique entourant la notion de travail de même valeur.
L’écart de rémunération entre les hommes et les femmes reste significatif en Europe, s’élevant à l’heure actuelle encore à 12,7% en 2021 et 2022 selon les chiffres produits par Eurostat et Statbel (écart salarial brut horaire moyen).
En Belgique, le principe d’égalité des rémunérations est consacré par la loi du 22 avril 2012 visant à lutter contre l’écart salarial entre hommes et femmes et ses arrêtés royaux et ministériels d’exécution (ci-après dénommés ensemble « la Loi »), avec l’objectif non seulement de s’attaquer à l’écart salarial en tant que tel mais d’en faire également un thème permanent de la concertation sociale en y associant les partenaires sociaux. Bien qu’étant inférieur à celui de la majorité des autres pays européens, l’écart salarial subsiste également en Belgique, s’élevant à 5% en 2021 et 2022 selon les chiffres produits par Eurostat et Statbel (écart salarial brut horaire moyen), porté à 8% par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, suite à une correction de l’écart en tenant compte de la durée du travail.
Afin de lutter contre la discrimination salariale persistante entre les hommes et les femmes, le Conseil de l’Europe a adopté la Directive, avec l’objectif de réduire les inégalités de rémunération tant dans le secteur privé que dans le secteur public et en amorçant son recadrage dès l’embauche, en renforçant le principe d’un salaire égal pour un même travail (ou un travail de même valeur) entre hommes et femmes.
Dès lors que la directive impose sa transposition en droit belge d’ici le 7 juin 2026 au plus tard et que les nouvelles obligations en matière de transparence porteront sur les rémunérations de l’année 2026, il est temps de s’y préparer dès 2025, en identifiant dès à présent les éventuels écarts de rémunération entre les hommes et les femmes occupant des postes identiques ou équivalents.
Après un rappel des obligations existant actuellement en Belgique, voici un aperçu des nouvelles obligations qui s’annoncent tant pour les entreprises du secteur privé que pour celles du secteur public.
La Loi impose depuis 2015 aux entreprises occupant habituellement en moyenne au moins 50 travailleurs[1] l’obligation d’établir un rapport d’analyse détaillée de la structure des rémunérations au sein de l’entreprise, en utilisant obligatoirement le formulaire complet ou le formulaire abrégé, selon que l’entreprise occupe en moyenne au moins 100 travailleurs ou au moins 50 travailleurs, disponibles sur le site du SPF ETCS.
Le rapport, qui doit être élaboré tous les deux ans et contient une analyse des données salariales des deux exercices comptables précédents, vise à évaluer si l’entreprise mène une politique de rémunération neutre sur le plan du genre.
L’entreprise occupant habituellement en moyenne au moins 50 travailleurs doit transmettre, tous les deux ans, le rapport d’analyse au CE ou à défaut à la DS, et ce dans les trois mois qui suivent la clôture de l’exercice comptable, soit en principe avant le 31 mars et au moins quinze jours avant la réunion organisée en vue de l’examen de son contenu.
Si l’examen fait apparaitre que la politique de rémunération de l’entreprise n’est pas neutre sur le plan du genre, l’employeur est tenu d’y aboutir en concertation avec la délégation du personnel, si nécessaire via l’établissement d’un plan d’action dans quel cas, le rapport d’analyse suivant devra comporter un volet sur l’état d’avancement du plan.
‼ Les obligations en matière de transparence ne seront dorénavant plus limitées aux entreprises occupant en moyenne au moins 50 travailleurs
Lors de l’embauche de nouveaux travailleurs, tout employeur devra dorénavant fournir, dans l’offre d’emploi ou avant l’entretien, des informations concrètes aux candidats quant à la rémunération initiale, ou la fourchette de celle-ci, pour le poste auquel ils postulent, afin de permettre des négociations salariales transparentes.
En revanche, les employeurs ne seront quant à eux plus autorisés à poser des questions aux candidats sur leurs antécédents salariaux.
Afin que le droit à l’égalité de rémunération pour un même travail ne soit pas compromis, les employeurs devront veiller à ce que leurs offres d’emploi et les dénominations de postes soient non sexistes et à ce que les processus de recrutement soient menés de façon non discriminatoire.
