Retard dans le dépôt de votre déclaration fiscale ou erreurs commises de bonne foi & accroissements automatiques appliqués par certains agents du fisc. Du neuf après l’arrêt de La Cour constitutionnelle du 21 novembre 2024. Le Ministre des finances donne des réponses aux parlementaires …
1. Pour tenter de faire simple, le code fiscal fait la distinction entre différentes catégories d’infractions fiscales en y attachant des sanctions dont la sévérité est proportionnelle à la nature des infractions constatées. En bref, on pourrait classer les infractions en quatre grandes catégories, à savoir :
2. Les infractions dont il est question ici, sont les infractions de la première catégorie, à savoir, les cas où le contribuable a :
3. Dans ces deux situations, l’article 444 du CIR1 prévoit des sanctions sous forme d’accroissements d’impôt allant de 10 à 200%. Le même article 444 du CIR précise toutefois
4. Le premier problème rencontré dans la pratique réside dans la circonstance que certains agents de l’administration fiscale oublient ces derniers principes et appliquent quasi-systématiquement, voire quasi-automatiquement un accroissement de 10%, parfois 20%, voire plus, en cas de déclaration tardive, ou d’erreur dans la déclaration quand bien même, il s’agirait d’une première infraction ou qu’on soit en présence d’une raison objective, indépendante de la volonté du contribuable.
5. Le second problème réside dans le rejet des pertes reportées ainsi que de certaines déductions de l’exercice en cas de dépôt tardif d’une déclaration ou de rectification de cette dernière. L’article 206/3 §1 du CIR/92 (ancien article 207, alinéa 7 du CIR/92) précise que l’administration fiscale doit refuser, en effet, toute déduction, dont celles des pertes fiscales reportées, sur « la partie du résultat qui fait l’objet d’une rectification de la déclaration (…) ou d’une imposition d’office (…) pour laquelle des accroissements d’un pourcentage égal ou supérieur à 10% (…) sont effectivement appliqués (…) ».
6. Conséquence, certains agents du fisc très zélés ont estimé que dès qu’un contribuable rentrait sa déclaration fiscale avec retard ou commettait une erreur dans sa déclaration, ils étaient en droit, a) en cas de déclaration tardive à enrôler d’office, quitte à réenrôler sur les mêmes données que celles communiquées par le contribuable, et b) en cas de déclaration erronée de rectifier la déclaration, le tout, en appliquant, bien entendu, (i) un accroissement de 10% comme le prévoit l’article 444 du CIR, et, (ii) en rejetant par la même occasion la déduction des pertes reportées et de certaines autres déductions de l’exercice (sur base de l’article 206/3), alors même qu’il pouvait ne s’agir que d’une première « infraction » ou d’une situation totalement indépendante de la volonté du contribuable.
7. La combinaison de ces deux articles, mais surtout l’application de l’article 206/3 §1er a donc été et est toujours critiquée par les praticiens. Pourquoi ? Parce qu’avec l’explication donnée ci-avant, on comprend tout de suite que l’application de l’article 206/3 §1er2 du CIR est conditionnées par l’application ou non d’un accroissement d’impôt qui dépend lui-même du seul bon vouloir d’un agent de l’administration fiscale qui peut décider, seul, comme il l’entend, d’appliquer ou non un accroissement de 10%. Certains praticiens se sont dès lors insurgés et ont tenté de démontrer que ce genre de disposition était contraire :
a) au principe de légalité qui impose que « la loi fiscale contienne des critères précis, non équivoques et clairs au moyen desquels il peut être décidé qui est redevable et pour quel montant ».
b) au principe d’égalité et de non-discrimination, dans la mesure où elle crée une différence de traitement entre deux catégories de contribuables qui se trouvent pourtant dans une situation comparable : ceux pour qui il a été renoncé à l’application d’un accroissement d’impôt et ceux pour lesquels un accroissement d’au moins 10% est appliqué.
8. Saisi ce de cette question et de la constitutionnalité de l’article 206/3 CIR92, la Cour constitutionnelle du 21 novembre 20243, a répondu que l’article 206/3 n’était pas inconstitutionnelle. La même Cour a toutefois précisé que l’article 444 al.3 devait être appliqué de telle manière qu’en cas de première infraction, sans intention de commettre une fraude, l’accroissement de 10% de ne devait pas être appliqué ! Il s’agit là d’un rappel des principes repris dans la loi, ni plus, ni moins, même s’il est parfois oublié par certains fonctionnaires de l’administrations fiscale.
