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Actionnariat salarié en Belgique: vers Un nouveau projet de réforme?

Un nouveau projet de réforme pour associer vos collaborateurs à la gouvernance et aux résultats de votre entreprise

Le 14 octobre 2025, une proposition de loi intéressante a été déposée à la Chambre (Doc 56 1109/001). Cette proposition de loi pourrait transformer en profondeur la manière dont les travailleurs belges peuvent participer au capital des entreprises.

Cette réforme, qui modifie la loi du 22 mai 2001, mérite de l’attention car, au-delà de la participation des travailleurs au capital des entreprises, elle pourrait également modifier considérablement le paysage des rémunérations alternatives ainsi que de la gouvernance d’entreprise en Belgique.


1. Objectifs de la proposition de loi

La proposition de loi poursuit un objectif qui peut se résumer comme suit : moderniser et rendre réellement efficient le cadre législatif permettant aux travailleurs de devenir actionnaires de leur entreprise, tout en leur donnant une voix dans leur gouvernance.

Cette ambition se décline en trois missions qui méritent d’être comprises dans leur profondeur.

1.1. Rapprocher capital et travail

Premièrement, pour les rédacteurs de la proposition de loi, il s’agit de rapprocher les acteurs liés au capital et les travailleurs. L’idée développée n’est pas neuve. Elle est la suivante : l’entreprise ne devrait plus être perçue comme un espace où coexistent des intérêts fondamentalement divergents, voire antagonistes, entre ceux qui détiennent le capital et ceux qui apportent leur force de travail.

La proposition de loi entend créer les conditions d’une convergence d’intérêts en permettant aux travailleurs de devenir eux-mêmes actionnaires et en leur offrant une place à la table où se prennent les décisions stratégiques.

1.2. Renforcer la transparence

Deuxièmement, la proposition de loi veut renforcer la transparence au sein des entreprises. Cette transparence s’entend à plusieurs niveaux :

  • D’une part, les travailleurs doivent pouvoir comprendre clairement les mécanismes qui leur permettent de devenir actionnaires, les avantages qui y sont attachés, mais aussi leurs droits et obligations. Dans cette optique, la proposition de loi prévoit l’établissement d’une brochure explicative qui doit expliquer clairement tous ces éléments dans un langage compréhensible.
  • D’autre part, la transparence concerne également les processus décisionnels au sein des entreprises. Il s’agit, ici, de permettre aux représentants des travailleurs actionnaires de siéger au conseil d’administration (ou de surveillance), et, de la sorte, de faciliter la circulation des informations entre la direction et le terrain, en créant un pont entre la stratégie élaborée « en haut » et la réalité opérationnelle vécue « en bas » quotidiennement.

1.3. Faire de l’avenir de l’entreprise un projet commun

Troisièmement, et c’est peut-être l’objectif le plus ambitieux, la proposition entend accroître l’implication de tous dans l’avenir des entreprises, de sorte que cet avenir puisse être considéré par l’ensemble des acteurs comme un projet véritablement commun.

Cette vision rompt avec le modèle traditionnel où les travailleurs exécutent des décisions prises par d’autres, sans nécessairement en comprendre la logique stratégique ou y adhérer pleinement. L’hypothèse est qu’une entreprise dont les travailleurs se sentent co-responsables de l’avenir sera plus résiliente face aux crises, plus innovante, et bénéficiera d’une meilleure cohésion sociale interne.

1.4. Un contexte européen

Pour les rédacteurs de la proposition de loi, cette dernière s’inscrit également dans un contexte européen bien précis. Le Parlement européen et la Commission européenne ont ainsi, à plusieurs reprises, invité les États membres à promouvoir activement l’actionnariat salarié et la participation des travailleurs à la gouvernance d’entreprise.

On peut lire dans l’exposé des motifs qui précède la proposition de loi que la Belgique accuserait, dans ce domaine, un retard significatif par rapport à ses voisins. Alors que la France compterait environ 2,8 millions de travailleurs associés au capital de leur entreprise, l’Allemagne environ 900 000 et le Royaume-Uni 1,7 million, la Belgique n’en compterait que moins de 30 000, un chiffre en déclin ces dernières années (!).

Plus préoccupant encore, près de 80 % des titres attribués dans le cadre des dispositifs existants resteraient concentrés entre les mains des cadres supérieurs, ce qui signifie que la majorité des travailleurs demeureraient exclus de ces mécanismes.


2. Les dispositifs existants et les raisons de leur échec relatif

Pour comprendre la proposition de loi, les rédacteurs de celle-ci reviennent sur l’historique des mécanismes d’actionnariat salarié en Belgique et analysent pourquoi ils n’ont pas produit les résultats escomptés.

