Peut-on blanchir l’avantage tiré de toute infraction ? la réponse à cette question a toujours été controversée en ce qui concerne l’infraction de fraude fiscale.
Blanchir c’est quoi ? C’est poser un comportement tel qu’incriminé (recel/incorporation/opacification) sur des avantages tirés d’une autre infraction (l’infraction primaire ou de base). L’infraction de blanchiment est donc bien un délit à part entière (autonome) mais suppose qu’une infraction ait préalablement été commise et générer un avantage qui sera justement l’objet de l’infraction de blanchiment. Les deux infractions pourront avoir le même auteur ou des auteurs différents (l’auteur de l’infraction de base et le tiers par rapport à celle-ci).
La fraude fiscale génère-t-elle un avantage patrimonial susceptible de confiscation ? La réponse est définitivement positive comme l’a d’ailleurs confirmé la Cour de cassation dans son arrêt du 22 octobre 2003.
Toutefois, les dispositifs préventif et répressif ont traité de manière différente la fraude fiscale comme infraction de base créant une dichotomie malaisée pour les destinataires de la loi préventive à savoir les entités assujetties. Cette distorsion avait été finalement gommée dans les textes traitant depuis 2007 de manière parallèle les deux volets. Toutefois, le législateur européen a entendu intervenir dans la sphère répressive ne permettant plus l’exception de la fraude fiscale grave, organisée ou non.
Par une loi du 18 janvier 2024, le législateur a supprimé l’article 505, alinéa 3 du Code pénal qui n’incriminait pas le blanchiment de la fraude fiscale dans certains cas et ce, selon l’auteur de l’infraction.
De la sorte, préalablement, le tiers – par rapport à l’infraction de base lorsque celle-ci était de nature fiscale- qui gardait, gérait ou possédait des avantages patrimoniaux (505, 2°) en sachant qu’ils provenaient d’une fraude fiscale ne commettait ce faisant une infraction de blanchiment que si la fraude fiscale commise était grave. Il en allait de même pour le comportement qui consiste à dissimuler l’origine, l’emplacement, la propriété, etc. (505, 4°). Aucune exemption n’existait en ce qui concerne le blanchiment « pur », à savoir convertir ou transférer dans le but de déguiser l’origine illicite ou d’aider quelqu’un à échapper aux conséquences de ses actes (505, 3°).
Aujourd’hui, plus de distinction : le blanchiment d’argent porte sur l’avantage patrimonial généré par une infraction sous-jacente, quelle qu’est soit, en ce compris la fraude fiscale (qu’elle soit grave ou qu’elle ne le soit pas).
On est donc revenu à la situation précédant celle de l’entrée en vigueur de la loi du 10 mai 2007 qui avait – enfin – aligné les dispositifs préventif et répressif. En effet, l’entité assujettie à la loi préventive du 18 septembre 2017 n’est censée déclarer de soupçons que lorsque les comportements douteux concernent des avantages émanant d’une infraction telle que limitativement énumérée par la loi. Parmi celles-ci, la fraude fiscale grave, organisée ou non.
Par une directive n° 2018/1673 du 23 octobre 2018, l’UE a imposé aux 27 Etats Membres d’introduire dans les codes pénaux nationaux l’infraction de blanchiment qui porte sur les biens émanant d’une activité criminelle. Celle-ci est définie comme l’infraction passible, en droit national, d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sureté d’une durée maximale supérieure à un an ou, dans les Etats membres dont le système juridique prévoit un seuil minimal pour les infractions, de toute infraction qui est passible d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sureté d’une durée minimale supérieure à six mois. Tel n’est pas le cas de la fraude fiscale qui est punissable d’une peine minimale inférieure à six mois (de huit jours à deux ans ou à cinq ans lorsqu’elle est grave). Toutefois, la directive poursuit : « En tout état de cause, les infractions (…) suivantes sont considérées comme une activité criminelle : (…) infractions fiscales liées aux impôts directs et indirects, telles qu’elles sont définies en droit national ».
Notre droit incrimine la fraude la plus simple : toute personne qui contrevient aux dispositions des différents codes fiscaux ou leurs arrêtés d’exécution et qui le fait dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire commet une infraction pénale à savoir la fraude fiscale.
Notre système ne pouvait donc plus être maintenu.
La directive devait être transposée en droit belge pour le 3 décembre 2020 au plus tard. La Belgique était très en retard car elle souhaitait intégrer les modifications nécessaires dans le plus vaste projet de réforme du Code pénal.
Fin 2022, la Commission européenne a toutefois lancé une procédure en manquement contre notre pays, dans la mesure où le droit existant
Un projet de loi (n° 55/3322), parallèle à la réforme globale du code pénal, a donc vu le jour afin de permettre une refonte plus rapide de l’article 505 du code pénal.
