
1. Contexte. — L’affaire soumise à la cour d’appel de Gand concerne un contribuable qui s’était vu appliquer un accroissement d’impôt dans le cadre de l’impôt sur les revenus, à la suite d’une infraction relative au dépôt de sa déclaration fiscale. Il n’était pas contesté qu’il s’agissait, dans son chef, d’une première infraction et que celle-ci avait été commise sans intention d’éluder l’impôt.
Au moment de l’enrôlement de l’imposition litigieuse, l’administration fiscale a appliqué un accroissement d’impôt conformément à l’ancien régime de l’article 444 CIR 1992 (avant l’entrée en vigueur de la loi-programme du 18 juillet 2025), tel qu’interprété de manière constante par l’administration. En effet, en dehors des hypothèses de force majeure, un accroissement minimal de 10 % était en pratique systématiquement appliqué, même en l’absence de mauvaise foi.
Entre-temps, la loi-programme du 18 juillet 2025 a profondément modifié l’article 444 du CIR 1992. Le législateur y a consacré un principe clair : pour une première infraction commise de bonne foi, il doit être renoncé à tout accroissement d’impôt.
Cette réforme est ainsi assortie d’un renversement de logique important, puisque la bonne foi est désormais présumée, sauf preuve contraire, en dehors des cas de taxation d’office.
Toutefois, le législateur a limité formellement l’entrée en vigueur de ce nouveau régime aux impositions enrôlées à partir du 29 juillet 2025, date de publication de la loi-programme au Moniteur belge.
L’administration fiscale a tiré de cette disposition transitoire la conclusion que les impositions enrôlées avant cette date ne pouvaient bénéficier du nouveau régime, même si elles concernaient une première infraction commise de bonne foi.
C’est dans ce contexte que le contribuable a contesté l’accroissement d’impôt mis à sa charge, en soutenant que le nouveau régime, plus clément, devait s’appliquer rétroactivement, dès lors que les accroissements d’impôt constituent des sanctions de nature pénale. La cour d’appel de Gand a été amenée à se prononcer sur cette argumentation.
2. Questions. — La question juridique centrale porte sur la portée temporelle du nouveau régime instauré par l’article 444, alinéas 3 et 4, du CIR 1992. Plus précisément, il s’agit de déterminer si l’obligation de renoncer à tout accroissement d’impôt en cas de première infraction commise de bonne foi s’applique également aux impositions enrôlées avant le 29 juillet 2025 alors même que la loi ne le prévoit pas, que du contraire.
Cette interrogation renvoie directement au principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce (lex mitior), consacré tant par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme que par les principes généraux du droit pénal belge.
La difficulté tient au fait que le législateur a expressément prévu une entrée en vigueur différée et limitée du nouveau régime, alors même que celui-ci atténue substantiellement la sévérité de la sanction.
Dès lors, deux conceptions se sont opposées.
Selon l’administration fiscale, la règle de l’entrée en vigueur formelle prime : seules les impositions enrôlées à partir du 29 juillet 2025 peuvent bénéficier de l’exonération d’accroissement. Selon le contribuable, en revanche, dès lors que l’accroissement d’impôt constitue une sanction de nature pénale, le principe de la lex mitior impose l’application rétroactive de la réglementation plus clémente, indépendamment de la date d’enrôlement.
La cour devait donc trancher la question de savoir si la limitation temporelle prévue par le législateur pouvait faire échec à un principe fondamental du droit pénal trouvant une assise tant en droit national que supranational.
3. Solution apportée. — La cour d’appel de Gand fait droit à l’argumentation du contribuable. Elle commence par rappeler que les accroissements d’impôt prévus à l’article 444 du CIR 1992 doivent être qualifiés de sanctions de nature pénale au sens de l’article 6 de la CEDH, conformément à une jurisprudence constante, tant nationale qu’européenne.
Partant de cette qualification, la cour applique le principe selon lequel une loi pénale plus clémente doit recevoir un effet rétroactif. Elle souligne que le nouveau régime issu de la loi-programme du 18 juillet 2025 constitue indéniablement une norme moins sévère : non seulement il supprime toute sanction pour la première infraction commise de bonne foi, mais il instaure en outre une présomption de bonne foi en faveur du contribuable.
