La loi du 25 mai 2023 modifie en profondeur la procédure de transfert de siège instaurée par le CSA


Pourquoi une nouvelle procédure de transfert de siège ?

La loi du 25 mai 2023 modifie, déjà, en profondeur la procédure de transfert de siège depuis ou vers la Belgique qui avait, pourtant, fait l’objet d’une refonte à l’occasion de l’adoption du CSA en mai 2019. Il s’agit d’une obligation de la Belgique de transposer la directive mobilité transfrontalière des sociétés adoptée en novembre 2019[1].

De manière très schématique, outre l’intégration d’une nouvelle procédure de scission transfrontalière, la transposition de cette directive (i.) renforce les droits des créanciers, des travailleurs et des actionnaires opposés au transfert, (ii.) prolonge sensiblement le délai nécessaire pour réaliser un transfert de siège (ou une autre opération transfrontalière de type fusion/scission) et (iii.) renforce le rôle du notaire.


La protection des « stakeholders » dans l’Etat d’origine (outbound)

Tout comme la directive qu’elle transpose, la nouvelle procédure repose sur une protection dans l’Etat de départ qui, au terme de celle-ci, émet un certificat sur la base duquel la société pourra être accueillie dans son nouvel Etat d’accueil. En Belgique, il appartient au notaire instrumentant de délivrer ce certificat au terme de la procédure après avoir vérifié « l'existence et la légalité, tant interne qu'externe, des actes et formalités incombant à la société »[2].

Le notaire refuse par ailleurs de délivrer ce certificat s’il « constate qu'une transformation transfrontalière a été réalisée à des fins abusives ou frauduleuses menant ou visant à se soustraire au droit de l'Union ou au droit national ou à le contourner, ou à des fins criminelles » et ce, après avoir pris « en compte l'ensemble des faits et circonstances pertinents dont il a pris connaissance - comme des facteurs indicatifs, s'ils présentent un intérêt et ne sont pas pris isolément - dans le cadre » de son contrôle de légalité[3]. »

Notons également l’apparition de nouveaux certificats qui émanent du SPF Finances et de l’ONSS attestant de l’absence de dette fiscale et/ou parafiscale, qui ne bloqueront pas nécessairement le transfert, mais devrons être pris en compte par le notaire dans le cadre de son appréciation dont question ci-dessus[4].

Le notaire dispose d’un délai de deux mois pour émettre le fameux certificat… ce qui ne doit pas nécessairement retarder le transfert pour autant que le dossier ait été correctement préparé en amont.


La procédure de transfert proprement dit

Une image valant souvent mieux qu’un long discours, nous avons synthétisé ci-dessous l’ensemble des étapes nécessaires à l’obtention du fameux sésame.

Il convient encore de relever, à cet égard, que :

  • le projet de transfert qui constitue le point de départ de la procédure n’est plus simplement un document formel et qu’il doit contenir un ensemble d’informations qui devront être dûment préparées en amont ; il doit notamment indiquer les sûretés que la société est disposée à consentir à ses créanciers et la soulte qui sera offerte aux actionnaires qui s’opposent au transfert et décident de démissionner[5] à cette occasion[6] ; cette dernière fait par ailleurs l’objet d’un contrôle révisoral ce qui doit donc être anticipé également en amont[7] ;
  • le rapport aux travailleurs concerne la société et ses filiales ; la société est dispensée de ce rapport lorsque la société n’a pas de travailleurs ou que l’ensemble des travailleurs de la société et de ses filiales font, par ailleurs, partie de l’organe d’administration[8] ;
  • il est possible de renoncer aux rapports de l’organe d’administration à l’attention des actionnaires et au rapport du réviseur lorsque l’ensemble des actionnaires y consentent[9] ;
  • le délai de deux mois pour l’émission du certificat court à compter de la remise au notaire d’un dossier en vue de l’obtention de celui-ci et qui inclut, notamment, les certificats fiscaux et sociaux dont question ci-dessus ; en pratique, on fera le plus souvent attention à ce que cela soit préparé en amont et coïncide avec l’AGE, mais ce ne sera pas nécessairement toujours le cas et la société ne peut entamer les démarches en vue de son immatriculation dans le pays d’accueil qu’après avoir obtenu ledit certificat[10][11] ;
  • les délais dont question ci-dessus seront prolongés sensiblement en cas d’action en justice d’un créancier ou d’un actionnaire ;
  • sauf disposition plus rigoureuse des statuts, la décision de transférer le siège est adoptée si les actionnaires détenant la moitié au moins des actions sont présents ou représentés et que la décision est adoptée à la majorité des trois-quarts[12][13] ; particularité importante, les parts bénéficiaires bénéficient d’un droit de vote nonobstant toute disposition contraire[14] et le quorum doit être atteint également au sein des propriétaires de parts bénéficiaires lorsqu’il y en a.


