« Gardez les règles simples, les procédures compréhensibles, et accompagnez les citoyens » : voilà la recommandation centrale du Médiateur fédéral Jérôme Aass, à l’occasion de la présentation de son rapport annuel à la Chambre ce 23 avril 2025. Dans une société de plus en plus normée, fragmentée, et technologisée, ces mots sonnent comme une évidence… et pourtant, ils prennent des allures de manifeste.
Le constat est limpide : la complexité administrative est devenue une source d’injustice. En 2024, plus de 6000 plaintes ont été enregistrées, souvent liées à des délais, à des incompréhensions, ou à des erreurs d’exécution. Le Médiateur ne pointe pas seulement des dysfonctionnements isolés, il identifie un système administratif à bout de souffle, où règles, guichets et canaux d’information s’entrechoquent au lieu de s’aligner.
Nous, experts-comptables et conseillers fiscaux, reconnaissons intimement ce diagnostic. Parce qu’il est aussi le nôtre. Nous vivons, au quotidien, au cœur de ce maquis normatif, avec et pour nos clients. Une fiscalité belge à tiroirs multiples, des obligations sociales mouvantes, des déclarations sans cesse reformulées, des délais administratifs imprévisibles… chaque dossier devient une épreuve de décodage.
Nos cabinets sont devenus des bureaux de traduction du droit. Traduction vers le langage courant pour les clients. Traduction vers l’administration pour faire valoir un droit ou corriger une erreur. Traduction, parfois, entre deux administrations elles-mêmes.
Et il faut bien le reconnaître : nous ne sommes plus seulement des techniciens, mais aussi des médiateurs, des accompagnateurs, des rassureurs.
Le Médiateur plaide pour un droit à l’erreur, pour une présomption de bonne foi, pour une empathie administrative. Ces principes ne devraient pas être des revendications. Ils devraient être les fondements même de toute législation moderne.
Or, ce n’est pas le chemin que nous empruntons.
Nous voyons aujourd’hui émerger une norme d’un nouveau genre : la norme punitive, où la sanction précède souvent l’explication, et où l’erreur – même involontaire – peut suffire à déclencher une cascade de conséquences.
Cette évolution, nous la subissons, mais nos clients en paient le prix. Dans leurs primes énergie mal attribuées, dans les cotisations sociales rectifiées trois ans plus tard, dans les régularisations qui tombent sans préavis. Et dans le sentiment grandissant d’être piégés par un système censé les protéger.
Le rapport du Médiateur fédéral pointe également une hausse vertigineuse des demandes d’information : +70 % depuis 2020. Là encore, le parallèle est évident. Nos lignes téléphoniques, nos boîtes mail, nos outils digitaux ne désemplissent pas. Pas uniquement pour du conseil stratégique, mais pour comprendre. Comprendre un avis, une amende, une demande, une obligation.
La numérisation, souvent pensée comme solution à la complexité, n’a fait que déplacer le problème, parfois en l’aggravant. Le formulaire en ligne devient lui-même un piège. Le guichet numérique, une source d’exclusion pour certains publics. La norme digitale ne vaut que si elle s’accompagne de clarté, de support, de pédagogie. Et, là aussi, notre profession est appelée à jouer un rôle croissant d’interface humaine.
Face à cette complexité systémique, l’OECCBB réaffirme son engagement à accompagner ses membres dans cette évolution de rôle. C’est le sens de notre initiative sur l’intelligence artificielle, qui doit permettre d’automatiser certaines tâches pour libérer du temps au profit de la relation humaine. C’est aussi la logique de nos formations, ou de notre veille réglementaire proactive.
Mais il est temps d’aller plus loin. L’expert-comptable et le conseiller fiscal doivent être écoutés en tant qu’acteurs de simplification. Parce que nous sommes au cœur des flux, des frictions, et des paradoxes. Notre expérience est précieuse pour repenser des dispositifs, pour tester des processus, pour évaluer la clarté d’un formulaire, pour alerter sur l’inapplicabilité d’une règle.
Quand une norme devient incompréhensible pour ceux qu’elle concerne, elle cesse d’être légitime. Quand elle exige plus qu’elle ne protège, elle crée de l’insécurité.
Notre rôle ne s’arrête plus au calcul d’un impôt ou à l’établissement d’un bilan. Il s’élargit à une mission civique : défendre la lisibilité du droit, dans une société qui tend à l’oublier.
Le rapport du Médiateur fédéral nous rappelle qu’il est temps de revenir au bon sens. Et de faire entendre, ensemble, notre voix.