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Revisiter les enjeux budgétaires pour sortir du marigot

L'intuition à la base de cette note est qu'il sera difficile d'aboutir à un accord budgétaire à la fois efficace, efficient et juste, politiquement satisfaisant et économiquement solide, sans prendre de la hauteur.

Passer à des réformes disruptives et ambitieuses ouvre le champ des possibles, facilitant des compromis puisqu'on peut jouer sur plus de curseurs et échapper aux positions avancées jusqu'ici par les uns et les autres, qui offrent d'autant moins de possibilités d'accord qu'elles portent autant sur des formules techniques que sur les objectifs ; il y a, par exemple, plusieurs manières d'alléger la fiscalité sur les bas salaires, mais si on dit qu'on doit la baisser de telle manière et pas une autre cela réduit forcément l'espace pour des compromis.

Cette note est structurée en 4 parties :

Le noeud fiscal

Poser de bons diagnostic

Une vision ambitieuse

Améliorer le fédéralisme socio-économique

La note ci-jointe développe tous cela. En voici l'essentiel.

Le noeud fiscal

Le noeud, politique et économique à la fois, semble être celui de la fiscalité et de la pression fiscale. L'analyse conduit à considérer que les balises de l'accord gouvernemental offrent des marges d'interprétation suffisantes pour élargir le champ des possibles, en particulier les chemins qui n'ont pas été explorés à ce jour (publiquement en tout cas) et de rappeler que beaucoup peut être fait à enveloppes inchangées.

Poser de bons diagnostics

Travailler intelligemment implique d'abord de poser de bons diagnostics. Trois points méritent qu'on s'y attarde.

Le coût du vieillissement

L'analyse conduit à proposer de faire évoluer l'analyse des évolutions socio-économiques liées au vieillissement :

  • distinguer dans la croissance des dépenses de santé ce qui est est expliqué par le vieillissement et ce qui est attribuable à des facteurs non-démographiques (moteur principal de la croissance)
  • explorer des scénarios où la fécondité baisse plus longtemps et/ou plus encore que ce qui est le plus souvent projeté par le CEV
  • affiner les modèles de prévision ; exemple d'enjeu : peut-on maintenir les mêmes hypothèses d'immigration nette quelles que soient les hypothèses sur la fécondité ?
  • intégrer plus de scénarios alternatifs dans les rapports du CEV.

Le taux d'emploi

Depuis la campagne électorale de mai 2024, le taux d'emploi et l'objectif des 80% reviennent en boucle dans les déclarations des uns et des autres. Il est temps de passer à des analyses plus subtiles parce que cet indicateur obscurcit désormais les enjeux plus qu'il ne les éclaire. On peut certes continuer à se braquer sur l'augmentation du taux d'emploi, mais seules les évolutions de la masse salariale et des prélèvements nets sont pertinents pour ce qui est de la résorption du déficit budgétaire.

Une question surgira inévitablement au contact du réel : il n'y a pas, à court et même à moyen terme, assez d'emplois pour tous ceux qui en cherchent un. Faut-il, dans ce cas, encore faire "payer" les demandeurs d'emploi.

L'écart salaire – allocation sociale

Une mensualisation du salaire annuel permet de visibiliser de manière immédiate l'écart réel entre le salaire et l'allocation.

Deux points n'ont pas reçu assez d'attention dans le cadre de la réforme du chômage.

  • Les parents seuls subissent plus souvent que d'autres des pièges à l'emploi. Répondre à ce défi nécessiterait notamment une articulation entre les politiques fédérale et communautaire pour améliorer quantitativement et qualitativement l'offre de lieux d'accueil et la rendre financièrement supportable. Dans les débats sur les 500 €, les parents seuls sont largement oubliés.
  • L'autre point d'attention est la fixation des règles pour cumuler revenus du travail et une allocation afin d'encourager le retour à l'emploi. Il serait pertinent d'harmoniser les dispositifs de ces cumuls entre les chômeurs et les bénéficiaires du revenu d'intégration.

Une vision ambitieuse

Ceci étant posé, proposons une série de réformes, articulées, qui visent à une modification en profondeur du pacte social, dans sa dimension revenus en tout cas. Il s'agit moins de convaincre le lecteur du bien fondé de cet ensemble de propositions – tant mieux bien sûr s'il y souscrit, ne serait-ce qu'en partie – que de montrer que ce qui est sur la table est loin d'être ambitieux et que proposer une approche globale permettrait de faire sauter ou de contourner crispations ou tabous. Certes, ces propositions mériteraient une investigation plus en profondeur pour les infléchir ou les paramétrer, voire même y renoncer après examen attentif, mais il faut sortir du convenu pour susciter de nouvelles perspectives.

Voici quelques orientations.

Les revenus de remplacement répondront plus à une logique d'assurances sociales

D'une manière générale il s'agit de renforcer le lien entre les cotisations et les prestations (allocations de chômage et pensions).

Pour les pensions, les modes de calculs reflètent une vision dépassée des parcours de vie (les années qui se suivent et se ressemblent) alors qu'on peut très bien aujourd'hui travailler beaucoup une année et moins la suivante parce qu'on suit une formation ou parce que l'activité connaît un creux.

Le retour à une logique assurantielle pure implique de supprimer le taux cohabitant pour ne garder que le taux isolé.

