Depuis que j’observe la vie politique, je crois que je n’ai jamais été autant stupéfait par le cynisme de ceux qui veulent nous diriger. Partout, les pouvoirs se verticalisent, s’imposent autour de personnalités éphémères, négligent l’érudition, la pensée longue et l’intuition éduquée, capturent l’attention médiatique, oublient leur manque de légitimité et leurs obligations morales.
On croit construire des personnalités sur des effets de manche, mais on ne fait que bâtir des images fugaces, comme si tout réseau social suffisait à conférer de la légitimité. TikTok remplace le diplôme, sans que ce dernier soit un signe de compétence, tandis que les centimilliardaires de la tech américaine n’ont justement pas de formation académique. Ce constat illustre certes la force de l’entrepreneuriat, mais il dévalue indirectement ceux qui ont choisi la structure de l’étude, pourtant indispensable pour bâtir une société par la transmission et le déploiement du savoir.
Ce qui se passe aux États-Unis est donc stupéfiant et risque de fracturer ce pays, autrefois fondé sur le respect de l’autorité administrative. À coups d’ukases et de gesticulations avec des tronçonneuses, on agite, tels des empereurs devant des gladiateurs, un peuple hypnotisé par des spectacles qui détruisent la vie de ceux dont l’existence disparaît dans les scintillements des smartphones. Et l’on voit un président, l’homme le plus puissant de la planète, après avoir perdu toute réserve, se faire dominer par l’homme le plus riche de ce même monde, qui virevolte comme s’il avait perdu sa raison. On y voit un présentateur de télévision devenir ministre de la Défense, un détracteur de la science responsable de la santé, et ainsi de suite.
L’émotion remplace l’érudition, le sentiment dépasse la somme des savoirs. Tout ceci est profondément navrant, car il est impossible qu’une telle agitation ne gagne pas l’Europe, continent certes plus ancré, mais aussi déçu de lui-même. Je crois que je commence à moins aimer l’année 2025. Et cela m’attriste tellement, alors que j’aime ce pays, qui fut la mère patrie de ma grand-mère et au sein duquel j’ai trouvé l’oxygène, notamment académique, que la Belgique ne fournissait plus.
Je me retrouve dans ces quelques extraits du Bloc-notes de François Mauriac datant du 3 septembre 1959 : « Ce peuple [américain], par bien des aspects de son génie, m’est plus étranger qu’aucun autre. Lui, il a fait beaucoup, plus que nous visiter : il nous a transformés… Mais, par-dessus tout, le culte, l’idolâtrie de la technique, de toutes les techniques inventées par l’homme et auxquelles l’homme s’asservit, la folie de la vitesse, ce tournis qui affecte tous les moutons de l’Occident, une trépidation à laquelle aucun de nous n’échappe : une démesure en toutes choses… »