Avec Trump comme catalyseur, les changements géopolitiques se succèdent rapidement ces dernières semaines, notamment la guerre commerciale imminente, la Russie-Ukraine, l'avenir de l'OTAN…
Voici ci-dessous quelques réflexions sur les développements récents et leurs implications possibles pour notre économie.
La semaine dernière, le vice-président américain Vance et le ministre de la Défense Hegseth ont fait des déclarations qui ont été durement ressenties en Europe. Essentiellement, ils ont déclaré que l'Europe devait urgemment se débrouiller seule. Cela amène certains à remettre en question l'avenir de l'alliance de l'OTAN. Bien que beaucoup de choses soient possibles avec Trump, cela semble encore prématuré. Le scénario le plus probable est qu'il s'agit d'une nouvelle tentative pour inciter l'Europe à augmenter drastiquement ses dépenses de défense. L'Amérique insiste depuis longtemps, mais jusqu'à récemment, l'Europe s'en souciait peu. Pour ceux qui en doutaient encore, Trump semble déterminé à (enfin) y changer quelque chose.
La plupart des États membres de l'OTAN ont fait des efforts ces dernières années pour augmenter leurs dépenses de défense pour atteindre l'objectif de 2 %. Huit pays de l'OTAN (sept européens, dont la Belgique, et le Canada) n'atteignent toujours pas cet objectif. Et il est fort probable que la barre soit relevée assez rapidement (3 ou 3,5 % du PIB semble réaliste). Aujourd'hui, seule la Pologne atteint 3,5 % du PIB.
Il était clair depuis longtemps que Trump miserait fortement sur des dépenses de défense plus élevées. Le fait que cela soit perçu comme un choc en dit long sur la passivité européenne en matière de défense. À court terme, les dépenses de défense en Europe doivent fortement augmenter, probablement surtout avec des commandes importantes aux États-Unis. Néanmoins, il sera également important de renforcer sensiblement la propre industrie de défense européenne.
L'exemple belge en matière de défense est douloureusement parlant : la Belgique n'a jamais atteint l'objectif de 2 % et en est encore assez loin avec 1,3 %. Le nouveau gouvernement fédéral a promis dans son accord de gouvernement (de moins d'un mois) d'atteindre les 2 % d'ici 2029. Le fait qu'il faille aller plus vite ne peut guère surprendre. Si nous devons viser un objectif de 3 % du PIB, cela signifie pour la Belgique plus de 10 milliards d'euros par an supplémentaires pour la défense. Un fonds de défense n'est pas une solution miracle, car les recettes ponctuelles ne peuvent pas financer durablement des dépenses récurrentes. L'Europe autorisera probablement à exclure les dépenses de défense supplémentaires du budget, mais il faudra quand même trouver les moyens. Sinon, la dette publique risque d'augmenter assez rapidement. Bien sûr, cela exercera une pression supplémentaire sur notre difficile situation budgétaire.
Si les États-Unis et la Russie parviennent à un accord pour mettre fin à la guerre en Ukraine, où la Russie pourrait conserver une partie du territoire conquis (et donc être « récompensée » pour son agression), on craint que Poutine ne se tourne assez rapidement vers d'autres pays. Qu'il s'agisse d'une nouvelle invasion à grande échelle est peu probable. La capacité de mener une guerre (et de la gagner) est en fin de compte largement déterminée par la capacité économique. L'économie russe est aujourd'hui aussi grande que celle du Benelux, et un peu plus d'un dixième de l'économie européenne. Si l'Europe passe à des dépenses de défense de 3 % du PIB, cela correspondra à 600 milliards de dollars par an. La Russie est à environ 150 milliards de dollars. Même si ces dollars peuvent faire plus en Russie (par exemple parce que les salaires des militaires russes sont plus bas), cela illustre que l'Europe n'a certainement pas besoin d'être sans défense.
Un scénario plus réaliste est que la Russie poursuivra surtout l'espionnage, le sabotage et l'ingérence politique. Avec ses ports, sa situation centrale en Europe, ses institutions internationales et ses capacités de défense insuffisantes, la Belgique est particulièrement vulnérable à cet égard. Des efforts supplémentaires urgents sont nécessaires, surtout pour nous protéger contre ce type de menace.