En bref, il est expliqué qu’au début des années 2000, le législateur belge a constaté que notre pays avait pris un retard considérable par rapport à ses voisins européens en matière d’association des travailleurs au capital ou aux bénéfices de leur entreprise.

Certes, plusieurs dispositifs avaient été adoptés, notamment :

  • les options sur actions,
  • l’attribution d’actions gratuites ou avec décote,
  • les restricted stock units,
  • les souscriptions d’actions lors d’augmentations de capital,
  • ou encore le régime dit « ex-Monory bis » d’acquisition spontanée d’actions.

Mais tous ces mécanismes présentaient un défaut majeur : ils se réduisaient dans les faits à des instruments de motivation individuelle, très majoritairement réservés aux cadres supérieurs et aux dirigeants d’entreprise.

Autrement dit, ils n’avaient aucune dimension collective et ne permettaient pas d’associer l’ensemble des travailleurs au capital, à la gestion et à la réussite des entreprises.

2.1. La loi du 22 mai 2001 : une innovation à dimension collective

C’est dans ce contexte qu’aurait été adoptée la loi du 22 mai 2001 relative à la participation des travailleurs au capital des sociétés et à l’établissement d’une prime bénéficiaire.

Cette loi présentait une innovation fondamentale par rapport aux dispositifs précédents : elle instaurait un plan de participation à dimension résolument collective.

Concrètement, les sociétés qui choisissaient d’y recourir devaient obligatoirement associer l’ensemble de leurs travailleurs, sans distinction. Les travailleurs recevaient ainsi une partie des bénéfices sous la forme d’actions gratuites munies d’un droit de vote, le tout moyennant une fiscalité et une parafiscalité avantageuses.

Cette approche inclusive visait à impliquer chacun dans l’activité et la réussite de l’entreprise, marquant ainsi une rupture philosophique avec les dispositifs antérieurs.

La dimension collective du mécanisme mis en place se reflétait également dans les modalités d’instauration des plans mis en œuvre, qui reposaient sur une concertation entre employeur et travailleurs.

  • Lorsqu’une délégation syndicale existait au sein d’une société ou d’un groupe qui envisageait la mise en place de tels plans, la conclusion d’une convention collective de travail était obligatoire.
  • Dans les entreprises dépourvues de délégation syndicale, l’employeur pouvait opter soit pour une convention collective, soit pour un acte d’adhésion, toujours dans le strict respect des prescriptions légales.

Cette architecture témoignait d’une volonté d’ancrer le dispositif dans le dialogue social.

2.2. Un succès limité

Malheureusement, près de vingt-cinq ans après son adoption, les rédacteurs de la proposition de loi font le constat que la loi du 22 mai 2001 n’a rencontré qu’un succès très limité.

Pour eux, les raisons de cet échec relatif sont multiples et peuvent se résumer comme suit :

a) Une complexité procédurale dissuasive

Tout d’abord, les obstacles procéduraux et la complexité de mise en œuvre des plans de participation ont constitué un frein majeur.

Le passage obligé par une convention collective de travail en cas de présence d’une délégation syndicale présente toujours une contrainte importante pour les entreprises.

Plus problématique encore, la procédure par acte d’adhésion souffre d’une fragilité structurelle : lorsque la conciliation entre les points de vue de l’employeur et des travailleurs échoue, le plan doit être purement et simplement abandonné.

Cet effet paralysant signifie qu’un désaccord, même sur de simples questions procédurales, peut faire capoter l’ensemble du projet et priver les travailleurs d’un accès à la participation au capital alors même qu’ils pourraient le souhaiter. Pour les dirigeants d’entreprises, ce type d’incertitude quant à l’aboutissement du processus constitue un risque significatif qui dissuade d’entreprendre la démarche.

b) Une attractivité fiscale et parafiscale insuffisante

Ensuite, le déficit d’attractivité fiscale et parafiscale du dispositif de 2001 a constitué un handicap sérieux.

Dans la pratique, pour les rédacteurs de la proposition de loi, le régime fiscal des plans de participation apparaît nettement moins favorable que celui d’autres formes de rémunération alternative, notamment les options sur actions.

Concrètement, les actions attribuées dans le cadre de la loi de 2001 sont soumises à un prélèvement libératoire de 15 %, auquel s’ajoute une taxe additionnelle de 23,29 % si le travailleur ne respecte pas la période d’indisponibilité minimale de deux ans.

