Gand, 25 juin 2024 | N° 2023/RG/343
La Cour d’appel de Gand s’est prononcée en faveur du contribuable dans une affaire relative à la déduction par une société notariale des frais relatifs à l’acquisition d’un immeuble mise à disposition de son administrateur unique.
Les affaires sur cette problématique se sont multipliées ces dernières années. Pour rappel, suivant la jurisprudence de la Cour de cassation, il ne suffit plus qu’un des frais soit exposé en vue d’accorder une rémunération au dirigeant d’une entreprise pour être déductibles à l’impôt des sociétés. Encore faut-il que la société démontre que l’avantage de toute nature accordé rémunère des prestations réelles du dirigeant d’entreprise.
L’administration se montre particulièrement sévère dans la preuve qu’elle exige du contribuable à cet égard et fait preuve d’un très grand formalisme, glissant dangereusement vers le jugement d’opportunité interdit.
Dans l’affaire ici commentée, l’administration avait rejeté la déduction des frais d’acquisition d’un immeuble d’habitation et de bureaux malgré un procès-verbal de l’assemblée générale établissant clairement un lien entre l’avantage de toute nature accordé et le chiffre d’affaires généré grâce au dirigeant d’entreprise.
« L'assemblée générale décide d'accorder une rémunération au gérant. La rémunération du gérant au cours de la période avec date du bilan au 31/12/2017 consistait' - en plus de la rémunération normale de 39.600 euros — en divers avantages énumérés, y compris un avantage de toute nature logement de 3.800 euros.
Cette rémunération est jugée conforme aux prestations du gérant, qui, en tant que gérant unique, a fourni des prestations à la société et a ainsi permis de facturer des services et des livraisons à des tiers pour un montant de 155.600 euros.
En outre, le gérant a observé la politique générale de la société, contrôlé les livraisons et les services fournis à la société, assuré la facturation et le suivi de la facturation, et assuré le suivi juridique et comptable des obligations de la société ».
La Cour a estimé que ce procès-verbal, malgré les invectives de l’administration fiscale, démontrait à suffisance le lien entre l’avantage de toute nature accordé et les prestations effectuées par le dirigeant, qui par ailleurs était l’administrateur unique de la société qui n’a pu générer des revenus imposables que par son intermédiaire.
De plus, selon la Cour, la sévérité dont l’administration a fait preuve s’explique par la volonté de lutter contre le système particulièrement fiscalement avantageux dans le cadre duquel il existe une disproportion entre le montant des frais supportés par la société et le montant de l’avantage de toute nature imposable dans le chef du dirigeant. Il n’en reste pas moins, comme le rappelle la Cour d’appel de Gand, que l’administration doit respecter la loi et que par ailleurs, il n’existe aucune condition de proportionnalité à l’article 49 CIR.
Cette affaire illustre la nécessité de documenter rigoureusement la politique de rémunération de la société lorsqu’elle octroie des avantages de toute nature valorisés forfaitairement.
CJUE, 4 octobre 2024, C-475/23, Voestalpine Giesserei Linz GmbH - VGL).
L'entreprise autrichienne VGL produit et vend des pièces moulées, dont la fabrication est sous-traitée à une entreprise roumaine. VGL, qui possède un numéro de TVA roumain, fournit gratuitement un immeuble en Roumanie et une grue à son sous-traitant roumain, utilisés pour la production des moules qu’elle vend ensuite à son client.
L’affaire portait sur la question de savoir s’il existait un lien direct et immédiat entre les frais supportés par VGL pour pouvoir mettre l’immeuble et la grue à disposition de son sous-traitant et les opérations soumises à la TVA qu’elle facturait à son propre client, justifiant la déduction de la TVA sur ces frais.
La Cour a rappelé que ce lien est rencontré lorsque les frais en question sont directement et immédiatement liés avec une ou plusieurs opérations de l’assujetti, ou avec l’ensemble de son activité (frais généraux).
Après avoir constaté que l’acquisition de la grue était nécessaire à la transformation des moules et donc à l’activité économique de VGL, la Cour a considéré qu’il importait que ces frais soient un élément du prix des opérations facturées par VGL à ses clients ou fassent partie de ces frais généraux.