Dimanche, les Allemands se rendent aux urnes. Selon les sondages, il y aura un changement de politique, la CDU devenant à nouveau le plus grand parti. Il reste à voir avec quels partis la CDU pourra former une coalition, et surtout, comment l'AfD se débrouille. Il est fort probable que l'Allemagne adopte une politique légèrement plus favorable aux entreprises. La question cruciale est de savoir si le nouveau gouvernement renoncera à la politique budgétaire très stricte. Grâce à la « schwarze Null », les gouvernements allemands mènent depuis des années une politique budgétaire très stricte. Cela a contribué au fait que les investissements publics en Allemagne figurent parmi les plus bas d'Europe depuis des années (avec la Belgique). Des dépenses publiques supplémentaires seront nécessaires dans les années à venir, notamment pour la défense, les infrastructures et la transition durable.
L'économie allemande stagne ou se contracte depuis plus de deux ans. L'activité économique y a diminué de 0,9 % depuis le milieu de 2022. Le candidat déclaré à la chancellerie, Friedrich Merz (CDU), a déjà indiqué que l'Allemagne devait adopter un nouveau modèle économique. Une combinaison de réglementations moins strictes, de plus de marge de manœuvre pour les entreprises et de plus d'investissements de la part de l'État pourrait donner un nouvel élan à l'économie allemande. Étant donné que l'Allemagne reste l'un de nos principaux partenaires commerciaux, cela est bien sûr également pertinent pour l'économie flamande. Attendons de voir s'il existe une coalition capable/souhaitant s'y atteler.
Une nouvelle semaine, une nouvelle menace de Trump avec des droits de douane. Cette semaine, il s'agit d'un droit de douane de 25 % sur les voitures, les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques. Ce dernier point est particulièrement pertinent pour la Flandre. Le secteur pharmaceutique est notre secteur industriel le plus important. Avec la chimie, le secteur pharmaceutique représente près d'un quart de nos exportations, et même 60 % de nos exportations vers les États-Unis. Une perturbation du commerce international des produits pharmaceutiques aurait donc des conséquences douloureuses pour l'économie flamande. Reste à savoir si Trump concrétisera ses menaces, mais l'incertitude supplémentaire créée par ce type de guerre commerciale stop/start cause déjà des dommages économiques (notamment par son impact sur les décisions d'investissement).
Alors que l'alliance occidentale entre les États-Unis et l'Europe est remise en question, c'est surtout la Chine qui semble être le troisième larron (bien plus que la Russie). Un Occident divisé n'est bien sûr pas une mauvaise chose pour la Chine. Outre ce vent géopolitique relativement favorable, quelques facteurs positifs sont apparus récemment pour la Chine. Ces dernières semaines, il y a eu quelques signes hésitants d'amélioration de l'économie chinoise (bien que la situation du marché immobilier reste préoccupante). De plus, la percée remarquable de Deepseek a montré que la Chine joue un rôle plus important qu'on ne le pensait dans la course à l'IA.
La Chine est encore confrontée à un énorme défi démographique au cours des prochaines décennies (avec une population qui diminue), mais fait parallèlement de grands progrès en matière d'innovation et de contrôle stratégique de l'ensemble de ses chaînes de production.
Dans toute cette violence géopolitique, la fin de l'Europe a été annoncée ces dernières semaines dans certains milieux, au sens où « l'Europe ne joue plus » et « l'Europe ne fera que continuer à décliner ». Cela n'est pas forcément le cas. L'Europe a un énorme potentiel pour mieux faire économiquement. Une grande partie de ce qui est nécessaire pour y parvenir dépend toutefois d'une coopération plus étroite entre les États membres. La nouvelle Commission européenne semble vouloir faire de nouvelles démarches, notamment avec des plans pour soutenir l'industrie et réduire sensiblement les charges administratives.
Le grand potentiel réside cependant dans l'achèvement du marché unique, notamment pour les services. Pour des questions comme le financement, l'innovation, la numérisation…, cela pourrait faire une grande différence. La situation politique difficile en France et aux Pays-Bas (et attendons de voir ce qu'il en sera en Allemagne) ne facilite pas les choses. Mais si l'Europe veut continuer à jouer un rôle économique, elle n'a pratiquement pas d'autre choix. Plus vite cette prise de conscience se fera, mieux ce sera.
Les changements géopolitiques créent une incertitude supplémentaire, et il ne semble pas que cela s'améliorera à court terme. Trump reste un facteur imprévisible. Pour l'Europe, toute la scène géopolitique pointe dans une seule direction : l'Europe doit absolument prendre les choses en main, tant sur le plan économique que sur le plan de la défense. À différents niveaux politiques, cette prise de conscience (bien tardive) est en train de s'imposer. Attendons de voir si l'Europe réussira à faire des progrès concrets.