​Intelligence artificielle: quand l'intuition de Karl Marx redevient contemporaine

L’intelligence artificielle n’en est qu’aux balbutiements d’une révolution industrielle comparable au développement de la machine à vapeur par James Watt à la fin du XVIIIe siècle. Cette révolution souleva la question des gains de productivité, puisque ceux-ci furent progressivement accaparés par les détenteurs de machines, qui sublimaient la force productive manuelle des ouvriers. Ces derniers quittaient l’agriculture, domaine dans lequel ils recevaient le produit de leur travail, pour s’orienter vers des manufactures où la monnaie devenait leur rétribution.

Dans Le Capital de Karl Marx, celui-ci écrivait que « la science, cette force productive naturelle, est incorporée au capital, et l’ouvrier se trouve de plus en plus dépossédé de son savoir-faire, qui devient inutile face à la puissance du capital productif ». Il signifiait que l’habileté de l’ouvrier devenait dérisoire face à la science prodigieuse.

L’idée de Karl Marx était que le prolétaire n’était pas payé de manière juste pour son travail, et que le capitaliste en extrayait les gains de productivité sous forme de plus-value, la somme de ces dernières constituant le capital. Karl Marx écrivait que l’introduction des machines et l’amélioration des méthodes de production permettaient de produire en moins de temps une plus grande quantité de valeurs d’usage, mais que cette augmentation de la productivité du travail se traduisait par une intensification de l’exploitation du prolétaire.

Le même problème risque de se poser avec l’intelligence artificielle : des métiers vont disparaître (et d’autres apparaître, dans le grand élan schumpétérien), mais la question de la rémunération du travail va se poser dans nos économies de services, puisque c’est la machine, dont l’utilisation sera de plus en plus payante, qui fournira les gains de productivité. La question de la rétribution du travail humain et de celle de la propriété de l’intelligence artificielle se pose donc dans des termes similaires à ceux du XIXe siècle.

C’est un débat encore confus aujourd’hui, mais qui exigera de repenser fondamentalement nos systèmes sociaux, la contribution fiscale et parafiscale, et qui devrait, selon ma modeste intuition, conduire à poser la question de la contribution directe des entreprises au financement de la sécurité sociale.​