La saga spin-off suite…et pas fin. Réflexion autour d’un jugement de 2024!

La saga spin-off suite…et pas fin. Réflexion autour d’un jugement rendu par la Tribunal de Première Instance de Bruxelles, le 29 février 2024.

Une spin-off qu’est-ce que c’est ?

Une spin-off consiste à rendre indépendante une branche d’activité la logeant dans une nouvelles société et en allouant aux actionnaires de la société d’origine des actions de la nouvelle société qui héberge cette branche d’activité que l’on souhaite rendre autonome.

D’un point de vue purement pratique, on peut constituer une spin-off de deux manières différentes :

  • La scission ou la scission partielle de la société originaire ;
  • De la même manière, un apport de branche d’activités à une société, que l’on constitue pour l’occasion, et qui est donc une filiale de la société originaire suivie d’une distribution de dividendes avec attribution en nature des actions de la filiale nouvellement constituée permet d’arriver au même résultat.

Dans les sociétés qui ont un actionnariat dispersé, la seconde solution est souvent privilégiée et ce, dès lors que la procédure est nettement moins lourde.

En effet, la filialisation se réalise par un apport de branche d’activités qui se fait sous autorité du conseil d’administration. La distribution des actions de la (nouvelle) filiale peut ensuite être décidée par une assemblée générale à la majorité ordinaire dès lors qu’il s’agit d’une distribution des dividendes, avec paiement en nature par attribution des actions de la filiale nouvellement constituée.

A l’inverse, la scission et la scission partielle nécessitent des majorités qualifiées au sein de l’assemblée générale.

Par ailleurs , de nombreux droits ne connaissent pas du mécanisme de la scission partielle et une scission pure et simple de la structure originaire représente une lourdeur excessive.

Pourquoi cela pose problème fiscalement ?

La scission et la scission partielle bénéficient d’un régime de neutralité fiscale dans les conditions que nous connaissons bien (art. 211 CIR92). Il s’agit de s’assurer que la scission n’ait pas pour l’un de ses principaux objectifs, la fraude ou l’évasion fiscale étant entendu qu’il présume que c’est le cas lorsque la scission/scission partielle n’est pas justifiée par des motifs économiques valables (article 183bis CIR92). Dans le cadre de l’autonomisation d’une branche d’activités, il est rare que ce ne soit pas le cas.

Bien qu’elle aboutisse rigoureusement au même résultat, la procédure consistant à procéder à un apport de branche d’activités suivie d’une distribution d’un dividende ne bénéficiait, en droit belge, d’un régime fiscal spécifique uniquement en ce qui concerne l’apport de branche d’activités. La distribution de dividende en tant que telle restant soumise au prescrit de la disposition de droit commun, à savoir l’article 18,1° CIR92 aux termes duquel « les dividendes comprennent tous les avantages attribués par une société aux actions, parts et parts bénéficiaires, quelle que soit leur dénomination, obtenue à quelque titre et sous quelque forme que ce soit » (article 18, 1° CIR92).

La question de la taxation de ce « dividende distribué » fait débat depuis bien longtemps.

L’existence d’un dividende distribué ?

En pratique, lorsque les actions sont détenues sur un compte titres, les banques sur impulsion de Febelfin, retiennent systématiquement le précompte. L’administration fiscale a estimé, en effet, dans une circulaire de 2012 (Circ., n°Ci.RH.231/620.626 (AGFisc n°38/2012) dd.03.12.2012) que l’opération générait un dividende taxable, sauf lorsqu’elle était réalisée sous la forme d’une scission partielle ou d’une scission réalisée en neutralité fiscale.

C’est d’autant plus désagréable pour les contribuables concernés que, dans le cadre d’un spin-off, il n’auront pas reçu les liquidités nécessaires pour faire face audit précompte.

Cette situation a conduit certains auteurs à qualifier ce régime fiscale de « délirant » (B. Colmant « Le traitement fiscal délirant des spin-off », www.taxwin.be, 7 janvier 2017) et ce, dès lors que l’actionnaire qui était propriétaire d’une action d’une société qui exerce deux activités se retrouve au lendemain de la spin-off, titulaire de deux actions de deux sociétés distinctes qui exercent rigoureusement les mêmes activités. Il se ne serait donc pas enrichi.

Compte tenu de l’ampleur du problème, le législateur est intervenu par une loi de 2019 qui est passée relativement inaperçue et qui a introduit un article 264, alinéa 1er, 4°, nouveau CIR92 qui instaure une exemption de précompte dans le cadre d’une spin-off et ce, à la condition notamment que la société qui fait l’objet d’une spin-off soit une société cotée et que les actions de la spin-off soient également cotée (sur l’ensemble des conditions, cfr. Circ. 2020/C/55 concernant l'exonération du précompte mobilier applicable aux dividendes distribués dans le cadre de certaines opérations de restructuration de sociétés cotées en bourse, dd. 20/4/2020).

