Cet article est écrit et diffusé dans le cadre du Tax TV Show du mois de juillet, disponible en live et en replay sur oFFFcourse.
Depuis plusieurs années, un mécanisme redoutable cristallise l'attention des fiscalistes : la combinaison entre l’accroissement d’impôt de 10 % (article 444 CIR 92) et le mécanisme de rejet des déductions fiscales prévu à l’article 207, alinéa 7 CIR 92 (devenu 206/3).
En vertu de ce dispositif, l’administration peut refuser l’imputation de pertes (y compris celles de l’exercice en cours), ainsi que d’autres déductions (pertes antérieures…), sur un résultat rectifié ou taxé d’office, dès lors qu’un accroissement d’au moins 10 % est appliqué.
En pratique, l’effet domino est immédiat : un simple retard dans le dépôt de la déclaration suffit à entraîner une taxation d’office, l’application d’un accroissement, et l’exclusion mécanique de toutes les déductions. Le résultat fiscal imposé est souvent artificiel, totalement déconnecté de la capacité contributive réelle du contribuable.
Face à cette mécanique automatique, de nombreux juges de fond ont réagi, estimant le système disproportionné, ou s’interrogeant sur sa base légale. C’est dans ce contexte que deux arrêts de la Cour constitutionnelle sont intervenus : le premier, n° 129/2023 du 21 novembre 2023, a laissé planer un doute en évoquant que l’accroissement ne s’appliquait « en principe » pas en cas de première infraction sans intention de fraude. Cette formule a suscité des lectures pour le moins divergentes, chacun y trouvant la confirmation de sa position.
Le second arrêt, n° 90/2025 du 19 juin 2025, va plus loin : il confirme la constitutionnalité du dispositif, mais à des conditions strictes. La Cour reconnaît que l’article 444 confère à l’administration un pouvoir d’appréciation conforme au principe de légalité (article 170 de la Constitution), à condition qu’il soit justifié, motivé et contrôlable. Elle estime également que l’écart de traitement entre contribuables s’explique par des différences de situation factuelle, et non par le texte lui-même. Mais surtout, elle qualifie le mécanisme de sanction « à connotation pénale », au sens de l’article 6 § 1 CEDH. Cela implique que le juge fiscal doit exercer un contrôle de pleine juridiction sur l’application de l’accroissement et, partant, sur l’exclusion des déductions. Le juge doit vérifier que la mesure est proportionnée aux circonstances concrètes de l’affaire : gravité de l’infraction, bonne foi du contribuable, impact économique.
L’administration ne peut donc plus appliquer l’article 206/3 de manière automatique, ni se retrancher derrière une lecture formaliste du seuil de 10 %. L’arrêt transforme un automatisme fiscal en un dispositif discrétionnaire soumis au droit commun des sanctions. S’il ne déclare pas le système inconstitutionnel, il l’assujettit à un principe de proportionnalité impératif, qui redonne au juge un rôle central de garantie.
La question de l’accroissement de 10 % applicable en cas de première infraction ayant été au cœur des débats judiciaires, les partenaires de la coalition Arizona s’en sont emparé opportunément.
Dans la lignée des engagements gouvernementaux en faveur d’une fiscalité « plus humaine », la loi-programme du 10 juillet 2025 consacre ainsi un principe nouveau dans le Code des impôts sur les revenus : le droit à l’erreur pour la première infraction fiscale commise de bonne foi.
Codifié à l’article 444, alinéa 3 CIR 92, ce droit implique l’abandon automatique de toute majoration d’impôt lorsqu’un contribuable est reconnu comme ayant agi de bonne foi lors d’un premier manquement.
Le texte ne vient pas de nulle part. Il est le prolongement direct de l’« accord de Pâques », dans lequel le gouvernement s’engageait à inverser la logique de sanction automatique, en introduisant une présomption légale de bonne foi, et ce « pour tous les impôts ». C’est ici que les choses se corsent.
L’article 38 de la loi-programme du 10 juillet 2025 modifie exclusivement l’article 444 du CIR 92, sans transposer la réforme aux autres branches de la fiscalité (TVA, droits d’enregistrement, etc.), en dépit des promesses de l’accord gouvernemental. Ce choix restrictif n’est ni motivé dans les travaux préparatoires, ni justifié sur le plan juridique. Il crée un régime de faveur réservé aux impôts sur les revenus, et laisse de côté les autres domaines où les sanctions automatiques prospèrent.
Le régime antérieur (art. 444, al. 3 CIR 92, ancien) prévoyait déjà la possibilité pour l’administration de renoncer à l’accroissement minimum de 10 % en l’absence de mauvaise foi.
C’était une clause de bienveillance, rarement appliquée, faute d’obligation légale.
Le nouvel article 444 impose désormais l’obligation de renoncer à l’accroissement, à deux conditions cumulatives :
Le basculement de la simple possibilité à une obligation pourrait sembler protecteur. Il est en réalité plus restrictif que le régime antérieur, dans la mesure où la faculté générale de renonciation en l’absence de mauvaise foi disparaît. La réforme supprime donc un filet de sécurité pour les secondes infractions commises de bonne foi, au bénéfice d’un automatisme... plus encadré.
L’exposé des motifs renvoie à l’article 1.9 du Code civil, lequel définit la mauvaise foi comme la connaissance — ou la connaissance présumée — des faits qui rendent l’acte illicite. En droit fiscal, cette approche est transposée à la connaissance (ou ignorance fautive) de la norme applicable.
Quelques cas d’école sont suggérés :
Mais en pratique, le critère demeure essentiellement casuistique. Il laisse à l’administration une marge d’interprétation significative, surtout en cas de taxation d’office (art. 351 CIR 92), où la présomption de bonne foi est exclue.
Le texte légal ne définit pas la « première infraction ». Ce sont les travaux préparatoires qui précisent que :
Autrement dit, un reset quadriennal est institué : une infraction « vieille » de plus de quatre ans est neutralisée. Ce mécanisme, inspiré de la récidive pénale, crée une jurisprudence administrative du passé fiscal récent, qui devient le point de référence.
Mais attention : le fait qu’aucune majoration n’ait été appliquée à la première infraction ne l’efface pas. L’administration pourra donc s’y référer ultérieurement pour justifier l’application d’un accroissement à la suivante.
L’article 444, alinéa 4 CIR 92, inséré par la loi, exclut expressément la présomption de bonne foi en cas d’application de l’article 351 CIR 92 (taxation d’office). Cela ne signifie pas que la bonne foi soit alors impossible à démontrer, mais simplement qu’elle ne bénéficie plus d’une présomption légale.
Or, l’exposé des motifs ajoute que la bonne foi en cas de taxation d’office est « difficilement concevable ». Ce commentaire jette une ombre de suspicion systématique sur les contribuables qui n’ont pas déposé de déclaration ou l’ont déposée trop tard, même dans un contexte matériellement explicable (panne informatique, problème de santé, etc.).
La présomption d’innocence fiscale semble ici battue en brèche.
Il faut saluer une réforme structurellement positive, car elle inverse la charge de la preuve en faveur du contribuable : l’administration doit désormais démontrer la mauvaise foi pour sanctionner. Ce renversement, attendu de longue date, introduit une logique plus équilibrée dans la relation entre l’administration fiscale et le citoyen.
Mais plusieurs failles demeurent :