L’introduction d’un droit des actionnaires à démissionner

Les actionnaires qui s’opposent au projet de transfert disposent, désormais, d’un droit à démissionner contre paiement d’une soulte en espèce qui s’applique même si les statuts ne prévoient pas cette faculté[15].

Il faut, pour cela, manifester une opposition caractérisée au projet, puisqu’il faut :

  • communiquer 5 jours au moins avant l’assemblée générale son intention de voter contre le projet et de démissionner si le projet est adopté ;
  • voter contre le projet à l’assemblée ;
  • exercer, lors de cette assemblée, son droit à démissionner.

Les actionnaires qui auraient entrepris ces démarches et sont mécontents de la soulte offerte peuvent porter l’affaire devant le Tribunal de l’entreprise du siège de la société dans le mois suivant l’AGE.

Pour le surplus, la soulte ne pourra être payée qu’après que les créanciers qui se sont opposés au transfert aient obtenu les sûretés qu’ils demandent ou celles qui leur ont été accordées par les tribunaux.


Et sur le plan fiscal ?

Sur le plan fiscal, le transfert de siège fait l’objet d’une fiction de liquidation pour le calcul de l’impôt des sociétés, ce qui génère l’imposition de l’ensemble des plus-values latentes à la sortie[16] lorsque celui-ci s’accompagne d’une modification de la résidence fiscale[17]. Cette fiction de liquidation ne s’applique pas en cas de transfert vers un Etat membre de l’Union européenne et uniquement pour les actifs qui sont conservés au sein d’un établissement belge[18].

La question se pose, par contre, de l’extension de cette fiction de liquidation à la situation de l’actionnaire ?

Le Service des Décisions Anticipées considère, à ce sujet et à juste titre, que le principe de continuité de la personnalité juridique s’oppose, en principe, à l’extension de cette fiction à l’actionnaire. Ceci résulte en effet d’une lecture stricte du texte de l’article 18 CIR[19].

L’administration centrale conteste cette position et estime que la fiction pourrait s’étendre aux actionnaires.

Cette position a été rejetée par le Tribunal de première instance du Brabant Wallon qui valide en tout point l’interprétation du Services des Décisions Anticipées[20].

A notre sens, toutefois, la position du Services des Décisions Anticipées ne s’étend pas à la situation des actionnaires qui obtiendraient une soulte à la suite de leur démission à l’occasion du transfert et qui implique un partage partiel effectif au profit desdits actionnaires.


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[1] Directive (UE) 2019/2121 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 modifiant la directive (UE) 2017/1132 en ce qui concerne les transformations, fusions et scissions transfrontalières.

[2]Art. 14:26 al. 1er CSA.

[3]Art. 14:26, al. 4 CSA.

[4] Art. 14:26, al. 2, 7° CSA.

[5] Sur ce point, cfr. ci-dessous.

[6] La liste de l’ensemble des informations devant être reprises dans le projet de transfert est visée à l’article 14:18 CSA.

[7]Art. 14:21 CSA.

[8]Art. 14:19 CSA.

[9]Art. 14:20 et 14:21 CSA.

[10] Art. 14:26 CSA.

[11] La solution est certaine dans les relations avec les autres Etats membres de l’UE qui doivent transposer la directive mobilité. Elle s’imposera en pratique, selon nous, dans les relations avec les Etats tiers également puisque la Belgique refusera de radier une société qui n’a pas obtenu ce sésame.

[12] Art. 14:24, §1er CSA.

[13] Uniquement pour les sociétés à responsabilité limitée. L’unanimité est requise lorsque les associés répondent de manière illimitée des dettes.

[14]Art. 14:24, §1er, in fine CSA.

[15] Art. 14:25/1 CSA.

[16] Art. 210, 4° CIR 92.

[17] Ce sera le plus souvent, mais pas nécessairement, le cas.

[18] Art. 214bis CIR 92.

[19] Pour ne prendre que quelques exemples récents, cfr. les décisions n°2022.0612, n°2022.1072, n°2022.1124 et n°2023.0060 prononcées par le SDA en janvier et février 2023.

[20] Trib. P.I. Brabant-Wallon, 3 février 2023, RG n°21/96/A, www.taxwin.be.

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Cette publication est réalisée dans le cadre du Tax TV Show du mois de septembre 2023

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