Liquidités excédentaires et abus fiscal : la Cour de cassation tranche la question de l’imputabilité

Dans un arrêt du 11 janvier 2024, la Cour de cassation a estimé qu’il n’était pas nécessaire qu’un contribuable participe à l’ensemble des actes pour qu’une opération puisse être qualifiée d’abusive dans son chef. Cette décision concerne, au premier chef, les opérations de cession d’une société qui présente des liquidités excédentaires.

1. La tentation de la plus-value

Le droit belge traite les revenus qu’un résident (personne physique) peut tirer d’une action de société de manière discordante :

  • Le revenu tiré d’un dividende est imposé à hauteur de 30% avec des taux réduits sous conditions qui permettent, au mieux, de bénéficier d’un impôt compris entre 10% et 15% (VVPR Bis et réserve de liquidation) ;
  • La plus-value réalisée est, sauf circonstances particulières, exonérée d’impôt.
  • Cette particularité a conduit de nombreux contribuables à céder leurs actions à des holdings qu’ils contrôlent ce qui a généré la « saga » dite des plus-values internes dont l’examen dépasse le cadre de la présente contribution. Rappelons cependant que :
  • Depuis l’adoption de la disposition anti-abus générale en 2012, le Service des Décisions Anticipées traitait déjà ces questions sous l’angle des « liquidités excédentaires » ;
  • Si le législateur est intervenu à compter du 1er janvier 2017 (loi du 25 décembre 2016) pour neutraliser le « step-up » fiscal », un nombre significatif d’opérations de plus-values internes ont abouti devant les Cours et Tribunaux où elles ont été analysées sous l’angle de la disposition anti-abus générale ;
  • D’un point de vue fiscal, la définition d’un dividende est particulièrement large puisqu’elle englobe « tous les avantages attribués par une société aux actions, parts et parts bénéficiaires, quelle que soit leur dénomination, obtenus à quelque titre et sous quelque forme que ce soit »[1].La jurisprudence en retient que le but de cette disposition est exprimé suffisamment clairement dans le texte de celle-ci ;
  • Elle qualifie, par conséquent, d’abusives les opérations où l’interposition d’une société holding contrôlée par les cédants a permis d’organiser une distribution de dividendes en franchise d’impôt, par l’application du régime RDT entre la holding et la société cédée, qui bénéficient en définitive aux associés cédants en apurement du prix de cession ou par le biais d’une réduction de capital[2].


2. Quid des opérations avec des tiers ?

Même dans l’hypothèse d’une cession à des tiers, il est tentant de laisser s’accumuler dans la société des liquidités qui dépassent les besoins opérationnels de l’entreprise cible et ce, dans l’espoir que l'acheteur accepte de prendre en compte ce cash lors de la détermination du prix d'acquisition.

L’acheteur qui n’a pas de projets pour ces liquidités souhaite généralement faire remonter rapidement celles-ci… ce qu’il peut évidemment faire en franchise d’impôt en application du régime RDT s’il a pris soin d’acquérir les actions autravers d’une société.

La situation n’est pas très différente d’une plus-value interne, à ceci près que le vendeur n’est pas à l’origine de la décision de distribution qui lui est étrangère dès lors qu’il a cédé ses titres.

Certains ont estimé, dans ce cadre, qu’il ne serait pas question d’imposer un dividende distribué dans le chef des vendeurs et ce, dès lors que l’éventuel abus ne leur serait pas imputable (ou pas totalement imputable)[3].

C’est cette thèse qui est battue en brèche par un arrêt le 11 janvier 2024 par la Cour de cassation.


3. L’affaire à l’origine de l’arrêt rendu par la Cour de cassation

Comme souvent en matière fiscale, les mauvais dossiers sont à l’origine des arrêts de principe qui coûtent cher aux contribuables :

  • Un vendeur particulier avait cédé ses actions à une société tierce ; le prix était composé à près de 50% par des liquidités excédentaires qui avaient été prises en compte au niveau de la trésorerie nette ;
  • L'acheteur avait largement financé l'acquisition avec des dettes bancaires qui ont été remboursées avec le cash laissé dans la société cible ;
  • Le vendeur individuel était assisté dans cette transaction par un conseiller externe qui avait envisagé, mais écarté l’idée d’une distribution des liquidités excédentaires avant la clôture en raison des coûts fiscaux qu'elle entraînait ; l’administration était en possession de ce rapport.

La Cour d'appel d'Anvers[4] a estimé et la Cour de cassation a confirmé

  1. qu’il existait une unité d’intention entre l’ensemble des actes posés et
  2. qu’il n’était pas nécessaire que le vendeur ait participé à l’ensemble des actes posés dans le cadre de l’abus dès lors
  3. qu’il était établi qu’il avait connaissance de cette construction qui a été mise en œuvre dans son intérêt.


4. Qu’en penser aujourd’hui ?

Il est clair que cette décision jette un froid. Elle fait sauter un rempart de l’application de la disposition anti-abus générale dans le contexte de vente d’une société en présence de liquidités importantes.

Cela étant, cette décision est également rendue dans un contexte particulier où l’administration disposait clairement de la preuve que cette opération avait été structurée à l’intervention du vendeur et dans son intérêt. Le vendeur était bien informé que les liquidités présentes dans la société seraient utilisées pour le financement du prix de cession.

La présence de liquidités ne signifie pas, par ailleurs, qu’elles soient excédentaires et, s’il peut être utile de réfléchir en amont à cette question pour sécuriser une opération, on recyclera utilement la casuistique que le SDA a développée, en son temps, sur cette question dans le cadre particulier des plus-values internes.


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[1] Art. 18, 1° CIR 92

[2] Anvers, 17 octobre 2023, n°2022/RG/955.

[3] Civ. Luxembourg (div. Marche-en-Famenne), 7 septembre 2022, n° 20/416/A.

[4] Anvers, 6 septembre 2022, n°2021/AR/68.






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