L’assemblée générale des actionnaires de sociétés par actions a les droits que la loi ou les statuts lui confèrent, mais uniquement – et cela va de soi – pour les matières qui intéressent et règlent les intérêts de la société.
L’assemblée est l’organe le plus « puissant » de la personne morale puisqu’elle est en droit de modifier les statuts qui, aux côtés de la loi, régissent le fonctionnement de la société.
Mais ses pouvoirs sont également limités aux matières qui intéressent la société. L’assemblée générale ne détient aucun mandat des actionnaires pour disposer et régler leurs droits « privés » et ne peut ni priver un actionnaire des droits qu’il détient dans son patrimoine propre, ni créer, à l’égard de ce patrimoine propre une obligation envers la société, envers des actionnaires ou envers des tiers.
Ces principes apparemment évidents résultent du bon sens, raison pour laquelle l’affirmation de ce principe n’a pas été reprise tel quel dans les dispositions légales lorsque, en 1870, une proposition en ce sens avait été introduite à la Chambre des Représentants.
A l’époque, la loi ne réglementait pas les droits qui étaient attachés à certains titres seulement, de telle sorte que seul l’accord des actionnaires détenant de tels droits « privilégiés » permettait de les modifier. Depuis lors, entre 1913 et encore en 2019 lors de l’entrée en vigueur du CSA, la loi a progressivement autorisé des modifications aux droits attachés à certaines classes de titres, sous réserve de conditions particulières. Encore faut-il que les propositions de modification portent sur des droits attachés à une classe d’action.
La ligne de démarcation est parfois délicate à tracer entre
C’est précisément cette ligne de démarcation que nous allons tenter d’illustrer par des exemples dans la présente contribution.
Malgré les pouvoirs étendus de l’assemblée générale pour statuer sur tout ce qui appartient à la société, elle ne détient toutefois aucun mandat des actionnaires pris individuellement et n’a donc aucun pouvoir pour statuer sur leurs droits privés.
C’est dans l’intérêt social que l’assemblée générale trouve son pouvoir de décider. L’assemblée générale ne peut prendre que des mesures d’intérêt général car cet intérêt est celui des actionnaires présents et futurs.
Le droit privé, par excellence, d’un actionnaire est celui qui porte sur la propriété des actions qu’il détient. Ce droit fait partie de son patrimoine privé et il ne peut y être porté atteinte sans son consentement. Le droit de propriété couvre le droit d’user des actions (« usus »), s’en tirer les fruits (« fructus ») et d’en disposer (« abusus »)
Ainsi, selon nous, l’assemblée générale serait sans pouvoir pour imposer à des actionnaires minoritaires l’insertion dans les statuts d’une obligation de sortie conjointe par des actionnaires minoritaires qui n’auraient pas personnellement voté en faveur de l’insertion d’une telle clause. L’actionnaire ne pourrait en effet pas être privé de son droit de propriété d’une action sans y avoir valablement consenti ou sans être exclu de ce droit de propriété par une décision judiciaire l’excluant, prononcée en application des articles 2:63 et suivants CSA.
A nos yeux, le droit de propriété est un droit patrimonial privé dans tous ses attributs, en ce compris le droit de disposer des actions.
Ce principe n’est toutefois pas absolu : En effet, dans une SRL, les statuts peuvent imposer des conditions plus rigides à l’agrément que celles prévues par l’article 5 :53 CSA et peuvent apporter d’autres restrictions à la cessibilité des actions (art 5 :67 CSA). Dans une société anonyme, les statuts peuvent imposer des restrictions à la cessibilité des actions, notamment des droits de préemption ou d’agrément, qui ne peuvent toutefois aboutir à une incessibilité prolongée de plus de six mois à dater de la demande d'agrément, voire même prévoir une clause d’inaliénabilité qui devra toutefois être justifiée par un intérêt légitime, notamment en ce qui concerne sa durée (article 7 :78 CSA)
De la même manière, mais à l’inverse, le droit de souscrire ou de ne pas souscrire lors d’une nouvelle émission d’actions ou lors d’une augmentation de capital est un droit individuel de l’actionnaire. Celui-ci ne peut être tenu qu’à concurrence du montant de son apport, tant dans une SRL que dans une SA. Il ne pourra donc être tenu à des engagements complémentaires, notamment en matière de souscription, que dans la mesure où il y a personnellement consenti.
En ce qui concerne les droits des actionnaires se retrouvant dans le chef d’une classe d’actions, les développements législatifs de 1913 et 1953 ont indiqué les conditions à respecter pour que des modifications puissent être apportées aux droits respectifs de plusieurs classes d’actions (« catégories d’actions » au moment des développements législatifs). En effet, lorsqu’il existait dans une société plusieurs classes d’actions, il était auparavant pratiquement impossible de modifier les droits d’une classe d’actions puisqu’il fallait obtenir le consentement unanime de tous les titulaires.
La loi autorise dorénavant l’assemblée générale à modifier les droits attachés aux actions tant dans la SRL que dans la SA, moyennant une obligation d’information des actionnaires et des conditions de quorum et de majorité à l’assemblée générale : le projet de modification des droits attachés à une classe d’actions devra faire l’objet d’une justification particulière par l’organe d’administration qui devra également décrire les conséquences de la modification projetée sur les droits des classes d’actions. Si ce rapport de l’organe d’administration se fonde sur des données financières et comptables, le commissaire, un réviseur d’entreprises ou un expert-comptable certifié devront également établir un rapport pour confirmer que les données financières et comptables sont fidèles et suffisantes pour éclairer l’assemblée générale afin qu’elle puisse valablement voter sur la proposition. Lors de la réunion de l’assemblée générale appelée à voter sur cette proposition, un quorum de présence de 50% des actions devra être réuni au sein de chaque classe, et la proposition sera adoptée à la majorité des trois-quarts, également au sein de chaque classe.