Les prestations restent plafonnées mais à un niveau plus élevé qu'aujourd'hui ; les cotisations le sont aussi puisque l'objectif est de consolider la redistribution dite horizontale entre personnes (entre actifs et retraités, entre actifs et demandeurs d'emploi).

On supprime le bonus à l'emploi pour le remplacer par une réduction fiscale.

Le financement de la santé, droit universel, se fera – pour partie au moins – via une cotisation sur tous les revenus

La réforme de l'IPP doit aller plus loin que le projet sur la table du gouvernement

Il s’agit notamment (liste exhaustive dans la note) de

  • mettre tous les revenus salariaux sur le même pied fiscal ; c'est la fin des packages salariaux dont le coût administratif est au demeurant important ; tout l'écosystème qui vit sur la complexité salariale coûte cher et restreint la liberté des salariés dans l'usage de leur revenu
  • atténuer et lisser la progressivité pour les revenus du travail sous le salaire médian
  • transformer la quotité exemptée d'impôt en crédit d'impôt remboursable
  • intégrer tous les ménages dans l'IPP, même si c'est pour in fine ne rien payer ; cette mesure a aussi pour objectif de disposer d'une base administrative fine pour soutenir tout ou partie les ménages en cas de choc socio-économique (crise internationale, choc environnemental...), ce qui a manqué cruellement lors de la crise du Covid et le choc énergétique de 2022.

Tenir compte de tous les revenus pour déterminer quels ménages ont droit à des aides (sociales ou autres)

Tenir compte de tous les revenus ; il s’agit donc d’additionner

    • tous les revenus professionnels et sociaux, y compris les allocations familiales (dès lors que l’on tiendra mieux compte de la taille et de la composition des ménages) ; contrairement à la pratique habituelle on tiendrait compte des dépenses professionnelles pour les revenus salariaux
    • les revenus mobiliers
    • les revenus locatifs réels et imputés (habitation propre) ; dans un premier temps, et de manière très pragmatique, on pourrait multiplier par un facteur d'adaptation à déterminer le revenu cadastral de manière à le rapprocher du revenu locatif réel; le remboursement hypothécaire serait déduit du revenu imputé, ce qui ne se fait pas aujourd'hui
    • l’équivalent monétaire d’avantages en nature ou l’économie réalisée quand on accède au logement social
    • divers autres revenus actuellement légalement non déclarés (ex : certaines aides agricoles) ou qui échappent en tout ou partie à l’IPP (sociétés de management).
  • Mieux tenir compte de la taille et de la composition des ménages. Il est proposé d’ajouter un forfait moyen de 6.400 €/an par personne supplémentaire aux revenus pris en compte pour une personne seule.

On aligne tous les statuts salariaux spécifiques (flexi-jobs, travail étudiant, extras...) sur le droit commun

Il n'y a aucune raison que tous ces statuts spécifiques échappent aux contributions "normales". En outre, la diversité des dispositifs fait qu'on organise une concurrence non seulement entre le régime normal et les régimes spécifiques mais aussi entre régimes spécifiques.

La somme des mesures présentées supra permet – si cela est souhaité – de réduire le coût salarial du régime normal, qui sera désormais le seul régime. Si on estime après la mise en œuvre de ces mesures qu'il faut malgré tout réduire plus encore le coût salarial dans certains secteurs ou pour certaines activités, il faut le faire avec un subside explicite et transparent.

Moderniser l'index et les mécanismes d'indexation

Deux mesures essentielles ici :

  • augmenter la part du logement dans l'indice des prix à la consommation
  • pour l'indexation des salaires et prestations sociales, remplacer l'indice-santé par un indice-bouclier basé sur les budgets de référence.

Réformes complémentaires :

  • les revenus sont indexés deux fois par an, pour toutes et tous, en même temps que les paramètres fiscaux, de manière à ce que le net évolue comme le brut ; la combinaison de ces deux mesures garantirait (à vérifier dans le détail) qu'aucun travailleur ne perde par rapport au système qui lui est appliqué aujourd'hui si on prend comme référence le revenu net après indexation
  • dans l'immédiat, les paramètres fiscaux sont désormais indexés sur l'indice-santé aussi.

La note analyse aussi la perte de recettes publiques découlant d'adaptations des mécanismes d'indexation des salaires.


Améliorer le fédéralisme socio-économique

Sur quatre points au moins, le fédéral et les régions auraient intérêt à travailler de manière concertée pour rendre certaines politiques plus efficaces, plus efficientes et plus équitables : les politiques sociales en matière d'énergie, les aides (allocations familiales et réduction fiscale) pour les parents avec enfants, la production de logements et la fiscalité liée à la mobilité. La note développe ces quatre points.


* * *

L'une dans l'autre, à condition d'être mises en place simultanément, ces mesures dégagent des marges de manœuvre pour améliorer l’équité verticale (entre petits et grands revenus) et l'équité horizontale (par exemple entre travailleurs qui ont le même niveau de vie mais avec des packages salariaux différents) en matière de redistribution des revenus et donc, si jugé nécessaire, mettre en place des assainissements budgétaires qui protègent les travailleurs aux petits salaires et demandent un effort plus grand aux « épaules les plus larges ».

Les pistes avancées dans cette note ne sont pas toutes finalisées. L'important est d'ouvrir et de rendre visible le champ des possibles.

  • sortir-du-marigot-politique-note-danalyse-18-11-2025-def.pdf

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