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Procès antitrust contre Meta/Facebook: quels sont les enjeux et les conséquences possibles ?

Le groupe Meta (anciennement Facebook) fait face à un procès retentissant aux États-Unis, intenté par la Federal Trade Commission (FTC), qui pourrait entraîner, si la justice lui donne raison, la séparation forcée de WhatsApp et d’Instagram du groupe. L’affaire est historique et relance le débat sur la manière dont les autorités peuvent (et doivent) encadrer…

Le groupe Meta (anciennement Facebook) fait face à un procès retentissant aux États-Unis, intenté par la Federal Trade Commission (FTC), qui pourrait entraîner, si la justice lui donne raison, la séparation forcée de WhatsApp et d’Instagram du groupe. L’affaire est historique et relance le débat sur la manière dont les autorités peuvent (et doivent) encadrer les grandes plateformes numériques sans freiner l’innovation.

Monopole et abus de position dominante

Le droit américain (Sherman Act) comme le droit européen (article 102 TFUE) partagent une idée fondamentale : l’existence d’une position dominante n’est pas répréhensible en soi, mais elle devient problématique lorsqu’elle est acquise ou maintenue par des moyens déloyaux ou anticoncurrentiels.

Les deux régimes juridiques imposent d’abord d’identifier avec précision le marché pertinent, c’est-à-dire le périmètre dans lequel les entreprises sont en concurrence. Ce marché se définit à la fois sur le plan des produits ou services concernés (marché de produit) et du territoire géographique où cette concurrence s’exerce (marché géographique).

Ensuite, il faut prouver que l’entreprise en cause a porté atteinte à la concurrence non pas en proposant de meilleurs produits ou des prix plus attractifs, mais en recourant à des pratiques qui faussent le jeu concurrentiel, comme l’éviction de concurrents ou la fermeture du marché à de nouveaux entrants. Ce type de comportement constitue un abus de position dominante lorsqu’il est le fait d’une entreprise qui détient un pouvoir économique important sur le marché ainsi défini.

  • Exemple : Une entreprise vend des vélos électriques, une autre vend des trottinettes mécaniques (non électriques). Même si les deux permettent de se déplacer en ville, elles ne sont pas sur le même marché pertinent, parce que les caractéristiques du produit, le prix, le public cible et l’usage recherché sont différents. On a deux marchés distincts et le droit de la concurrence les considèrera comme tels.
  • Autre exemple : Une entreprise propose un service de streaming musical payant (comme Spotify Premium), tandis qu’une autre propose un service gratuit avec publicité (comme YouTube Music gratuit). Ici, la frontière du marché pertinent est floue : si les deux services permettent d’écouter de la musique à la demande, le modèle économique, la qualité du service, l’expérience utilisateur, et le niveau d’engagement ne sont pas les mêmes. Le régulateur devra donc établir qu’il s’agit d’un seul marché s’il veut appréhender leurs relations mutuelles dans un contexte de concurrence.

Ce que la FTC reproche à Meta

Dans le cas présent, la FTC soutient que Meta est en position dominante sur un marché qu’elle qualifie de « réseaux sociaux personnels » (c’est-à-dire centrés sur les interactions privées avec ses proches) et qu’elle a activement verrouillé ce marché.

La plainte de la FTC allègue que Facebook a mis en œuvre une stratégie systématique d’acquisition de concurrents potentiels, en particulier Instagram en 2012 et WhatsApp en 2014. À l’époque, ces entreprises étaient encore relativement modestes, mais prometteuses. Facebook aurait identifié leur potentiel et préféré les racheter plutôt que de les affronter, pour neutraliser une concurrence future.

Des documents internes sont cités, dans lesquels Mark Zuckerberg évoque explicitement l’idée que « racheter est parfois plus efficace que concurrencer ». Ces acquisitions, selon la FTC, ne sont donc pas de simples investissements, mais des manœuvres d’élimination stratégique.

À cela s’ajouteraient d’autres pratiques dites « exclusionnaires » : Meta aurait notamment restreint l’accès à ses interfaces de programmation (API) aux développeurs qui envisageaient de lancer des fonctions concurrentes.

Meta réfute ces accusations : l’entreprise rappelle que les acquisitions ont été validées par les autorités à l’époque, que les services achetés ont été considérablement développés depuis, et que les utilisateurs disposent aujourd’hui d’un large choix de plateformes (TikTok, Snapchat, YouTube, etc.). Elle conteste également la définition étroite du marché retenue par la FTC.

