Notre système fiscal, conçu en 1962, ne ressemble plus qu’aux ruines d’un modèle manufacturier, depuis longtemps révolu. Lançons un aggiornamento fiscal.
S’il est un invariant dans l’évolution de la fiscalité belge depuis des décennies, c’est qu’elle ne répond plus à aucun cadre conceptuel, mais à des à-coups budgétaires. C’est ainsi que l’impôt des personnes physiques, dont la construction, en 1962, relevait d’une perfection absolue et surtout égalitaire, s’est dégradé.
À l’époque, l’impôt des personnes physiques était fondé sur la globalisation des revenus afin d’appréhender correctement la capacité contributive des citoyens, et les très nombreux barèmes fiscaux progressifs taxaient la propension marginale à épargner. Cela signifie que chaque euro pouvant être épargné, au détriment de la consommation, était frappé d’un impôt plus lourd, de manière à respecter la fonction redistributive de l’impôt.
Il avait été décidé à l’époque que, puisque la formation d’épargne au travers des revenus était pénalisée par la progressivité des barèmes fiscaux, les plus-values ne seraient pas imposées (sauf de rares exceptions), aussi au motif qu’une taxation des plus-values frapperait l’inflation, c’est-à-dire altérerait le capital lui-même.
Puis les choses se dégradèrent: la globalisation des revenus fut progressivement abandonnée, tandis que les barèmes fiscaux se resserrèrent jusqu’à enlever le caractère progressif de l’impôt. On atteint très rapidement un niveau de taxation de 50%.
Pendant très longtemps, l’État n’a pas non plus indexé les barèmes fiscaux, imposant donc la hausse des revenus liée à l’inflation, qui n’était pourtant qu’une juste protection contre l’érosion monétaire. Concomitamment, la fiscalité se régionalisa, reflétant l’évolution du Royaume vers un modèle confédéral.
En même temps, au cours des 40 dernières années, la valeur nominale du capital mobilier et immobilier augmenta légèrement plus que les salaires. Il est donc normal qu’au-delà de la taxation des revenus du capital, le capital contribue lui-même à l’impôt.
C’est, depuis quelques années, la taxe sur les comptes titres, avant la taxation des plus-values, qui m’apparaît être la moins réfléchie de toutes les réformes fiscales depuis un demi-siècle. Cette taxation des plus-values, à l’effet plus symbolique qu’opératif, ressortit à la même catégorie que les ficelles budgétaires utilisées depuis des années.
De plus, la faible taxation des donations favorise l’accumulation de richesses, aggravant les inégalités. Une fiscalité verte, comme une taxe carbone alignée sur les objectifs climatiques européens, reste absente, malgré l’urgence des investissements environnementaux.
Par ailleurs, le vieillissement de la population révèle, en effet, une réalité très sombre des finances belges. En effet, il faut distinguer la fiscalité de la Sécurité sociale. La fiscalité relève d’une logique contributive: il faut financer les dépenses de l’État. La Sécurité sociale répond, quant à elle, à une logique assurantielle: des cotisations financent les prestations sociales de manière intragénérationnelle, mais surtout intergénérationnelle, c’est-à-dire que les actifs d’aujourd’hui financent les pensions et soins de santé des non actifs, ce qu’ils deviendront eux-mêmes un jour.
En 2025, le ratio actifs/inactifs est estimé à 2,8, contre 4 dans les années 1980, selon le Bureau du plan. Or, cette tendance va s’accentuer, ce qui va complètement faire dérailler les finances publiques. De surcroît, l’immersion dans l’intelligence artificielle va bouleverser le partage des gains de productivité et affecter le marché de l’emploi, ce qui risque d’aggraver ce déséquilibre du financement de la Sécurité sociale.
D’ailleurs, aujourd’hui, malgré les promesses de baisses d’impôts formulées lors des élections de 2024 au motif que la Belgique était le pays le plus imposé du monde, il n’y aura aucune baisse d’impôts. Au contraire, il y aura des hausses d’impôts, car il est impossible de réduire le déficit budgétaire, et donc la croissance de l’endettement public, dans un contexte de dépenses sociales croissantes (en raison du vieillissement de la population) sans augmenter les impôts.
C’est la raison pour laquelle les objectifs gouvernementaux de réduction du déficit budgétaire relèvent d’une erreur mathématique, ce que tous les organismes crédibles (Bureau du plan, Banque nationale, etc.) annoncent. Le gouvernement va donc se trouver dans la situation impossible de devoir augmenter les impôts, au risque de décrédibiliser l’État, d’autant plus que les contraintes européennes en matière d’endettement public et les augmentations prévisibles des dépenses militaires aggravent cette situation.
De surcroît, la Belgique devra financer d’immenses travaux d’infrastructures, liés notamment aux nouvelles contraintes climatiques, ce qui ne pourra évidemment pas être réalisé au détriment des dépenses courantes et sociales de l’État.
Il faut donc entièrement repenser la fiscalité des personnes physiques dans le contexte d’une globalisation des revenus et, sans doute, aller plus loin, c’est-à-dire moduler les cotisations et les prestations sociales en fonction des revenus imposables globalisés. Il est nécessaire de repenser la taxation du capital. Il convient également de revoir la fiscalité des successions (trop élevée) et des donations.
En somme, il faut un aggiornamento fiscal qui restitue les nouvelles réalités socio-économiques, car notre système ne ressemble plus qu’aux ruines d’un modèle manufacturier, depuis longtemps révolu. Cela pourrait constituer un beau projet académique et politique pour le bicentenaire.