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Techtalks 12/2026. Facturation électronique 2026, digitalisation et rôle de l'expert-comptable?

Facturation électronique 2026 : entre chaos annoncé et révolution silencieuse, que faut-il vraiment craindre ?


Le compte à rebours est lancé

La facture électronique structurée, prévue pour une application généralisée à l’horizon 2026, n’est plus un concept lointain mais une réalité imminente. Pour décrypter ce changement majeur, la plateforme oFFFcourse a réuni, lors de ses émissions Tech Talks, un panel d’experts de premier plan : représentants de l’administration fiscale (SPF Finances), du réseau Peppol (BOSA), spécialistes TVA, experts-comptables certifiés et éditeurs de logiciels. L’enjeu de ces rencontres était clair : offrir une vision fiable et opérationnelle de cette réforme qui transformera en profondeur les processus des entreprises et des cabinets, en passant de la théorie légale à la réalité du terrain.


1. Un enjeu de digitalisation avant tout, mais une fracture numérique bien réelle

Loin d’être une simple contrainte administrative, la réforme est avant tout perçue comme un levier de modernisation. Pour Serge LIBERT, représentant du réseau Peppol chez BOSA, l’objectif principal est « la digitalisation de notre économie et à plus long terme de notre société ». Il insiste sur le fait que cette mesure est « une grande opportunité pour les plus petites structures de se digitaliser comme il faut ». Cependant, cette vision optimiste se heurte à une réalité plus contrastée. Les statistiques présentées lors des débats dressent un portrait en demi-teinte en ce début décembre 2025 : sur les 1,2 million d’assujettis concernés, à peine plus de la moitié sont enregistrés sur le réseau. Plus inquiétant, le volume de factures échangées est encore très faible. « On est à moins de 10 % du volume espéré », concède le représentant du BOSA.

Cette inertie s'explique par une préoccupation majeure mise en lumière par Landry Belleflamme, conseiller au SPF Finances : la fracture numérique. « Ce qui nous occupe actuellement, c'est de se dire : comment est-ce qu'on touche 100% de la société ou en tout cas des acteurs économiques ? » L'administration est consciente que l'adhésion de tous est indispensable et réfléchit à des mesures d'accompagnement pour les secteurs les moins digitalisés.

2. Le cadre légal : la facture Peppol comme seule norme et une tolérance limitée

Sur le plan légal, la position de l’administration fiscale est ferme. Landry Belleflamme a été catégorique : à partir de 2026, la seule facture légale sera la facture électronique structurée transitant via le réseau Peppol. « On sait qu'il y a beaucoup de personnes qui vont envoyer une facture par Peppol et puis un PDF à côté. La seule [facture] légale que nous on va garder, qu'on va vraiment considérer, c'est la facture Peppol. » Une facture ne respectant pas ce format ne sera donc pas considérée comme valable, avec un risque direct sur la déductibilité de la TVA. Une position que conteste Katia Defin Diaz en rappelant que la jurisprudence préconise la primauté du fond sur la forme (« substance over form ») et qu'il paraitrait audacieux pour l'administration de ne pas en tenir compte, certainement au regard des enjeux.

Face aux retards constatés, l'administration a évoqué un moratoire de tolérance. Cependant, les experts mettent en garde contre une interprétation trop laxiste. Cette tolérance s'appliquera uniquement aux entreprises pouvant « prouver que vous êtes en train de vous mettre en conformité ». Pour un indépendant où l'activation est quasi-instantanée, cet argument sera difficilement recevable. Le message est clair : le moratoire vise à couvrir les cas de complexité technique avérée, pas à justifier l'inaction.


3. Le rôle pivot de l’expert-comptable : accompagner la transition et gérer la résistance

Face à cette transformation, l’expert-comptable se trouve en première ligne. Comme le souligne Guillaume Morel (Deg & Partners), utilisateur de MasteryPro, « le client, la première personne vers qui il se tourne quand il doit implémenter Peppol, c'est rarement vers l'éditeur de logiciel, c'est vers son comptable ». Cette réalité positionne le professionnel du chiffre comme l'amplificateur de la transition.