Outre la transparence imposée à l’embauche, la directive introduit également une obligation de transparence tout au long de l’emploi.
Les travailleurs devront à tout moment avoir accès aux critères – objectifs et non sexistes - de détermination de la rémunération, des niveaux de rémunération et de la progression de la rémunération. Cela ne signifie pas que les travailleurs occupant des postes équivalents devront nécessairement gagner la même chose, mais une différenciation ne sera possible que sur la base de critères objectifs et non sexistes, tels que la performance ou la compétence.
La Directive précise que les États membres peuvent exempter les employeurs comptant moins de 50 travailleurs de cette obligation. L’avenir nous dira si le législateur belge fera usage de cette possibilité.
À tout moment, les travailleurs et leurs représentants pourront demander de recevoir par écrit, dans un délai de deux mois, des informations sur leur rémunération individuelle et les rémunérations moyennes, ventilées par sexe, des travailleurs accomplissant le même travail ou un travail de même valeur, ainsi que sur les critères – objectifs et non sexistes - utilisés pour déterminer le salaire. Chaque travailleur pourra ainsi se situer dans sa propre catégorie, sans cependant connaître la rémunération d'un collègue en particulier.
Les employeurs devront en outre informer annuellement leurs travailleurs de ce droit à l’information.
Enfin, il ne pourra plus être exigé des travailleurs, notamment via des clauses contractuelles, de ne pas divulguer des informations sur leur propre rémunération.
Outre les obligations de transparence en matière de rémunération vis-à-vis des candidats à l’emploi et des travailleurs de l’entreprise, les obligations de transparence seront également alourdies en matière de communication de la structure de rémunération au sein de l’entreprise. Les employeurs devront communiquer des données relatives aux écarts de rémunération plus complètes et plus détaillées qu'aujourd'hui en Belgique.
Les entreprises occupant un certain nombre de travailleurs devront en effet établir périodiquement un rapport sur l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, lequel devra contenir une série d’informations spécifiques relatives aux rémunérations de l’année précédente, notamment quant à l’écart salarial entre hommes et femmes et de la proportion de travailleurs féminins et masculins qui perçoivent des éléments de salaire supplémentaires ou variables.
Ces rapports devront être communiqués à l’organisme de suivi créé ou désigné parmi les organismes et structures existants, qui sera notamment chargé de compiler et de publier ces rapports, afin de permettre une comparaison entre les employeurs, les secteurs et les régions du pays.
Nombre de travailleurs occupés par l’entreprise | Rapport écart salarial au plus tard | Périodicité |
250 travailleurs et plus | En 2027 (au plus tard le 07/06/2027) sur l’année 2026 | Chaque année |
150 à 249 travailleurs | En 2027 (au plus tard le 07/06/2027) sur l’année 2026 | Tous les 3 ans |
100 à 149 travailleurs | En 2031 (au plus tard le 07/06/2031) sur l’année 2030 | Tous les 3 ans |
Moins de 100 travailleurs | Volontaire |
La directive ne prévoit donc pas d’obligation de rédaction de rapport pour les entreprises de moins de 100 travailleurs, mais permet aux Etats-membres d’aller plus loin. Le seuil actuel en Belgique étant de 50 travailleurs, il est possible, voire probable, que ce seuil soit maintenu par le législateur belge.
Une partie du rapport devra être communiquée aux travailleurs et leurs représentants, et notamment les informations relatives à l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, par catégorie et par composante de rémunération (fixe, variable, complémentaire), qui pourront demander des éclaircissements, que les employeurs devront fournir dans un délai raisonnable.
S’il ressort du rapport qu’il existe des différences salariales entre les femmes et les hommes qui ne sont pas justifiées par des critères objectifs et non sexistes, les employeurs devront remédier à la situation dans un délai raisonnable et en étroite collaboration avec les représentants des travailleurs.
Au cas où les données communiquées dans le rapport précité révèlent un écart de rémunération de plus de 5 % dans une catégorie de travailleurs, que l'employeur ne peut justifier par des critères objectifs et non sexistes et auquel il ne peut remédier dans un délai de six mois, ce dernier devra procéder à une évaluation conjointe des fonctions et des rémunérations en collaboration avec les représentants des travailleurs et prendre les mesures nécessaires pour combler cet écart.
