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Et s'il ne nous restait plus que la planche à billet?

La création monétaire s’impose dans un monde où les défis financiers, environnementaux et géopolitiques exigent des réponses immédiates et massives.

Les défis financiers qui se profilent à l’horizon européen sont colossaux. La mise en œuvre du rapport Draghi, la remédiation environnementale, l’adaptation aux bouleversements climatiques et les investissements militaires urgents exigent des milliers de milliards d’euros.

Ces projets, par leur ampleur et leur horizon temporel, dépassent largement les capacités et les attentes des capitaux privés, dont les objectifs se limitent souvent à des rendements rapides et à court terme. Compter exclusivement sur le secteur privé pour financer ces initiatives serait donc illusoire, car elles s’inscrivent dans une logique de long terme, souvent incompatible avec les exigences de rentabilité immédiate.

Dans ce contexte, l’endettement public apparaît comme la principale voie de financement. Cependant, cette solution se heurte à une contrainte majeure: la nécessité pour de nombreux États, notamment en Europe, delimiter leurs déficits et leur endettement public pour préserver la stabilité économique.


Face à l’ampleur des besoins, augmenter l’endettement public semble inévitable. Une partie de cette dette devra être monétisée, c’est-à-dire rachetée par la BCE pour injecter des liquidités dans l’économie.


À l’exception de certains pays, comme l’Allemagne, qui bénéficient d’une marge de manœuvre budgétaire plus importante, la plupart des nations européennes sont soumises à des règles strictes, telles que celles du Pacte de stabilité et de croissance. Pourtant, face à l’ampleur des besoins, augmenter l’endettement public semble inévitable. Une partie de cette dette devra être monétisée, c’est-à-dire rachetée par la Banque centrale européenne (BCE) pour injecter des liquidités dans l’économie.


Actuellement, notre modèle économique sacrifie l’avenir de la nature pour maintenir une production et une consommation soutenues par une monnaie stable.


Risque d'inflation, un problème?

Ce recours à la monétisation soulève des interrogations légitimes. Le principal risque réside dans une possible politisation de la BCE, qui pourrait être instrumentalisée pour financer les déficits des États, au détriment de son indépendance. Une telle dynamique pourrait engendrer une défiance envers la monnaie, affaiblissant l’euro, et potentiellement provoquer une inflation. Mais cette inflation, si elle reste contenue, est-elle réellement un problème insurmontable? À y réfléchir, il semble que non.

Prenons l’exemple des dépenses écologiques et environnementales, qui sont aujourd’hui des impératifs existentiels. La lutte contre le changement climatique et la préservation des écosystèmes ne sont pas négociables. Si une légère dépréciation du pouvoir d’achat, induite par une inflation modérée, est le prix à payer pour sauver la planète, ce coût semble justifiable.

Actuellement, notre modèle économique sacrifie l’avenir de la nature pour maintenir une production et une consommation soutenues par une monnaie stable. Nous préservons ainsi la valeur symbolique de la monnaie tout en détruisant les fondements mêmes de notre environnement futur. Ne serait-il pas plus sage d’accepter une érosion limitée de ce symbole monétaire — l’euro – pour garantir un avenir viable? La réponse semble évidente: la préservation de la nature doit primer. Il est vrai que d’aucuns pourraient alors s’inquiéter d’une augmentation des taux d’intérêt résultant de cette inflation, mais l’argument est fragile: la BCE est souveraine dans ce domaine.

Un autre angle d’analyse renforce cette idée. L’histoire nous enseigne queles crises monétaires majeures ne sont pas toujours dues à l’inflation, mais parfois à une contraction monétaire excessive. Le krach de 1929, suivi de la Grande Dépression des années 1930, en est un exemple frappant.

Cette crise, amplifiée par une déflation dévastatrice, aurait pu être atténuée si les banques centrales, notamment la Fed, avaient adopté une politique monétaire plus expansionniste, en injectant massivement du crédit dans l’économie. Une telle approche aurait peut-être permis d’éviter l’effondrement économique, et même, selon certains historiens, de préserver la paix, en évitant les tensions sociales et politiques qui ont conduit à la Seconde Guerre mondiale.


Si l'Europe veut relever les défis environnementaux, sociaux et militaires qui se dressent devant elle, elle doit envisager une politique monétaire audacieuse, incluant la monétisation partielle de la dette.


Maintien de la compétitivité

De surcroît, le monde entre évidemment dans une nouvelle ère, marquée par une guerre des monnaies. Les États-Unis, confrontés à des défis économiques et géopolitiques, ont choisi de relancer leur économie par l’endettement, soutenu par une politique monétaire accommodante de la Fed.

Cette stratégie, qui repose sur l’émission massive de dette et la création monétaire, vise à maintenir leur compétitivité face à des puissances comme la Chine, qui développent ses propres outils monétaires, notamment via le yuan numérique. Dans ce contexte, l’Europe ne peut se permettre de rester à l’écart. Si elle veut relever les défis environnementaux, sociaux et militaires, elle doit, elle aussi, envisager une politique monétaire audacieuse, incluant la monétisation partielle de la dette.

En conclusion, la nécessité de créer de la monnaie s’impose dans un monde où les défis financiers, environnementaux et géopolitiques exigent des réponses immédiates et massives. La guerre des monnaies, exacerbée par la relance par l’endettement des États-Unis, oblige l’Europe à repenser ses priorités.

Plutôt que de craindre une inflation contenue, il faut accepter qu’une légère érosion du pouvoir d’achat soit un prix raisonnable pour préserver l’avenir de la planète et la compétitivité européenne. L’histoire nous rappelle que l’inaction monétaire peut entraîner des conséquences dramatiques. Même si la faisabilité politique est hasardeuse, il est temps d’agir avec audace, en mobilisant tous les outils disponibles, y compris la création monétaire.

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