La faiblesse du dollar va immanquablement s’imposer et pour y parvenir les États-Unis vont mettre en œuvre des mesures autoritaires et certainement non conventionnelles.
Jour après jour, il devient plus facile de discerner l’aboutissement des décisions de Donald Trump. Il veut créer un nouvel ordre mondial, lui-même fondé sur une fragmentation du globe afin d’assurer la suprématie des États-Unis.
Il faut donc s’intéresser au dollar, un sujet auquel les milieux politiques et académiques consacrent une attention croissante, sans qu’elle ait déjà traversé l’Atlantique. Selon Donald Trump, un nouvel ordre mondial repose sur un dollar faible. En effet, pour assurer la domination de leur monnaie, les États-Unis ont besoin d’un dollar abondant et transactionnel, ancré dans toutes les anfractuosités du commerce mondial, et non d’une devise forte qui pénalise les exportations américaines et pousse à la thésaurisation.
Malheureusement, les premières mesures de Donald Trump ont renforcé le dollar. En effet, des barrières tarifaires appliquées aux importations, combinées à des baisses d’impôts et à l’expulsion présumée de résidents américains illégaux, sont de nature à générer de l’inflation. Or, cette inflation doit être combattue par la Banque centrale américaine (la Federal Reserve), dont l’un des objectifs est d’assurer la stabilité des prix en maintenant des taux d’intérêt suffisamment élevés pour la contenir. Et des taux d’intérêt américains élevés rendent le dollar plus attractif, donc haussier.
Il y a donc une contradiction évidente, mais une certitude s’impose: dans le chaos de ces impulsions contraires, c’est la faiblesse du dollar qui va immanquablement s’imposer, d’autant que la dette publique américaine atteint un niveau d’insoutenabilité et que ses charges d’intérêt vont bientôt dépasser le budget de la défense américaine. Il est donc évident que les États-Unis vont mettre en œuvre des mesures autoritaires et certainement non conventionnelles, non pas dans un rapport de négociation avec les autres autorités monétaires, mais dans une affirmation unilatérale de force.
À cet égard, il faut rappeler le paradoxe de l’économiste belge Robert Triffin (1911-1993), conseiller du président John F. Kennedy (1916-1963), qui avait prédit qu’il était impossible que le dollar soit à la fois une monnaie forte et une monnaie qui fournit sa propre liquidité au reste du monde. Cette analyse l’avait conduit à anticiper l’effondrement du système d’étalon-or, imaginé en 1944 et sabordé en 1971 par les États-Unis, entraînant une dévaluation abyssale du dollar au cours des années 1970.
C’est à ce stade qu’il faut faire intervenir un homme qui devient incontournable dans l’entourage de Donald Trump. Il s’agit de Stephen Miran qui, a 41 ans, est le nouveau président du Council of Economic Advisors de la Maison-Blanche et proche du secrétaire au Trésor Scott Bessent. Stephen Miran a théorisé une approche combinant droits d’importation et manipulation du dollar, visant à atteindre trois objectifs: financer l’immense déficit public américain, qui atteint des profondeurs inédites, dévaluer le dollar pour stimuler le potentiel d’exportation américain et maintenir des taux d’intérêt bas sur la dette américaine afin que le dollar soit utilisé à des fins transactionnelles et non de thésaurisation, pour préserver son rôle de source de liquidité mondiale.
Stephen Miran est un critique virulent du président de la Réserve fédérale, Jay Powell, et remet en cause l’indépendance de la Federal Reserve, au motif qu’elle est contraire aux exigences démocratiques et au système constitutionnel des États-Unis. Selon cet économiste, il est impératif que les responsables de la Federal Reserve soient révocables à tout moment par le président des États-Unis.
L’idée de Stephen Miran est que les droits de douane américains deviennent un argument de négociation. Ils seraient modulés en fonction de la volonté des partenaires commerciaux à souscrire à des obligations américaines à très long terme (un siècle), voire perpétuelles, comme condition pour éviter les guerres commerciales de Donald Trump et le retrait de la protection militaire américaine. Il est clair que la valeur de ces obligations tendrait rapidement vers zéro, ne serait-ce qu’en raison de l’inflation, mais aussi de la dépréciation du dollar. Les pays commerçant avec les États-Unis ou dépendant de leur protection militaire se retrouveraient ainsi contraints de financer gratuitement les États-Unis. Cela aurait pour conséquence évidente d’affaiblir le dollar.
Mais Stephen Miran va encore plus loin. Il propose que la Maison-Blanche utilise des pouvoirs spéciaux pour réduire les coupons d’intérêt sur les obligations américaines détenues par les banques centrales étrangères qui refuseraient de réévaluer leur monnaie par rapport au dollar.
Ces démarches sont bien sûr très lourdes, et je crois que Donald Trump va placer la Réserve fédérale sous sa tutelle afin qu’elle refinance la dette américaine à un taux d’intérêt nul, voire négatif. Ce jour-là, le taux d’intérêt réel de la dette américaine deviendrait donc négatif, après déduction de l’inflation, ce qui entraînerait l’effondrement progressif du dollar, puisque sa valeur serait détruite par l’inflation, non compensée par un taux d’intérêt.
Ce serait une première dans l’histoire monétaire, puisque le dollar est l’étalon monétaire de référence. Ce dernier perdrait alors progressivement de sa valeur, conduisant à de multiples dévaluations concurrentielles des autres devises. Ce scénario est connu: il fut observé dans les années 1970, dans un chaos monétaire indescriptible, accompagné d’une flambée d’inflation inédite.
Tout cela relève bien sûr, pour l’instant, de la science-fiction monétaire. Mais peut-être pas tant que ça. L’important n’est pas d’avoir – et je ne l’espère pas – raison trop tôt, mais de se dire que si Donald Trump met en œuvre des mesures unilatérales pour affaiblir le dollar, les modèles de risques bancaires ne tiendront pas.
À nouveau, la question pourrait être de savoir par quoi remplacer le dollar. Mais ce n’est pas la bonne question. Il s’agit plutôt de comprendre comment la gestion des risques bancaires peut résister à une dépréciation massive du dollar. Les Européens ne sont pas prêts à ces réalités, certes incertaines. Mais il est évident que la BCE doit se préparer à des évènements inattendus. Le premier mois de présidence de Donald Trump a apporté trop de stupéfactions pour croire que la politique monétaire des États-Unis ne sera pas affectée.