Il convient toutefois de bien différencier les modifications des droits attachés à une classe d’actions de ceux attachés à un actionnaire individuel. Lorsque les droits sont attachés individuellement à un actionnaire, et non à une classe d’actions, la modification projetée devra recueillir l’accord individuel de l’actionnaire dont les droits seront affectés. Il s’agit là d’une simple application du principe de la convention-loi consacré par les articles 5.69 et 5.70 du Code civil : le contrat ne peut être modifié que du consentement mutuel des parties.
Il reste alors à déterminer la ligne de démarcation entre les droits individuels créés par les statuts envers un actionnaire et les droits attachés à une classe d’actions. La classe d’actions est définie, tant dans la SRL (article 5:48 CSA) que dans la SA (article 7:60 CSA), de la manière suivante : « Lorsqu’il est attaché à une action (…) ou une série d’actions (…) d’autres droits que ceux attribués à d’autres actions (…) émises par la même société, chacune de ces séries constitue une classe à l’égard des autres séries d’actions (…). Les actions (….) auxquelles un droit de vote différent est attaché et les actions sans droit de vote constituent toujours des classes distinctes ».
Une action individuelle peut donc constituer seule une classe d’action.
Le Code donne lui-même des exemples de modification des droits attachés à une classe d’actions. Ainsi est-il notamment questiond’une émission d’actions qui n’est pas réalisée dans chaque classe proportionnellement au nombre d’actions déjà détenues par les actionnaires dans chacune de ces classes (article 5:128 CSA pour la SRL et article 7:188 CSA dans la SA).
Chaque fois qu’une ou plusieurs actions attribuentà une action ou plusieurs actions des droits patrimoniaux qui sont différents des droits patrimoniaux attribués à d’autres actions, il sera nécessairement question d’actions de classes différentes. Tel sera par exemple le cas si les actions ne donnent pas un droit identique au dividende ou au boni de liquidation.
De la même manière, des actions conférant des droits de vote différents constituent également des classes d’actions distinctes. Les articles 5:48 et 7:60 CSA le confirment.
La Cour de Cassation, en se basant sur les travaux préparatoires de la loi de 1873, a toutefois indiqué en 1947 que « seuls constituent des droits acquis aux actionnaires et intangibles conformément à l’article 1134 du Code civil, les avantages attribués par le pacte social à certains associés personnellement, et créant, dans le chef de ceux-ci, des intérêts propres et spéciaux, à l’exclusion des droits conférés par les statuts à des catégories d’actionnaires ».
Pour déterminer si les droits distincts sont attachés à une action ou à une personne en particulier, il conviendra de se poser la question suivante : les droits sont-ils attachés à l’action ou à un titulaire d’actions ? Lorsque, par exemple, l’actionnaire particulier se voit accorder un droit de présentation particulier au sein de l’organe d’administration, le droit n’est pas attaché à une classe d’actions, mais à son titulaire. En revanche, lorsque le droit est attaché à l’action, quel que soit son titulaire, il sera alors question de classe d’actions. Dans le premier cas, le droit de présentation ne pourra être révoqué que moyennant l’accord de l’actionnaire qui en dispose, tandis que dans le second, une modification de ce droit de présentation pourra être imposée si les quorum de présence et de majorité prévus aux articles 5:102 (SRL) et 7 :155 (SA) CSA y consentent, nonobstant le fait qu’une minorité s’oppose à la modification.
Alors que les droits acquis sont ceux qui ont été accordés de manière inégale à certains actionnaires et qui sont donc dans l’intérêt de ceux qui en bénéficient et non dans celui de l’intérêt général de la société, les droits qui concernent tous les actionnaires sont ceux qui peuvent être modifiés par l’assemblée générale dans les conditions établies par la loi.
Ces autres droits comprennent, par exemple, le droit aux dividendes c’est-à-dire le droit pour tout actionnaire de participer à la distribution des dividendes de la société. En effet, quand il est le même pour tous les actionnaires, il constitue un droit social qui peut être modulé par une modification des statuts.
Contrairement aux conventions d’actionnaires qui nécessitent en principe l’accord de toutes les parties pour modifier les droits et obligations qui y sont contenus, les statuts, constituant le texte organique de la société, requièrent le respect de conditions précises pour y porter modification.
La modification des statuts relève exclusivement de la compétence de l’assemblée générale des actionnaires de la société.
Tant dans la société anonyme que dans la société à responsabilité limitée, toute modification des statuts apportée par l’assemblée générale nécessite la présence de la moitié du capital ou des actions émises (quorum) et ne peut être admise qu’à condition de réunir au moins ¾ des voix exprimées, sans tenir compte des abstentions (articles 5 :100 (SRL) et 7 :153 (SA) du Code des sociétés et associations).
Pour autant que ces conditions soient remplies, une modification des statuts ainsi que des droits et obligations qui en relèvent, en cours de vie sociale, peut avoir être réalisée.
L’assemblée générale des actionnaires occupe une place centrale dans la gouvernance des sociétés, mais ses pouvoirs, bien que vastes, restent encadrés par des principes fondamentaux. Ces derniers assurent que les décisions prises respectent à la fois l’intérêt général de la société et les droits individuels des actionnaires.
La distinction entre les droits « privés » des actionnaires, les droits privilégiés attachés à certaines catégories d’actions et les droits modifiables par l’assemblée constitue une frontière cruciale. Cette démarcation, bien que parfois complexe à établir, est essentielle pour garantir un équilibre entre le fonctionnement collectif de la société et la protection des intérêts propres des actionnaires.
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