La preuve « par vraisemblance », désormais appliquée en droit fiscal

La réforme du droit de la preuve introduite par la loi du 13 avril 2019 a marqué une étape importante dans l'évolution des mécanismes probatoires.

Ce principe, déjà consacré par la jurisprudence, a été intégré dans le Livre 8 du Code civil et s'étend désormais à la matière fiscale, où il vient de trouver une application intéressante, dans le cas de dispenses de précompte professionnel pour des entreprises engagées dans des activités de recherche et développement (R&D).

La preuve par vraisemblance se distingue en ce qu'elle permet de prouver certains faits, notamment négatifs, en remplaçant l'exigence d'une certitude absolue par un degré moindre de conviction, pour autant que des conditions précises soient respectées.

Situation avant l’adoption du Livre 8

Avant la réforme, la preuve par vraisemblance était déjà partiellement consacrée par la jurisprudence, tant par les cours et tribunaux belges que par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

Ce principe permettait de prouver des faits négatifs lorsqu'il était jugé difficile voire impossible de les établir avec certitude, à condition que toutes les parties aient collaboré à l’administration de la preuve. Ce mécanisme avait pour but d'inciter la partie adverse à produire les éléments de preuve qu'elle détenait.

Ce recours à la vraisemblance visait à pallier la difficulté de prouver certains faits négatifs, selon le principe juridique latin « negativa non sunt probanda » (les faits négatifs ne doivent pas être prouvés). Cette notion de fait négatif, telle que reprise dans les travaux parlementaires, se définit comme une "proposition négative indéfinie", c'est-à-dire un fait qui devrait être prouvé par une infinité de possibilités.

Un exemple typique dans le droit civil concerne les litiges en matière de responsabilité médicale. Imaginons un patient qui souhaite prouver que son médecin n’a pas respecté son devoir d'information avant une opération chirurgicale. Il est souvent impossible pour le patient de démontrer qu'aucune information n'a été donnée. Dans ce cas, la preuve par vraisemblance pourrait être utilisée : si le patient prouve qu'il n’a signé aucun document informatif ni reçu d’explications claires, cela peut suffire à convaincre le juge qu'il est plausible qu'aucune information n’a été fournie.

Réforme du droit de la preuve dans le nouveau Code civil

La loi de 2019 a consacré dans l'article 8.6 du Livre 8 du Code civil le principe de la preuve par vraisemblance.

Conformément à cet article, lorsqu'il est impossible ou déraisonnable d'exiger une preuve certaine, la preuve par vraisemblance peut suffire, à condition que toutes les parties aient collaboré. Ce principe repose sur une modification du standard de preuve habituel, en remplaçant le degré de certitude raisonnable par un degré moindre de conviction, selon l'article 8.5 du même Livre.

Ce changement vise à faciliter la preuve des faits négatifs, mais s'applique également aux faits positifs lorsqu'il n'est pas possible de les prouver de manière certaine. Ce principe de vraisemblance prépondérante, emprunté à la jurisprudence suisse, repose sur l'existence de motifs sérieux qui corroborent objectivement les allégations de fait, même si une certitude absolue n'est pas atteinte. Les travaux parlementaires estiment qu'un taux de certitude de 75 % est suffisant dans ces cas.

Première application en matière fiscale

La première application notable de ce principe en matière fiscale a été observée dans un jugement du tribunal de première instance du Brabant wallon du 17 février 2023. L'affaire portait sur une dispense partielle de versement du précompte professionnel pour une entreprise engagée dans des activités de recherche et développement (R&D), prévue par l'article 275/3 du Code des impôts sur les revenus (CIR 92).

Dans les faits, la position de l’État belge était de dire que l’entreprise ne démontrait pas que l'inscription des projets ou programmes auprès du Service public fédéral (SPF) de Programmation de la Politique scientifique fédérale (Belspo) remplissait les mentions requises pour pouvoir bénéficier de la dispense de versement de précompte professionnel.

Cependant, bien que l’entreprise n’avait pas établi de notification écrite auprès de Belspo, ce dernier avait établi un document écrit duquel ressortaient, parfois implicitement, les éléments à reprendre dans la notification.

Le tribunal a statué de la manière suivante.

La notification d'un projet ou d'un programme de R&D peut se faire de différentes manières, par exemple, oralement durant une présentation à Belspo sans que cela contrevienne à l’article 275/3, § 3, al.4 du CIR92.

La preuve de la conformité de la notification incombe à la partie qui sollicite la dispense du précompte professionnel.

La forme de la notification n'étant pas légalement spécifiée, la preuve de la réalisation de cette exigence formelle ne peut que difficilement être rapportée avec un degré suffisant de certitude.

Dès lors, la preuve par vraisemblance doit être admise, conformément à l'article 8.6 du Code civil.

Le tribunal a ainsi admis que, bien qu'il soit difficile de prouver avec certitude la notification formelle, des éléments sérieux dans le dossier accréditaient la version de l'entreprise. Il a donc accepté la preuve par vraisemblance, précisant que les alternatives invoquées par l'administration fiscale n'étaient pas suffisamment vraisemblables pour remettre en cause cette preuve.

Importance du jugement et conséquences pour les contribuables

Ce jugement est important car il renforce la protection des droits des contribuables.

En matière fiscale, où la preuve est souvent difficile à apporter avec certitude, la possibilité de recourir à la preuve par vraisemblance permettra aux justiciables de faire plus aisément la démonstration de leurs droits

Il s’agit d’une évolution significative du droit de la preuve en matière fiscale.

François Collon (fcollon@collon-law.be) avec l'aide de Sofian Carlot

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