Pourquoi en parle-t-on encore ?

Tout d’abord, parce que l’article 264, alinéa 1er, 4°, nouveau CIR92 précité ne s’applique qu’à compter de l’exercice d’imposition 2019 et que, pour rappel, en matière de précompte mobilier, l’exercice d’imposition correspond à l’année de revenus. Toutes les opérations réalisées avant 2019 restent donc soumises au droit commun.

Ensuite, parce que cette nouvelle disposition ne concerne que les sociétés cotées alors qu’il existe de très nombreuses sociétés qui ont un actionnariat extrêmement dispersé ou qui sont établies dans des juridictions qui ne connaissent pas du mécanisme de la scission partielle et qui nécessitent de réaliser une spin-off sous forme d’un apport de branche d’activités suivie d’une distribution de dividendes.

Ces spin-off, même réalisées après 2019, ne bénéficieront pas de la nouvelle exemption de précompte.

Dans ces cas, la question de l’existence d’un dividende distribué et de sa valorisation se pose donc toujours.

La thèse des contribuables selon laquelle ils n’auraient pas perçu d’avantages pourrait, a priori, apparaître renforcée suite à l’adoption de l’article 264, alinéa 1er, 4° nouveau CIR92 et ce, dès lors que le législateur a spécifiquement pris soin de préciser dans le cadre des travaux parlementaires que « à l’issue de l’opération, la valeur des actions de la société transférante et de la société bénéficiaire qui faudra en principe à celle des actions de la société transférante avant l’opération. L’actionnaire belge possèdera par conséquent deux actions différentes au lieu d’une seule et même action sans avoir réalisé une plus-value ou perçu un revenu à la suite de l’opération. La somme des deux actions équivaut en effet à l’action non scindée. L’action scindée n’est dès lors pas un revenu ». (Doc. Parl., Ch., n°3528/08, rapport de la Commission des finances et budget, p.4).

La jurisprudence n’accueille pas ce raisonnement et ce, selon nous, a raison.

En effet, tout paiement d’un dividende diminue de facto la valeur des actions de la société à concurrence du montant du coupon détaché. Ce phénomène s’observe d’ailleurs en pratique dans les sociétés cotées dont le cours subit une correction (logique) au moment du détachement du coupon. Suivre ce raisonnement aboutirait, de facto, par sa généralité, à détaxer toute forme de dividende ce qui n’est pas le but poursuivi par le législateur. Mais alors que faire ?

Dans un arrêt du 14 janvier 2022, la Cour d’appel de Mons a estimé, par contre, que si l’attribution des actions de la spin-off constituait un dividende taxable, la valeur de l’avantage perçu par l’actionnaire ne correspondait pas à la valeur des actions reçues mais uniquement à la différence de cours entre le cours des actions de la société qui a fait l’objet de la spin-off immédiatement avant l’opération et la somme de ces actions et de celles de la société filiale constituée dans le cadre de la spin-off immédiatement après l’opération (C.A. Mons, 14 janvier 2022, R.G. n°2020/RG/475, www.taxwin.be).

La solution a beau être pragmatique, elle est discutable en droit compte tenu de la généralité de l’article 18, 1° CIR 92.

Dans une décision plus récente du 29 février 2024 (RG n°22/211/A), le tribunal de première instance de Bruxelles, après avoir, semble-t-il, confirmé l’approche de la Cour d’appel de Mons, estime qu’il n’y a pas lieu à taxation en l’espèce, parce que l’ensemble du montant du dividende soi-disant distribué, peut être imputé sur des primes d’émission, il n’y aurait donc pas distribution de dividende mais réduction de capital au sens fiscal.

Cette décision pose question à plus d’un titre, d’abord parce que le contribuable qui pense avoir obtenu gain de cause, voit le bon capital, fiscalement libéré représenté par les actions ou parts concernées, imputé à due concurrence. Ensuite, parce que l’opération en question ayant été réalisée en 2018, la réduction de capital aurait dû faire l’objet du nouveau prorata en vigueur depuis le 1er janvier 2018 et instauré par les articles 18, alinéa 2 et suivants du CIR92, ce qui semble avoir été perdu de vue des plaideurs et du tribunal en l’occurrence.

Enfin et surtout parce qu’il n’appartient pas à la jurisprudence de combler les lacunes du législateur.

On ne comprend pas en effet, dès lors que le législateur a justifié l’adoption d’une exemption de précompte au motif qu’il n’y a pas d’avantages, pourquoi :

  • Les enseignements que cette disposition consacre ne sont pas appliqué de manière rétroactive pour les réclamations en cours ; et
  • Surtout, que cette disposition ne s’applique qu’aux sociétés cotées alors que d’autres sociétés pourraient être dans une situation objectivement similaire.

Le sujet reviendra donc encore sur le tapis.


Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 29 octobre 2024.


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