Cette combinaison est de nature à créer une incertitude quant au coût fiscal final et réduit considérablement l’attrait du mécanisme pour les travailleurs.

c) Une limite structurelle en matière de gouvernance

Enfin, et c’est peut-être l’obstacle le plus fondamental pour les rédacteurs de la proposition de loi, la loi de 2001 présente une limite structurelle en matière de gouvernance.

Même lorsque les travailleurs deviennent actionnaires de leur entreprise grâce au plan de participation, ils ne détiennent généralement pas de participation suffisante pour peser sur la nomination des membres de l’organe de gestion et influer sur ce dernier.

Dans les faits, seuls les intérêts des actionnaires traditionnels ou leurs voix continueraient donc d’être effectivement pris en compte ou entendus au sein des conseils d’administration.


3. Solution proposée par les auteurs de la proposition de loi

La proposition entend remédier aux obstacles identifiés en s’articulant autour de trois axes touchant tant au droit social qu’au droit des sociétés et au droit fiscal.

L’originalité de l’approche réside dans son caractère systémique : elle ne se contente pas d’ajuster à la marge un dispositif existant, mais propose une refonte qui lie :

  1. participation financière,
  2. participation à la gouvernance, et
  3. attractivité fiscale,

le tout dans un ensemble assez cohérent.

3.1. Assouplissement procédural et transparence (droit social)

Sur le plan du droit social et de la flexibilisation procédurale, la réforme introduit un assouplissement majeur des modalités d’instauration des plans de participation.

L’employeur devrait disposer désormais d’un véritable choix entre :

  • (i) la voie de la convention collective de travail, et
  • (ii) celle de l’acte d’adhésion,

et ce indépendamment de la présence ou non d’une délégation syndicale au sein de l’entreprise.

Cette liberté de choix constitue une réelle avancée par rapport au système actuel qui impose la convention collective en présence d’une délégation syndicale.

Toutefois, pour préserver l’ancrage dans la concertation sociale qui caractérise la philosophie de la loi de 2001, l’acte d’adhésion demeure encadré : l’acte d’adhésion ne peut être adopté qu’à l’issue d’une médiation préalable obligatoire, conduite par un médiateur agréé par le SPF Emploi.

L’innovation la plus intéressante, ici, réside dans la suppression de l’obligation d’abandonner automatiquement le plan d’intéressement en cas d’échec de la conciliation / concertation.

Cette modification apparemment technique revêt en réalité une portée considérable. Pourquoi ? Parce qu’elle signifie qu’un désaccord ne privera désormais plus automatiquement les travailleurs qui le souhaitent d’un accès à la participation au capital de leur entreprise. Tout employeur pourra finaliser le plan par acte d’adhésion même si un consensus parfait n’a pu être atteint lors de la médiation.

En parallèle, la proposition introduit des exigences renforcées en matière de transparence et d’information.

Le Roi sera chargé d’arrêter un modèle de brochure standardisée, disponible en versions papier et électronique, destinée à expliquer dans un langage accessible :

  • les objectifs du plan,
  • les conditions d’éligibilité,
  • les mécanismes d’attribution,
  • les règles d’indisponibilité,
  • les droits et obligations des participants,
  • ainsi que le traitement fiscal et parafiscal applicable.

Cette brochure devra respecter des exigences strictes d’accessibilité, notamment en étant rédigée dans la langue imposée par la législation sur l’emploi des langues dans les relations sociales et en proposant une version “facile à lire et à comprendre”.

L’obligation de remise préalable de cette brochure aux travailleurs vise à réduire l’asymétrie d’information et à sécuriser juridiquement la procédure d’introduction.

3.2. Représentation obligatoire des travailleurs actionnaires (droit des sociétés)

Sur le plan du droit des sociétés et de la gouvernance d’entreprise, le projet de réforme introduit une innovation véritablement révolutionnaire : l’instauration d’une représentation obligatoire des travailleurs actionnaires au sein du conseil d’administration (ou du conseil de surveillance).

Cette mesure constitue un élément essentiel de la proposition et mérite d’être examinée avec attention, car elle modifie en profondeur la conception actuelle de la gouvernance d’entreprise en Belgique.

Concrètement, pour les rédacteurs de la proposition de loi, dans les entreprises occupant en moyenne au moins cent travailleurs et tenues de ce fait de constituer un conseil d’entreprise, tout plan de participation nouvellement instauré ou modifié après l’entrée en vigueur de la loi devrait prévoir la présence de représentants des travailleurs actionnaires au sein du conseil d’administration (ou de surveillance), avec voix délibérative.

Le nombre de représentants serait :

  • de deux, lorsque le conseil compte plus de huit administrateurs,
  • et d’un seul dans les autres cas.

