
La leçon économique des droits d’enregistrement wallons
Il est des réformes qui partent d’une belle intention, mais qui finissent par produire l’exact contraire de leur promesse. La baisse des droits d’enregistrement en Wallonie – de 12,5 % à 3 % – en est une illustration presque caricaturale. Présentée comme une mesure de soutien au pouvoir d’achat et à l’accès à la propriété, elle a, en quelques mois à peine, provoqué une flambée spectaculaire des prix de l’immobilier.
Selon le dernier baromètre des notaires, le prix moyen d’une maison en Wallonie a grimpé de près de 13 % depuis janvier 2025, tandis que les ventes bondissaient de plus de 17 % ; du jamais vu depuis la période post-Covid. À ce rythme, tout ce que les acheteurs ont économisé en droits d’enregistrement, les vendeurs l’ont déjà absorbé dans la hausse des prix. Résultat : les jeunes ménages paient toujours aussi cher — mais autrement.
Le phénomène n’a pourtant rien de mystérieux. La Flandre l’avait déjà expérimenté quelques années plus tôt : baisse des droits, hausse des prix, et déception générale. Lorsqu’on réduit brutalement le coût d’accès à une ressource rare, la demande s’emballe, l’offre reste contrainte, et le marché ajuste son équilibre… par le prix. C’est une loi aussi ancienne que celle de l’offre et de la demande, mais que nos gouvernements semblent découvrir à chaque législature.
L’immobilier wallon souffre d’une pénurie structurelle : trop peu de logements neufs, des délais d’obtention de permis interminables, un coût des matériaux et du foncier en hausse, et une frilosité croissante des investisseurs face à l’incertitude réglementaire. Dans ce contexte, injecter un stimulus fiscal massif sans augmenter l’offre, c’est allumer un feu d’artifice sur un marché déjà surchauffé.
On a voulu « aider les jeunes à acheter ». On a surtout aidé les vendeurs à vendre plus cher. Car en pratique, la réduction des droits d’enregistrement – censée libérer du pouvoir d’achat – s’est traduite par un transfert quasi instantané vers les prix. Les acheteurs n’ont rien gagné : ils paient toujours autant, mais cette fois sans contribuer au budget public. Et c’est là le deuxième effet pervers : le coût budgétaire.
La mesure privera la Région wallonne de près de 270 millions d’euros par an, soit l’équivalent de ce qu’elle cherche à économiser dans son prochain ajustement budgétaire. On a donc créé un déficit public pour alimenter une inflation immobilière.
La fiscalité, dans un monde rationnel, devrait servir à réguler, orienter, stimuler. Mais elle devient trop souvent un réflexe politique : un instrument de communication plus qu’un outil d’économie.
La réforme wallonne le prouve : au lieu de s’attaquer à la racine du problème – la pénurie de logements et le coût du foncier –, on a choisi le raccourci fiscal. Résultat : les prix montent, les caisses se vident, et les ménages modestes sont plus exclus que jamais.
Le vrai courage aurait été d’agir sur l’offre : simplifier les procédures d’octroi de permis, libérer du foncier, encourager la rénovation intelligente, ou réserver l’avantage fiscal à certains segments – logements modestes, résidence principale, ou primo-acquéreurs sous conditions de revenus.
Ce que cette réforme révèle, c’est la puissance de la fiscalité dans la formation des prix. Un impôt ne se résume jamais à un chiffre sur un barème : il oriente les comportements, modifie les anticipations, influence les équilibres de marché.
En baissant la fiscalité sans vision, on nourrit l’illusion de la richesse sans en créer aucune.
La Belgique adore parler de « pouvoir d’achat ». Mais le vrai pouvoir d’achat ne se mesure pas dans la capacité à acheter plus vite : il se mesure dans la capacité à acheter durablement, sans déséquilibrer les finances publiques ni creuser la fracture sociale. Les caisses wallonnes sont désormais vides.
Et la leçon économique, elle, est pleine de sens : on ne corrige pas une pénurie par une exonération, pas plus qu’on ne soigne une inflation par un cadeau fiscal. La fiscalité n’est pas un outil magique ; elle est un miroir de nos incohérences collectives.
Cette opinion a également été publiée dans La Libre Eco