Dans cette perspective, la cour estime que la date d’enrôlement de l’imposition est indifférente. Dès lors qu’aucune décision définitive n’a été rendue et que la sanction n’est pas irrévocablement établie, le contribuable est en droit de se prévaloir de la réglementation plus douce. La cour écarte ainsi l’interprétation administrative fondée sur la disposition transitoire de la loi-programme, au motif qu’une norme nationale ne peut faire obstacle à l’application d’un principe conventionnel ayant effet direct.
En conséquence, l’accroissement d’impôt litigieux est dégrevé. La cour consacre ainsi, de manière explicite, l’effet rétroactif du nouveau régime de l’article 444 CIR 1992 pour les premières infractions commises de bonne foi, y compris lorsque l’imposition a été enrôlée avant le 29 juillet 2025.
4. Conclusion. — L’intérêt de cet arrêt est considérable, tant sur le plan pratique que théorique.
Sur le plan des principes, la décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence européenne et de la Cour constitutionnelle relative à la nature pénale des sanctions administratives fiscales et à l’application du principe de la lex mitior. Elle confirme que le législateur fiscal ne peut, par une simple disposition d’entrée en vigueur, neutraliser l’effet rétroactif d’une réforme pénale plus clémente à l’égard des peines administratives ayant une nature pénale.
Sur le plan pratique, l’arrêt ouvre des perspectives concrètes pour de nombreux contribuables. Tous ceux qui se sont vu infliger, dans le passé, un accroissement d’impôt de 10 % ou plus pour une première infraction commise de bonne foi peuvent, en principe, invoquer cette jurisprudence, pour autant que leur situation ne soit pas définitivement clôturée. Cela concerne notamment les dossiers encore pendants dans le cadre d’une réclamation administrative ou d’un recours judiciaire.
1. Contexte. —Le litige concerne des contribuables belges ayant perçu des dividendes de source française, soumis à une retenue à la source en France puis au précompte mobilier belge. Conformément à la convention fiscale franco-belge actuelle, ces dividendes ouvrent droit à l’imputation d’une quotité forfaitaire d’impôt étranger (QFIE) d’au moins 15 % du montant des revenus mobiliers nets.
Les contribuables avaient déclaré ces dividendes dans leurs déclarations à l’IPP pour plusieurs exercices, mais l’administration n’avait pas appliqué l’imputation minimale conventionnelle.
Après expiration du délai ordinaire de réclamation, ils ont sollicité un dégrèvement d’office sur la base de l’article 376 CIR 1992, demande rejetée par l’administration.
2. Questions. —L’enjeu ne portait plus sur le principe même de l’imputation de la QFIE – désormais clairement admis par la Cour de cassation et reconnu par l’administration (cf. Cass., 28 février 2025, F.23.0072.N. et Circulaire 2021/C/49 du 28 mai 2021) – mais sur la procédure permettant d’obtenir le remboursement lorsque l’impôt a été enrôlé sans imputation correcte.
L’administration soutenait que seule la procédure de réclamation (art. 371 du CIR 1992) était ouverte et excluait le recours au dégrèvement d’office, même en cas de double imposition manifeste.
3. Solution apportée. — Dans ce combat d’arrière-garde de l’administration, la Cour d’appel de Gand rejette cette position. Elle rappelle que les articles 15 et 19.A.1 de la convention franco-belge doivent être lus conjointement : si les deux États disposent du pouvoir d’imposer, la Belgique est tenue d’accorder une imputation minimale de QFIE afin d’éviter la double imposition. Le refus d’imputation constitue dès lors une surtaxe résultant d’un double emploi, ouvrant la voie au dégrèvement d’office prévu à l’article 376 du CIR 1992. Aucun fondement légal ne justifie ainsi aux yeux de la Cour de limiter ce mécanisme aux seules doubles impositions internes ou d’en exclure les situations conventionnelles.