Cette évaluation conjointe vise à recenser, corriger et prévenir les différences de rémunération non justifiées entre les femmes et les hommes et devra contenir un certain nombre d’éléments spécifiques, parmi lesquels les mesures visant à remédier à ces différences de rémunération qui devront être mises en œuvre dans un délai raisonnable.
Cette évaluation devra être rendue accessible aux travailleurs et leurs représentants et être communiquée à l’organisme de suivi. Elle devra en outre être communiquée sur demande à l’inspection du travail et à l’organisme pour l’égalité de traitement.
Les entreprises qui comptent moins de 250 travailleurs recevront un soutien sous la forme d’une assistance technique et d’une formation aux employeurs et aux représentants des travailleurs concernés visant à faciliter le respect par ceux-ci des obligations consacrées par la directive.
Les associations, organisations, organismes pour l’égalité de traitement ou autres entités juridiques ayant un intérêt légitime à garantir l’égalité entre les femmes et les hommes pourront agir au nom ou à l’appui d’un travailleur présumé victime d’une violation des droits ou obligations relatifs au principe de l’égalité des rémunérations.
Tout travailleur ayant subi un dommage du fait d’une violation des droits ou obligations relatifs au principe de l’égalité des rémunérations aura le droit de prétendre à une indemnisation intégrale et effective du dommage subi.
Aucun montant maximal ne pourra être fixé pour cette indemnisation et elle devra comprendre notamment le recouvrement intégral des arriérés de salaire, des primes ou des paiements en nature qui y sont liés, la réparation des dommages immatériels tels que les opportunités manquées et le préjudice moral, ainsi que tout préjudice causé par d’autres facteurs pertinents dont peut notamment faire partie la discrimination intersectionnelle.
La directive introduit un partage de la charge de la preuve entre les employeurs et les travailleurs.
Lorsqu'un travailleur évoquera une discrimination salariale, il appartiendra désormais à l’employeur de prouver qu’il n’a pas enfreint les règles sur l’égalité de rémunération et la transparence des rémunérations. Concrètement, cela signifie que ce n’est pas le travailleur qui devra prouver qu’il est question de discrimination salariale, mais que c’est l’employeur qui devra apporter la preuve du contraire.
Le délai de prescription pour introduire un recours en matière d’égalité des rémunérations ne pourra commencer à courir avant que le plaignant n’ait pris connaissance de la violation ou qu’il puisse raisonnablement être supposé en avoir connaissance et ne pourra pas être inférieur à trois ans.
La Directive impose la mise en place de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. en cas de violation des droits et obligations relatifs au principe de l’égalité des rémunérations, avec l’objectif manifeste de rendre effectifs les droits et obligations relatifs au principe de l’égalité des rémunérations.
Les juridictions nationales ou autres autorités compétentes pourront également adresser des injonctions, voire infliger des astreintes, aux sociétés restant en défaut de respecter leurs obligations en matière d’égalité de rémunération et de prendre les mesures nécessaires afin de garantir l’égalité des rémunérations.
Les travailleurs et leurs représentants qui exerceront leurs droits en matière d’égalité des rémunérations ou ont agi en soutien d’une autre personne pour protéger ses droits seront protégés contre un licenciement ou tout autre traitement défavorable. En cas de licenciement d’un travailleur, qui (a) fait valoir ses droits en matière d’égalité de rémunération, il faudra être doublement prudent et s’assurer d’être en mesure de démontrer que les motifs de licenciement sont liés à la conduite ou à l’aptitude du travailleur ou encore aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise et totalement indépendants des prétentions du travailleur en matière de rémunération.
En tant qu’employeur, vous disposez en principe d’encore deux ans et demi pour vous conformer aux obligations alourdies en matière de transparence des rémunérations. Il s’agit cependant d’obligations conséquentes et il est judicieux de vous y préparer dès 2025, dès lors qu’il n’est pas impossible que le législateur belge ne les mette en application plus tôt !
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