9. Là où les choses deviennent peut-être un peu plus intéressantes pour les contribuables, c’est lorsque le Ministre des Finances, Mr. Van Peteghem, est amené à prendre positions sur cette problématique lorsqu’il est interpellé en séance de questions et réponses de la Chambre, le 26 novembre dernier !
10. A une première question posée par Jean-Luc Crucke à Vincent Van Peteghem4 quant à l’application d’une « … politique de tolérance zéro et une application plus raisonnée, progressiste et progressive des sanctions », le Ministre des Finances répond qu’« … un contribuable peut en outre prouver sa bonne foi en réponse à un avis de rectification » et qu’« … Il est très important … d'avoir une administration qui vise un modèle de coopération et qui est accessible. J'appellerai donc mon administration à communiquer clairement les possibilités existantes de renoncer à une sanction et d'autre part de veiller à ce que le contribuable puisse prouver sa bonne foi. »
11. Interpellé sur une seconde question par Messieurs Jean-Luc Crucke, Benoît Piedboeuf et Steven Matheï sur « l'application de l'accroissement d'impôt sous prétexte de déclaration inexacte ou incomplète »5, le Ministre des Finances répond ce qui suit : il est … « crucial qu’un modèle de coopération soit utilisé entre l’administration fiscale et les contribuables au lieu d’un modèle de conflit. ». Il rappelle ensuite que l’article 444 du CIR 92 « … permet de renoncer à l’augmentation d’impôt minimale de 10% en l’absence de mauvaise foi. Cela figure … explicitement … lorsque l’erreur a été commise à la suite de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. De plus, une majoration d’impôt ne peut être appliquée que lorsque les revenus non déclarés ou déclarés tardivement atteignent 2.500 euros. Si une petite erreur a été commise, aucune augmentation de taxe ne sera appliquée.
C’est également ce qu’a déclaré la Cour constitutionnelle la semaine dernière dans l’arrêt 129/2024. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle reconnaît expressément qu’en cas de première erreur de bonne foi, en principe, aucune majoration d’impôt de 10 % ne doit être appliquée. Ce faisant, la Cour confirme en effet l’intention du législateur de ne pas appliquer la majoration d’impôt de 10 % en cas de première erreur. Monsieur Piedboeuf, il est essentiel que ces principes soient correctement appliqués et qu'en cas de bonne foi du contribuable, aucune sanction inutile ne lui soit imposée. Monsieur Crucke, comme vous l'avez souligné dans votre question, le problème réside dans la complexité de notre fiscalité qui entraîne trop d'erreurs dans les déclarations. La solution est la simplification significative de notre fiscalité, seule façon de rendre le processus plus simple.… L'idée selon laquelle le gouvernement préfèrerait imposer des amendes plutôt que d'envoyer des rappels est fausse. Les contribuables qui ne rentrent pas leurs déclarations dans les temps sont d'abord avertis par une lettre de rappel. Si après réception de cette lettre, la déclaration n'est toujours pas déposée, un avis d'amende est envoyé. Au plus tôt un mois après l'envoi de cet avis, l'amende est établie. Si aucune déclaration n'est déposée, une imposition d'office est envoyée. Le contribuable est averti à plusieurs reprises avant que des sanctions ne soient imposées. Je pense donc que le débat est plus nuancé que ce qui a été rapporté dans la presse ces dernières semaines. Bien entendu, la dernière pièce d’un modèle fiscal qui fonctionne bien est la bonne coopération entre l’administration fiscale et les contribuables, ce qui implique également de travailler par le biais d’un dialogue ouvert, afin d’orienter vers un comportement le plus conforme possible. »
12. Suite à la réponse du Ministre des Finances, on notera au-delà de la réaction de Messieurs Crucke et Mathei, plus particulièrement celle de Mr Benoît Piedboeuf qui résume assez bien le problème actuel: « Monsieur le ministre, je vous remercie. Je vois que nous sommes d’accord sur les principes. Malheureusement, les faits sont différents. Il y a une sorte d’automatisme dans l’application des accroissements. C’est vrai que l’administration peut y renoncer s’il y a de la bonne foi, mais cela suppose qu’il y ait un dialogue. Or, il n’y a pas toujours de dialogue. C’est ce dont se plaignent d’ailleurs les comptables et les experts-comptables ces dernières semaines. »
13. Pour les nouveaux dossiers ainsi que les dossiers en cours, nous pensons que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle ne doit pas être sous-estimée même si dans un premier temps, l’arrêt rendu a sans doute déçu de nombreux praticiens.
