Une décision récente du Service des Décisions Anticipées (SDA) a mis en lumière la complexité de la détermination de la résidence fiscale des époux, en soulignant l'importance d'une analyse minutieuse des faits spécifiques de chaque cas. La décision 2023.0887 a confirmé que, dans certaines circonstances, deux époux mariés peut avoir des résidences fiscales distinctes.
Monsieur X et Madame Y sont mariés sous le régime de la séparation des biens. Ils sont depuis des années considérés comme résidents fiscaux en Belgique et ont jusqu'à ce jour introduit des déclarations communes à l'impôt des personnes physiques.
La famille entend désormais résider essentiellement en France. Monsieur X va travailler sur le territoire français pendant au moins 40% de son temps professionnel mais aussi en Belgique , cette situation impliquant un split de la rémunération sur les deux pays.
L'exercice de l'activité professionnelle en France et l'éloignement de la Belgique qui en résulte ne doivent pas être considérés comme temporaires. Monsieur X a sollicité sa radiation du Registre national des personnes physiques en Belgique.
Madame Y, de son côté, effectuera des passages fréquents (chaque semaine ou tous les quinze jours) en Belgique d'où elle veillera à la gestion de son patrimoine privé et maintiendra le suivi des sociétés dans lesquelles elle assure un mandat d'administratrice. Elle restera inscrite au Registre national des personnes physiques.
En outre, Madame Y conservera des attaches personnelles fortes avec la Belgique et reviendra donc de façon régulière, notamment pour les fêtes de famille (Noël, anniversaires, mariages, baptêmes et autres réunions familiales). Les liens personnels de Madame Y vis-à-vis de la Belgique seront également consolidés par une présence continuée en Belgique au sein de plusieurs associations et organisations.
Conformément à l’article 2, § 1er, 1° du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après « CIR 92), une personne physique est considérée comme résident fiscal de la Belgique lorsqu’elle a établi en Belgique
> soit son domicile ;
> soit le siège de sa fortune, lorsqu'elle n'y a pas établi son domicile.
L'article 2, § 1er, 1°, alinéa 2 du CIR 92, instaure une présomption légale qui, sauf preuve contraire, qualifie d'habitant du Royaume la personne qui est inscrite au registre national des personnes physiques. Cette présomption légale peut être renversée : le contribuable qui conteste être un habitant du Royaume peut en apporter la preuve contraire en démontrant - par tous moyens de preuve admis par le droit commun à l'exception du serment - que bien qu'inscrit au registre de la population, il n'a pas la qualité d'habitant du Royaume.
Enfin, l'article 2, § 1er, 1°, alinéa 3 du CIR 92, précise que le domicile fiscal des conjoints est fixé à l'endroit où est établi le ménage.
La notion de domicile fiscal s'apprécie en fait et est indépendante de celle de la nationalité ou du domicile civil. Le commentaire administratif définit le domicile comme le lieu où une personne réside de manière effective et continue ou celui où elle a son foyer familial ou le lieu où se trouve le centre de ses intérêts vitaux (relations et occupations sociales, culturelles, politiques…) Il précise également que le domicile fiscal est d'abord le lieu où une personne physique réside de manière effective et continue, en d'autres termes là où elle vit et travaille.
La personne qui est inscrite au Registre national des personnes physiques est présumée, sauf preuve contraire, qualifier d'habitant du Royaume. Selon l'Administration, le fonctionnaire taxateur peut admettre, sans autre examen, que la personne est habitant du Royaume lorsqu'elle demeure inscrite au registre de la population de sa commune.
S'agissant des personnes mariées, le domicile fiscal se situe à l'endroit où est établi le ménage, à savoir le siège du foyer familial. Il s'agit d'une présomption irréfragable qui n'admet pas la preuve contraire sauf application d'une convention préventive de la double imposition.
Lorsqu'une personne n'a pas établi son domicile en Belgique, elle peut néanmoins être considérée comme un habitant du Royaume si elle y a établi le siège de sa fortune.
Le commentaire administratif précise à cet égard que le « domicile fiscal » et le « siège de la fortune » constituent deux critères alternatifs permettant d'établir la qualité d'habitant du Royaume. Chacun d'eux constitue à lui seul un critère indépendant et suffisant qui peut être employé comme critère principal.
La jurisprudence et le commentaire administratif définissent le siège de la fortune comme l'endroit, caractérisé naturellement par une certaine unité, à partir duquel le propriétaire de la fortune ou des biens qui font partie de cette fortune les gère ou contrôle la gestion de ceux-ci Le lieu de la situation des biens qui constituent la fortune ne doit pas être pris en considération. Il peut donc y avoir siège de la fortune en Belgique si, sur la base d'un faisceau d'indices concordants, il apparaît que la personne physique n'est plus physiquement présente en Belgique mais que sa vie économique (et sociale) est en fait restée ancrée dans le territoire belge.
En ce qui concerne le critère du domicile fiscal, le commentaire administratif dispose « qu'en ce qui concerne les conjoints (…), la qualité d'habitant ou de non-habitant du Royaume des deux époux doit s'apprécier globalement et en commun. Les conjoints sont soit tous deux habitants du Royaume, soit tous deux non-habitants du Royaume (…). Deux personnes mariées doivent donc en principe être soumises au même impôt (soit l'IPP, soit l'INR/p.p.) ».
Il est souligné que le texte légal ne rattache cette considération concernant « l'unité de domicile fiscal » entre époux qu'au seul critère de « domicile fiscal » et non pas au critère du « siège de la fortune ».
Sur la base des éléments de fait qui lui ont été présentés, le SDA conclut que le couple, dont l’organisation familiale est située en France, ne peut avoir son domicile fiscal en Belgique.
S’agissant de Monsieur X, sa présence en Belgique se limite à des activités professionnelles, et non à la gestion de son patrimoine, ce qui exclut la Belgique comme son domicile fiscal.
Cependant, Madame Y, qui gère activement son patrimoine depuis la Belgique, sera considérée comme résidente fiscale belge.
Cette analyse au cas par cas démontre que, malgré un départ effectif de la Belgique et une domiciliation à l'étranger, il est possible que les membres d’un couple aient des résidences fiscales distinctes.
Cette décision met en lumière la complexité de la détermination de la résidence fiscale. Elle précise en outre la portée du concept d'unité familiale en droit fiscal belge. Si la résidence fiscale des époux est présumée commune, l'unité de domicile fiscal » entre époux ne se rattache qu'au seul critère de « domicile fiscal » et non au "siège de la fortune".
En confirmant que Madame Y doit être considérée comme résidente fiscale belge en raison de la gestion de son patrimoine, le SDA confirme qu’il est parfaitement envisageable que des époux aient des résidences fiscales distinctes.
Cette décision incite à une prudence accrue en cas de transfert de résidence à l’étranger et à une analyse précise de la situation qui en résulte pour chacun des époux.