Le principal obstacle n'est pas technologique, mais humain. La résistance vient majoritairement des clients, en particulier des plus petites structures. Pascal Durlet de MasteryPro évoque le cas des « petits indépendants qui perdent leurs habitudes. Ça fait 30 ans qu'ils font leur fichier Excel ». Pour Deham Bertrand du cabinet Moore, même avec des outils performants, « on a un peu les mêmes difficultés que tout le monde au niveau de la relation client et [...] du sujet qui est tout à fait nouveau, qui fait peur et qui pose beaucoup de questions ». Le rôle de conseil et de pédagogue de l'expert-comptable devient donc prépondérant pour surmonter l'anxiété et démontrer la valeur ajoutée.


4. Des stratégies logicielles diverses pour un même objectif : l'automatisation

Le débat a révélé une richesse d'approches logicielles pour répondre à ce défi. D'un côté, des solutions intégrées comme Yuki ou Horus proposent un écosystème complet, de la facturation à la comptabilité, pour une fluidité maximale. De l'autre, des plateformes spécialisées et agnostiques comme Banqup, OkiOki ou Lucy (du groupe Yuki) se positionnent comme des assembleurs de flux, capables de se connecter à n'importe quel logiciel comptable. Cette flexibilité est un atout majeur, notamment dans un contexte international avec la directive ViDA à l'horizon 2030.

Quelle que soit la stratégie, l'objectif converge : l'automatisation des flux pour libérer du temps à haute valeur ajoutée. Jérôme Tailleur, CEO d’Horus, met en garde : « Le fossé entre les nouvelles technologies et les anciennes technologies va tellement s'agrandir qu'à un moment donné, il sera très difficile de faire le saut. »


Décryptage pour la profession : au-delà de l'outil, une réorganisation stratégique

L'arrivée de la facturation électronique impose une réflexion stratégique au sein des cabinets.

  • Impact pour les experts-comptables : Le rôle de conseil et d'accompagnement au changement devient central. Le professionnel doit non seulement maîtriser la technologie, mais aussi la vulgariser pour ses clients et adapter ses propres processus pour gérer un écosystème hybride.

  • Conséquences réglementaires : La question de la déductibilité de la TVA pour les factures non conformes reste un point d'attention majeur. Si la fermeté est de mise, l'administration semble pragmatique, reconnaissant que 2026 sera une « année assez chaotique » et que la bonne foi sera prise en compte.

  • Signaux stratégiques : Les cabinets qui embrassent cette transition dès maintenant prennent une avance concurrentielle. L'automatisation accrue libérera du temps pour des missions à plus forte valeur ajoutée, comme le conseil en temps réel. Comme le prévient Jérôme Tailleur d'Horus, le client, voyant sa facture traitée instantanément, « va attendre quelque chose en retour, beaucoup plus rapidement ». Répondre à cette nouvelle attente sera le prochain grand défi.


Conclusion : De la contrainte à l'opportunité, la balle est dans le camp de la profession

Loin d'être un simple changement de format, la facturation électronique est une transformation profonde de l'écosystème économique et fiscal. Les échanges des émissions oFFFcourse ont mis en lumière la tension entre un optimisme technologique et les réalités humaines du terrain. Si des ajustements sont inévitables, le chaos n'est pas une fatalité. La densité des informations partagées lors de ces débats souligne l'importance de suivre ces rendez-vous pour anticiper, décrypter et transformer les défis réglementaires en opportunités stratégiques. La réussite de cette transition ne reposera pas uniquement sur la performance des outils, mais avant tout sur la capacité de la profession à informer, former et accompagner ses clients dans cette nouvelle ère digitale.

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