Le secteur financier risquant d’être tout particulièrement impacté, celui-ci a obtenu du législateur qu’une cause d’excuse absolutoire soit accordée aux entités assujetties au dispositif préventif. La question a été soumise à la Commission dans le cadre de la procédure en manquement. En effet, les textes français et néerlandais de la directive différaient quelque peu et la question se posait de savoir s’il fallait s’assurer que le blanchiment soit punissable ou effectivement puni. Apaisé sur ce point, la Commission précisant que la directive ne prescrit pas que chaque auteur individuel doit être effectivement puni dans la pratique, le législateur a donc pu aller de l’avant et permettre d’introduire une cause d’excuse absolutoire.
Afin d’être exempte de peine, en cas de blanchiment portant uniquement sur des avantages patrimoniaux issus d’une fraude fiscale qui n’est pas grave, organisée ou non, l’entité assujettie devra s’être conformée à la législation et à la réglementation en matière de lutte contre la fraude fiscale y compris celles découlant de la loi du 18 septembre 2017 (volet « préventif » du blanchiment).
Le Conseil d’Etat s’est ému de ce libellé assez large et peu précis ce à quoi le gouvernement a répondu de la sorte : il s’agit d’un choix délibéré d’opter pour une formulation assez large : de cette manière, le juge a la liberté de vérifier si le contrevenant a suivi les règles qui lui sont applicables.
Les travaux parlementaires intègrent dans ce package d’obligations qui ne sont pas clairement visées et définies, la vérification des législations relatives
L’objectif a été de ne pas placer les entités assujetties dans des situations inextricables. Puisque le moindre euro non régulier peut entrainer l’infraction de blanchiment, on a voulu temporiser le risque de dénonciations tous azimuts.
Solution : on offre une exemption de peine conditionnée ; les travaux parlementaires précisent donc que pour pouvoir en bénéficier, les entités assujetties (et on ne parle que du secteur financier dans les exemples mais il va de soi que cette cause d’excuse s’applique à toute entité assujettie) devront avoir respecté les règles qui s’imposent à elles dans le cadre de la lutte contre la fraude. Si on comprend dès lors que soient visées, dans les travaux parlementaires, les obligations des banques en matière d’informations à référer (DAC 6, CRS, PCC), le renvoi à la loi sur la taxe sur les comptes-titres (qui est une simple taxe) ou plus fondamentalement à l’article 307 du CIR risque de poser les banques en véritable contrôleur fiscal de leurs clients.
Le législateur belge ne pouvait donc plus maintenir le système précédant. L’entité assujettie sait dans quelle situation très inconfortable elle est ainsi placée :
Comment réaliser cette quadrature du cercle ? en devenant – encore – plus exigeant sur les éléments qui seront remis par le client justifiant de l’origine de ses fonds.
Y avait-il une autre solution ? la directive renvoie aux définitions dans l’ordre interne. C’était donc là qu’il fallait peut-être offrir une réponse salvatrice en distinguant la fraude fiscale simple (dénommée ordinaire dans les travaux parlementaires) de la fraude fiscale grave en incriminant uniquement cette dernière.
La loi Una viadu 5 mai 2019 a précisément pour objectif de faire en sorte que le parquet et le fisc se concertent dans ces cas-là, et dans ces cas-là seulement, afin de de déterminer si le dossier sera diligenté par les autorités judiciaires ou par les autorités fiscales. Lorsque le dossier est de la compétence de l’administration fiscale, même lorsque l’intention frauduleuse est retenue, les sanctions seront uniquement administratives (même si à caractère pénal) et l’impôt en ce compris les accroissements et/ou amendes seront de la compétence exclusive du tribunal de première instance et non du tribunal correctionnel.
Tel n’a toutefois pas été le choix du législateur qui place donc, à nouveau, les entités assujetties dans une situation inextricable qui auront encore plus tendance à procéder à des déclarations de soupçons.
Qu’on ne s’y trompe toutefois pas, s’agissant d’une cause d’excuse, celui qui en bénéficiera aura déjà été reconnu coupable de blanchiment. Un juge aura donc décidé que l’entité assujettie aura – sciemment – décidé de porter son concours à l’infraction de blanchiment. Dans ce cas, la loi a pourtant prévu une circonstance aggravante. En réalité, c’est le législateur qui n’est pas arrivé à réaliser la quadrature du cercle et pour cause. Prévoir une cause d’excuse comme bouée de sauvetage n’a aucun sens. Ou bien on a commis l’infraction ou bien pas.
La réponse à la délicate question du blanchiment de la fraude fiscale est simple et demeure dans la modification des définitions en droit national.
Trop simple peut-être ? En tout cas, elle nécessite une forme de courage politique qui fait cruellement défaut.
Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 29 octobre 2024.