La Cour a également précisé que le fait que les sous-traitants de l’assujetti tirent un bénéfice direct de la grue ne saurait conduire à refuser la déduction de la TVA si le lien direct et immédiat avec une ou plusieurs opérations déterminées ou l’activité économique de l’assujetti en général.
Cet arrêt vient dès lors clarifier l’interprétation de la condition de lien direct et immédiat dans le contexte de la sous-traitance.
Selon la CJUE, la déduction de la TVA aurait toutefois été limitée à la partie du coût d’acquisition de la grue qui a été objectivement nécessaire pour permette à VGL d’effectuer ses opérations taxées à la sortie ou son activité économique (dans l’hypothèse où ce coût aurait dépassé ce qui est nécessaire).
Arrêt de la Cour d'appel de Gand du 18.06.2024 | Rôle n° 2023/AR/358
Jusqu’à l’exercice d’imposition 2017, l'article 444 CIR 1992 ne prévoyait pas l’application d’un accroissement d'impôt en cas de déclaration tardive. La jurisprudence majoritaire, en ce compris celle de la Cour de cassation, considérait qu’une déclaration tardive ne pouvait être assimilée à une absence de déclaration pour l’application de l’article 444 CIR 1992 (Cass., 15 mars 2018, RG F.17.0004.N).
Cet article a été modifié par la loi du 30 juin 2017, entrée en vigueur le 17 juillet 2017, pour inclure les mots « (en cas de) de remise tardive de celle-ci » (nous ajoutons).
Après l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2017, l’article 444 CIR 1992 ne permettait toujours pas d’appliquer un accroissement d’impôt en cas de déclaration tardive. En effet, le législateur s’est contenté d’ajouter l’expression « de remise tardive de celle-ci » sans adapter le reste du texte.
Le texte de l’article 444 CIR 1992 prévoyait en effet que l’accroissement était « fixé d'après la nature et la gravité de l'infraction, selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi et allant de 10 p.c. à 200 p.c. des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés. » (c’est nous qui soulignons). Or, en cas de déclaration tardive, tous les revenus sont déclarés et une déclaration tardive ne peut être assimilée à une absence de déclaration (Cass., 15 mars 2018, RG F.17.0004.N).
Le législateur a dès lors adopté la loi du 27 juin 2021 portant des dispositions fiscales diverses et modifiant la loi du 18 septembre 2017, afin d’ajouter les mots « ou déclarés tardivement » à la fin du premier alinéa de l’article 444 CIR 1992.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les articles 225 et suivants de l’AR/CIR 1992 prévoyant l’échelle de graduations de 10 à 200% pour l’application de l’accroissement en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction n’avaient pas été modifiés et visaient uniquement l’hypothèse d’une absence de déclaration.
L’Arrêté royal du 13 septembre 2022, entré en vigueur le 13 octobre 2022, a modifié les articles 225 et suivants de l’AR/CIR 1992 pour fixer l’échelle des accroissements en cas de déclaration tardive, ce qui n’avait pas encore été fait.
Dans une précédente chronique, nous avions commenté l’arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 5 mars 2024 dans lequel la Cour avait considéré que la loi du 27 juin 2024 ne constituait pas une loi interprétative.
Dans son arrêt du 18 juin 2024, la Cour d’appel de Gand a pris une position tout à fait différente. Se référant à deux très anciens arrêts de la Cour de cassation 1947 et 1979, la Cour d’appel de Gand a considéré que la loi du 30 juin 2017 était une loi interprétative avec effet rétroactive en ce qu’il aurait été de jurisprudence constante qu’une déclaration tardive aurait été en tout temps assimilé à une absence de déclaration.
C’est faire fi de l’arrêt de la Cour de cassation de mars 2018 disant tout l’inverse (Cass., 15 mars 2018, RG F.17.0004.N) et du fait qu’une loi interprétative légale est celle qui « confère à une disposition le sens que, dès son adoption, le législateur a voulu lui donner et qu’elle pouvait raisonnablement recevoir » (C.C., 16 février 2017, 2017, arrêt n° 23/2017, B. 3), ce qui ne pouvait être le cas compte tenu des nombreux litiges sur la question.
Cet article est publié dans le cadre du Tax Tv Show du mardi 29 octobre 2024.