14. Le point positif qu’il y lieu de retenir aujourd’hui pour les dossiers et contrôles fiscaux qui sont en cours, est de mettre en avant, lors de discussions avec les autorités fiscales, tant l’avis de la Cour constitutionnelle sur l’application de l’article 444 du CIR et les conditions d’application de l’accroissement de 10% que la confirmation de cette interprétation par le Ministre des Finances :ce dernier rappelant qu’il n’a jamais été question dans l’esprit du législateur d’opter pour un accroissement automatique de 10% dès la première « infraction » ou en présence de circonstances indépendantes du contribuable.
15. On sait que plusieurs Tribunaux et Cours ont déjà condamné, parfois de manière verte, parfois aussi de manière inattendue, les pratiques ci-avant dénoncées, notamment, en réduisant l’accroissement de 10 à 9,9% pour éviter les effets pervers d’une mauvaise application combinée des articles 444 du CIR et 206/3 §1er, mais on trouvera ici, sans doute, un argument supplémentaire pour contester cette dérive et l’application combinée sans discernement de deux dispositions du CIR, par certains agents de l’administration fiscale.
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Notes de bas de page :
1. Article 444 du CIR 92 :
« En cas d’absence de déclaration, de remise tardive de celle-ci ou en cas de déclaration incomplète ou inexacte, les impôts dus sur la portion des revenus non déclarés ou déclarés tardivement, déterminés avant toute imputation de précomptes, de crédits d’impôt, de quotité forfaitaire d’impôt étranger et de versements anticipés, sont majorés d’un accroissement d’impôt fixé d’après la nature et la gravité de l’infraction, selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi et allant de 10 % à 200 % des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés ou déclarés tardivement.
En cas de déclaration inexacte ayant donné lieu à une dispense de versement du précompte professionnel visée au titre 6, chapitre 1er, section 4, sous-section 3, les précomptes dus sont majorés d’un accroissement fixé d’après la nature et la gravité de l’infraction, selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi et allant de 10 % à 200 % de la dispense de versement de précompte professionnel incorrectement déclaré.
En l’absence de mauvaise foi, il peut être renoncé au minimum de 10 % d’accroissement.
Le total des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés ou déclarés tardivement et de l’accroissement d’impôt visé à l’alinéa 1er ne peut dépasser le montant des revenus non déclarés ou déclarés tardivement. L’accroissement visé à l’alinéa 1er ne s’applique que si les revenus non déclarés ou déclarés tardivement atteignent 2.500 euros. »
2 L’article 206/3 du CIR 92 prévoit ce qui suit : « § 1. Du résultat déterminé conformément à l'article 206/2, sont déduits les éléments sur lesquels aucune des déductions déterminées aux articles 199 à 206, 536 et 543, ou compensation avec la perte de la période imposable ne peuvent être opérées:
Du résultat déterminé conformément à l'article 206/2, sont également déduits les éléments sur lesquels aucune des déductions déterminées aux articles 199 à 206, 536 et 543, ou compensation avec la perte de la période imposable ne peuvent être opérées à l'exception des revenus déductibles conformément à l'article 205, § 2:
- la partie du résultat qui fait l'objet d'une rectification de la déclaration visée à l'article 346 ou d'une imposition d'office visée à l'article 351 pour laquelle des accroissements d'un pourcentage égal ou supérieur à 10 % visés à l'article 444 sont effectivement appliqués.
§ 2. Après application du paragraphe 1er, le montant total du résultat est ensuite augmenté du montant des pertes non prises en compte en vertu de
l'article 185, § 3, alinéa 1er ou 2. »
3 Cour constitutionnelle, 21 novembre 2024, 129/2024.
4 Q. et R. Chambre 2024-25 du 26 nov. 2024, J.-L. CRUCKE (56000520C).
5 Q. et R. Chambre 2024-25 du 26 nov. 2024, 16 (q. Nr. 14 J.-L. CRUCKE, B. PIEDBOEUF et S. MATHEI).