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Prix de transfert sous tension: les juridictions belges rappellent les limites de l’arbitraire

Une tendance claire : la preuve plutôt que la présomption

Deux jugements récents confirment une orientation nette de la jurisprudence belge : les ajustements en matière de prix de transfert (transfer pricing) doivent reposer sur des preuves concrètes et non sur de simples présomptions ou approximations administratives.

Les tribunaux rappellent que le contrôle fiscal, s’il est légitime, ne peut se substituer à une analyse économique rigoureuse du fonctionnement du groupe.


Tribunal de Bruxelles, 24 mars 2025 (n° 2023/2835/A)

> Le contexte

L’affaire concernait une filiale belge d’un groupe international actif dans les biens de consommation.

Pour l’exercice d’imposition 2018, la société avait déduit :

  • des redevances versées à la société mère néerlandaise pour l’usage de la marque et des services stratégiques du groupe ;
  • des frais liés à un contrat d’affacturage conclu avec une société liée à Singapour ;
  • et des intérêts intragroupe sur un prêt accordé par la société mère.

L’administration fiscale belge a rejeté ces charges au motif que :

  1. les redevances n’apportaient aucune valeur économique mesurable,
  2. la remise d’affacturage dupliquait d’autres coûts,
  3. le taux d’intérêt était excessif.

> Le jugement

Le tribunal a désavoué l’administration sur deux des trois points :

  • Il a reconnu que la marque du groupe présentait une véritable valeur économique et que l’intention de générer du revenu suffisait à justifier la déduction. Le rejet total des redevances a donc été jugé arbitraire.
  • Il a estimé que la remise d’affacturage représentait une contrepartie réelle pour la prise de risque de trésorerie, et que sa disqualification totale manquait également de fondement.
  • En revanche, le tribunal a confirmé le refus de déduction des intérêts, considérant que le prêt était lié à une réduction de capital et à une distribution de dividendes, et non à une activité génératrice de revenus — une position discutée mais cohérente avec la logique de déductibilité.

Tribunal d’Anvers, 22 novembre 2023 (n° 22/2122/A)

> Le contexte

Une société belge d’un groupe international avait contracté et octroyé des prêts intragroupe au taux de Euribor + 4,4 % (soit 5,4 %), fondé sur un CUP interne (comparables internes) rattaché à une ligne de crédit externe du groupe.

L’administration fiscale a jugé le taux non conforme au principe de pleine concurrence (arm’s length principle), mais sans fournir d’analyse cohérente. Elle a successivement modifié sa méthodologie et substitué des taux de marché « théoriques » sans justification suffisante.

> Le jugement

Le tribunal a rappelé avec fermeté que :

  • la charge de la preuve incombe à l’administration, qui doit démontrer le caractère anormal du taux appliqué ;
  • l’administration s’est contredite en acceptant le même taux pour un autre financement intragroupe ;
  • elle a ignoré la documentation fournie par le contribuable, notamment son étude de comparabilité et ses analyses internes.

Une ligne jurisprudentielle cohérente

Ces décisions s’inscrivent dans une tendance plus large :

les juridictions belges sanctionnent les ajustements en matière de prix de transfert lorsqu’ils reposent sur des hypothèses non étayées ou des raisonnements fluctuants.

La sécurité juridique du contribuable prime sur les approximations méthodologiques.

Les tribunaux rappellent que le contrôle fiscal doit s’appuyer sur une analyse économique documentée (études de benchmarking, CUP internes, analyses fonctionnelles) et non sur des appréciations arbitraires.

Conclusion : rigueur et cohérence comme mots d’ordre

Ces jugements rappellent un principe fondamental du droit fiscal belge :

une rectification en matière de prix de transfert ne peut être fondée sur des conjectures.

L’administration doit démontrer l’anormalité du prix, et non la présumer.

Pour les groupes internationaux, ces arrêts soulignent l’importance d’une documentation solide, cohérente et transparente, afin de prévenir tout risque de redressement infondé.

La Belgique s’aligne ainsi sur une pratique internationale plus équilibrée, où la preuve prime sur la suspicion et où l’économie des opérations retrouve sa juste place dans le débat fiscal.

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