Les conséquences possibles

Si la FTC obtient gain de cause, Meta pourrait être contrainte de céder Instagram et WhatsApp. Une telle séparation serait un précédent de taille dans l’histoire du droit de la concurrence américain. Pour Meta, cela représenterait non seulement une perte d’actifs stratégiques, mais aussi une atteinte à toute évolution vers un modèle intégré. Pour les autorités, ce serait une victoire symbolique et pratique : le signal que les géants du numérique ne sont pas au-dessus des règles du jeu concurrentiel.

Un précédent important alimente ce débat : l’affaire Microsoft au tournant des années 2000. L’entreprise avait été accusée d’utiliser la position dominante de son système d’exploitation Windows pour favoriser son navigateur Internet Explorer au détriment de ses concurrents. Si un démantèlement avait été envisagé, la solution finale fut plus modeste — mais le principe était acté : même les géants du numérique doivent répondre du respect des règles concurrentielles.

Une affaire qui n’est pas qu’américaine

Ce procès s’inscrit dans un mouvement global de remise en cause du pouvoir croissant des grandes plateformes. En Europe, les autorités de la concurrence ont déjà infligé plusieurs amendes lourdes à des entreprises comme Google, Amazon ou Apple. L’Union européenne est allée plus loin avec le Digital Markets Act, qui entend encadrer les « gatekeepers » avant même qu’ils ne commettent d’abus.

Mais le procès Meta a une portée particulière parce qu’il interroge une ambition plus large : celle de créer une plateforme universelle, à l’image de WeChat en Chine.

En Chine, l’application WeChat est une « super-app » qui centralise la messagerie, le réseau social, le paiement, les services administratifs, la réservation, la géolocalisation… Elle est omniprésente dans la vie quotidienne : on y parle à ses proches, on réserve un taxi, on paie ses courses, on consulte un médecin, on accède à des services bancaires ou gouvernementaux. Développée par le géant Tencent, WeChat est à la fois une application, une plateforme et un écosystème. Elle s’intègre aussi à une galaxie de services connexes comme WeChat Pay, en concurrence avec Alipay, le système de paiement mobile lancé par Alibaba.

En Occident, aucun acteur n’est parvenu à proposer une telle intégration, et ce n’est pas seulement par choix stratégique : c’est aussi parce que les règles de concurrence rendent une telle croissance beaucoup plus difficile. La fragmentation réglementaire, la protection des données et le droit de la concurrence forment un environnement dans lequel l’idée même de « super-app » est regardée avec prudence.

La question n’est pas anodine. Dans un monde où l’attention des utilisateurs est un capital rare, une entreprise capable de proposer tout, tout de suite, et partout, a un avantage décisif. Mais elle a aussi un pouvoir qui inquiète.

Et si demain, WeChat lui-même tentait de s’imposer en Occident ? Et s’il n’en restait qu’un ?

Le procès intenté à Meta peut aussi se lire comme une tentative de préserver un certain pluralisme, non seulement économique, mais aussi culturel et démocratique, dans l’organisation des écosystèmes numériques. Mais ce modèle diversifié, pour conforme à nos valeurs occidentales qu’il soit, est-il soutenable à terme, face à la concurrence intégrée qui existe déjà ailleurs et qui se profile chaque jour de plus en plus clairement ? N’est-on pas en train de rehausser des digues dans le but de lutter contre la montée des eaux, et dans ce cas, combien de temps peut-on tenir de la sorte ?

Conclusion : concurrence, innovation et souveraineté

Le procès Meta/FTC ne vise pas seulement à sanctionner des actes passés ; il questionne le futur.

Car au-delà du cas Meta, une question plus large émerge : le monde numérique doit-il évoluer vers des plateformes totalement intégrées, à la manière du modèle chinois ? Le procès pose ainsi, en creux, la question de notre avenir numérique tout court. Voulons-nous un écosystème ouvert, diversifié, où les services restent séparés et interopérables, ou glisserons-nous progressivement vers une concentration des usages au sein d’un unique environnement ? Et si l’on opte pour un environnement intégré, comment arbitrer la tension entre l’auto-innovation et la croissance externe via rachats de concurrents ?

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