Un élément essentiel du dispositif envisagé consiste également dans la distinction claire entre la fonction de représentant syndical et celle d’administrateur représentant les travailleurs actionnaires.

Les travailleurs exerçant déjà un mandat en tant que partenaires sociaux, que ce soit au sein de la délégation syndicale, du conseil d’entreprise ou du comité pour la prévention et la protection au travail, ne pourront pas être présentés comme candidats administrateurs.

Pour les rédacteurs de la proposition de loi, cette exclusion ne vise nullement à contourner le rôle des organisations représentatives des travailleurs, qui conservent leur place centrale et exclusive dans la concertation sociale, mais répond à une logique de séparation des fonctions :

  • le conseil d’administration définit l’orientation stratégique et veille à l’intérêt social de la société, dans le respect des devoirs fiduciaires imposés à tous les administrateurs, tandis que
  • la représentation syndicale et le dialogue social se concentrent sur la négociation des conditions de travail, l’emploi et la politique sociale.

En évitant toute confusion entre ces deux sphères, le dispositif envisagé permet d’assurer la pleine efficacité des syndicats dans leur rôle de contrepouvoir institutionnel tout en offrant aux travailleurs actionnaires une participation à la gouvernance dans une logique complémentaire.

Pour garantir l’effectivité du mandat d’administrateur des représentants des travailleurs actionnaires, plusieurs garanties seraient prévues. Les représentants des travailleurs devraient, entre autres :

  • bénéficier d’une formation initiale de trois jours, couvrant les aspects économiques, financiers et juridiques de la gestion d’entreprise, cette formation étant rémunérée comme temps de travail ;
  • recevoir une formation continue annuelle d’au moins un jour pour maintenir leurs compétences à jour ;
  • avoir une protection spécifique contre le licenciement, étendue à une période de grâce post-mandat, avec droit à réintégration ou à indemnité forfaitaire en cas de licenciement abusif.

En contrepartie, ces mêmes représentants des travailleurs nommés comme administrateurs devraient être soumis aux mêmes devoirs fiduciaires que les autres administrateurs, à savoir :

  • agir dans l’intérêt social,
  • assumer la responsabilité civile et pénale applicable aux administrateurs,
  • respecter les règles de conflits d’intérêts avec obligation d’abstention le cas échéant.

3.3. Renforcement de l’attractivité fiscale

Sur le plan fiscal, la proposition de loi introduit deux mesures importantes pour renforcer l’attractivité des plans de participation, ces avantages étant toutefois conditionnés à la présence effective de représentants des travailleurs au sein de l’organe de gestion.

a) Exonération de la taxe assimilée à l’impôt sur les revenus (plafond)

La première mesure prévoit une exonération de la taxe assimilée à l’impôt sur les revenus pour les actions octroyées dans le cadre d’un plan de participation, à concurrence d’un montant plafonné.

Ce plafond correspondrait au montant maximum jusqu’auquel les avantages non récurrents liés aux résultats de l’entreprise peuvent être exonérés de l’impôt des personnes physiques, soit 2 200 euros en montant de base, indexé à 3 622 euros pour l’exercice d’imposition 2026.

Au-delà de ce plafond, les actions attribuées redeviendraient imposables au taux de 15 %.

b) Suppression de la taxe additionnelle de 23,29 %

La seconde mesure consiste en la suppression pure et simple de la taxe additionnelle de 23,29 % qui sanctionnait jusqu’à présent la cession d’actions avant l’expiration de la période d’indisponibilité.


4. Conclusion

Indépendamment de l’articulation de cette proposition de loi avec les divers projets de réforme fiscale en cours ainsi que des obligations qu’elle entend faire peser sur les entreprises qui souhaiteraient mettre en place des plans d’intéressement, on ne peut que souligner l’originalité de l’initiative, qui réside dans son approche globale et systémique.

Contrairement aux tentatives précédentes qui se focalisaient sur un seul aspect du problème, la proposition de loi articule de manière assez cohérente trois dimensions complémentaires :

  1. la simplification procédurale pour lever les obstacles à l’adoption de futurs plans de participation ;
  2. la participation organique à la gouvernance pour donner un pouvoir, au moins d’influence, aux travailleurs actionnaires au sein des conseils d’administration (ou conseils de surveillance) des sociétés ;
  3. l’attractivité fiscale pour rendre le dispositif plus compétitif par rapport aux autres formes de rémunération alternative.

Pour le reste, il n’y a plus qu’à attendre et suivre le parcours législatif de cette proposition de loi.

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