4. Conclusion. —Cet arrêt marque une limite claire à la résistance procédurale de l’administration. Si celle-ci s’est alignée sur la jurisprudence de fond relative à la QFIE, elle ne peut, par une interprétation restrictive des voies de recours, priver le contribuable d’un mécanisme correctif destiné précisément à remédier aux doubles impositions.
D’autant que l’administration signe et persiste.
Dans sa récente Circulaire 2025/C/69 concernant la quotité forfaitaire d’impôt étranger (QFIE) et dividendes en provenance de la France du 27 octobre 2025, certes, elle consent désormais à ce que, suite à la jurisprudence en la matière (Cass., 23 novembre 2023, F.22.0034.N et 21 juin 2024, F.23.0098.F), la QFIE soit également reconnue en faveur des dividendes de source françaises qui ont été soumis au précompte mobilier belge mais n’ont pas été repris dans la déclaration des contribuables.
Dans ces cas, les contribuables peuvent récupérer l'excédent de précompte mobilier belge perçu dans un délai de cinq ans à compter du 1er janvier de l’année du paiement du précompte mobilier (cf. article 368 du CIR 1992). Ceci est important dans la mesure où jusqu'à présent, cela n’était possible que lorsque les dividendes français étaient déclarés dans la déclaration fiscale des contribuables. L’administration maintenait en effet que seule la procédure de réclamation pouvait s’appliquer alors, limant alors le délai d’action pour le contribuable puisque le délai pour introduire une réclamation est aujourd’hui d’un an après réception de son avertissement-extrait de rôle.
En revanche, l’administration maintient sa position pour les contribuables qui ont déclaré leurs dividendes de source française mais n’ont pas introduit de réclamation dans le délai légal. Celle-ci affirme effectivement toujours dans sa circulaire qu’il « ne peut être question de double emploi entre les impositions établies respectivement en Belgique et en France » (FAQ de la circulaire, point D), estimant ce faisant, pour ces cas, que seul le délai de réclamation d’un an leur était ouvert pour récupérer l’impôt indûment perçu.
L’arrêt commenté pourra ainsi donner aux contribuables des arguments à faire valoir en cas de contestation avec l’administration à ce propos.
1. Contexte. —La demande de décision anticipée porte sur une société de management (A), initialement détenue à 100 % par une personne physique (B). Avant son mariage sous le régime légal, B envisage une division d’actions (stock split) sans apport complémentaire, afin d’augmenter le nombre d’actions tout en conservant l’intégralité de la participation. Après le mariage, son épouse (C) souscrira, au moyen de fonds communs, à un nouvel apport en numéraire donnant lieu à l’émission d’une action supplémentaire appartenant à la communauté. L’opération vise notamment à assurer une meilleure divisibilité du capital en vue d’une planification successorale ultérieure, sans modifier l’actionnariat existant. La société sera ensuite transformée en société commandite, sans incidence sur la répartition des droits.
2. Questions. —L’enjeu central concerne l’application du régime VVPRbis (art. 269, §2, du CIR 1992). Il s’agit de déterminer si une scission d’actions constitue, sur le plan fiscal, un transfert susceptible d’exclure les nouvelles actions du bénéfice futur du régime, ou de faire naître une nouvelle période d’attente de trois ans pour l’application du taux réduit de 15 %. La question se posait également quant à l’éligibilité de l’action nouvellement émise au profit de C.
3. Solution apportée. —Le SDA confirme qu’une division d’actions est fiscalement neutre : elle ne constitue ni un transfert au sens du VVPRbis, ni un événement interruptif de la période d’attente. Les nouvelles actions issues du split remplacent les anciennes, sans altérer la continuité de la détention. En outre, l’action nouvellement émise dans le chef de C pourra bénéficier du régime VVPRbis, pour autant que l’ensemble des conditions légales soient effectivement respectées.
4. Conclusion. —Cette décision apporte une confirmation utile et cohérente avec la logique économique et juridique de la division d’actions : une opération purement technique ne peut, en elle-même, compromettre un régime fiscal incitatif. Elle sécurise les restructurations préalables à des opérations familiales ou successorales, tout en rappelant au surplus que le bénéfice du VVPRbis reste strictement conditionné au respect des critères légaux au moment de la distribution des dividendes.