Quels contrôles et investigations l’administration fiscale peut-elle effectuer lorsqu’elle reçoit de l’étranger des informations sur des revenus (éventuellement) non déclarés ?
Cette question se pose notamment à l’occasion des échanges CRS (Common Reporting Standard), étant les échanges automatiques d’informations financières mis sur pied par l’OCDE en vue de lutter contre l’évasion fiscale et promouvoir la transparence fiscale.
En vertu de ces échanges, les institutions financières transmettent aux Etats participants des informations relatives aux titulaires de comptes et aux bénéficiaires économiques de certaines entités qui ont leur résidence fiscale dans un autre pays que le pays d’établissement de l’institution financière.
En l’occurrence, l’administration fiscale belge reçoit chaque année les numéros de comptes détenus par des résidents belges à l’étranger (ou dont ils sont les UBO), leurs soldes, les revenus bruts totaux (intérêts, dividendes) versés au cours de l’année civile et produits bruts totaux des ventes, remboursements et rachats de titres.
La question est alors celle de savoir si l’administration fiscale peut procéder, à cette occasion, à des investigations portant sur d’autres années que celles visées par l’échange d’informations.
En effet, lorsque l’administration reçoit des informations faisant apparaître que des revenus n’ont pas été déclarés en Belgique, cette circonstance fait courir un délai d’imposition spécial s’ajoutant aux délais ordinaires et extraordinaires d’imposition (article 358, §1, 2° CIR). Un supplément d’impôt peut être établidans les vingt-quatre mois à compter de la date à laquelle les informations sont venues à la connaissance de l’administration belge (article 358, §3 CIR).
Initialement, ce délai d’imposition spécial n’était pas un délai d’investigation, avec pour conséquence que les informations reçues de l’étranger devaient se suffire à elles-mêmes pour pouvoir établir une imposition, sans investigations complémentaires.
Depuis la loi-programme du 1er juillet 2016, l’administration peut procéder à des investigations pendant le délai d’imposition spécial de 24 mois. C’est l’objet de l’article 333/2 CIR inséré par la loi-programme du 1erjuillet 2016, selon lequel « l’administration peut procéder aux investigations (…) dans le délai d’imposition de l’article 358, § 3, pour les années mentionnées dans l’article 358, § 1er, 2° ».
Sur cette base, l’administration peut donc entamer des investigations et envoyer aux contribuables des demandes de renseignements.
L’administration fiscale considère qu’à la réception d’informations de l’étranger, elle peut mener des investigations sans restriction pour les cinq ou sept années qui précèdent celle où les informations ont été portées à sa connaissance.
Une récente décision de la Cour d’appel d’Anvers a invalidé la thèse soutenue par l’administration fiscale.
La Cour confirme que les pouvoirs d’investigation et de contrôle prévus à l’article 333/2 CIR doivent être interprétés restrictivement : le délai d’investigation prévu à l’article 333/2 CIR est un délai d’investigation complémentaire d’exception, lui-même lié à un délai d’imposition spécial avec la conséquence que le contrôle et les investigations ne peuvent porter que sur les éléments ayant ouvert ce délai d’imposition spécial (arrêt du 22 octobre 2024, RG n°2023/AR/664, confirmant un jugement du Tribunal de 1ère instance d’Anvers).
La Cour d’appel observe à juste titre que le texte de l’article 358, §1, 2° CIR lie expressément le contrôle spécial à « l’obtention de telles informations » et que le texte requiert qu’il s’agisse d’un contrôle consécutif à (« suite à ») l’obtention d’informations de l’étranger.
Bien que le texte légal soit clair, la Cour renvoie également aux travaux préparatoires de la loi-programme du 1er juillet 2016. De fait, ceux-ci mentionnent qu’une « information échangée ne permettant pas toujours de déterminer directement quel est exactement l’impôt dû, il faut envoyer une demande de renseignements afin de voir si l’information est bien correcte. Il n’en faut généralement pas plus. Afin de pouvoir travailler minutieusement, le fisc doit pouvoir effectuer une enquête, ce qui n’est pas le cas actuellement. C’est pourquoi un délai d’investigation a été instauré ».
A retenir dès lors en cas d’imposition fondée sur des informations provenant de l’étranger : les pouvoirs d’investigation prévus à l’article 333/2 CIR sont limités :
Tout contrôle / toute demande de renseignements fondée sur l’article 333/2 CIR ne peut avoir pour conséquence la révision globale de la situation fiscale du contribuable.