Difficultés à ouvrir un compte bancaire pour une société en constitution : enjeux et critères d'alerte de la CTIF

Au travers de nos permanences, revient régulièrement une interrogation de nos membres sur cette thématique rencontré par leurs clients.

Cette question nous offre l'opportunité d'étudier le profil de risque du client. L'ouverture d'un compte bancaire pour une société en constitution est devenue un véritable défi, tant pour les entrepreneurs que pour les professionnels qui les accompagnent, notamment les experts-comptables. Ce processus, qui pouvait autrefois sembler simple, s'est complexifié en raison du renforcement des règles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LAB/FT) et des instructions des compliance officers des établissements bancaires. Les banques doivent désormais appliquer des critères stricts avant d’accepter l’ouverture de comptes pour des sociétés en création, afin de garantir la transparence des transactions et prévenir toute activité illicite.

Dans une récente note publiée par la Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF), plusieurs critères d'alerte ont été mis en avant pour aider les institutions financières à identifier les opérations suspectes. Ces critères doivent également être pris en compte par les experts-comptables lors de la création de sociétés, afin de faciliter l’ouverture des comptes bancaires tout en respectant les obligations légales.

Pourquoi l'ouverture d'un compte bancaire est-elle devenue si complexe ?

Le durcissement des règles en matière de LAB/FT, notamment suite aux directives européennes, impose aux banques des mesures de vigilance accrues. Ces dernières doivent désormais s'assurer que chaque entreprise, y compris les sociétés nouvellement créées, respecte les normes de transparence et ne présente aucun risque lié au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme.

Afin de mieux identifier les opérations suspectes, la CTIF a publié une série de critères d'alerte que les institutions financières doivent prendre en compte lors de l’ouverture de comptes. Ces critères concernent particulièrement les sociétés en constitution et doivent être intégrés dans les manuels de procédures des experts-comptables pour anticiper les blocages potentiels et garantir la conformité.

Voici les principaux critères d'alerte définis par la CTIF :

  • L'exigence de documents supplémentaires pour justifier l'origine des fonds et les activités de l'entreprise.
  • La réticence des banques à ouvrir des comptes pour des structures dont les bénéficiaires effectifs ou les activités sont jugés à risque.
  • Des délais plus longs et des refus d'ouverture de comptes pour les sociétés dont la situation ou les justificatifs sont jugés insuffisants.
  1. Refus ou évitement de fournir des informations
    Le client refuse ou évite de fournir les informations demandées par l’institution financière, tente de réduire au maximum les informations qu’il doit donner ou fournit des informations mensongères ou difficiles à vérifier.

  2. Informations sur les bénéficiaires effectifs
    Le client refuse de fournir des renseignements concernant les bénéficiaires effectifs d’un compte ouvert au nom d’une personne morale ou fournit des informations mensongères ou difficiles à vérifier.

  3. Ouverture de compte dans une agence éloignée
    Le client ouvre un compte dans une agence bancaire éloignée de son lieu de résidence ou de l’endroit où il exerce ses activités professionnelles, sans explication raisonnable.

  4. Incohérences dans les documents d'identification
    La présence d'incohérences dans les documents d’identification présentés (adresses différentes, dates de naissance différentes, numéros de téléphone qui ne correspondent pas…).

  5. Présence d'une tierce personne inconnue
    Le client est accompagné d’une tierce personne, sans lien connu, qui refuse de s’identifier.

  6. Absence d'activité économique connue
    Le client n’exerce aucune activité économique connue ou les transactions sur son compte ne correspondent pas à son profil.

  7. Plusieurs signataires sans lien
    L’ouverture d’un compte sur lequel plusieurs personnes ont pouvoir de signature alors que ces personnes semblent n’avoir aucune relation entre elles (ni familiales, ni d’affaires).

  8. Présentation de documents falsifiés
    La présentation de documents falsifiés (caractères différents, modifications à la main, documents difficilement déchiffrables).

  9. Multiples comptes au même endroit
    L’ouverture de plusieurs comptes bancaires par des entités ayant le même siège social ou les mêmes directeurs/signataires, sans raison apparente.

  10. Sociétés sans consistance économique
    L’ouverture de comptes bancaires au nom de sociétés sans véritable consistance économique. Ces sociétés peuvent être utilisées à des fins criminelles, avec des comptes qui voient un fort accroissement des transactions en un court laps de temps.

Intégrer les critères d'alerte dans le Manuel de procédure des experts-comptables

Afin d’accompagner au mieux les sociétés en constitution dans l'ouverture de comptes bancaires, les experts-comptables doivent veiller à intégrer ces critères d'alerte dans leur manuel de procédure. Cela permettra non seulement de faciliter le dialogue avec les banques, mais aussi de détecter les situations potentiellement à risque, et ainsi éviter tout manquement aux obligations LAB/FT.

Recommandations pour nos membres experts-comptables

  1. Anticiper les exigences bancaires
    Informez vos clients dès le début des critères stricts imposés par les banques. Assurez-vous que toutes les informations nécessaires sont préparées à l'avance pour éviter les retards ou les refus d'ouverture de compte.

  2. Collaboration étendue avec les institutions financières
    Renforcez la communication avec les banques afin de mieux comprendre leurs attentes et d'anticiper les éventuelles demandes de documents supplémentaires. Cela facilitera le processus d’ouverture de compte pour vos clients.

  3. Mise à Jour régulière du Manuel de procédures de la fiduciaire
    Assurez-vous que votre manuel de procédures est régulièrement mis à jour en fonction des nouvelles réglementations et des recommandations de la CTIF. Cette mise à jour permettra à vos équipes d’identifier les signaux d’alerte dès les premières étapes de la constitution de la société.

  4. Formation continue des équipes
    Organisez des formations régulières (au min. une fois par an) sur les critères d'alerte et les bonnes pratiques LAB/FT pour que vos collaborateurs soient toujours en phase avec les évolutions réglementaires et puissent agir en conformité.

Conclusion

L'ouverture d'un compte bancaire pour une société en constitution représente aujourd’hui un processus complexe, marqué par des exigences accrues en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En tant qu’experts-comptables, il est essentiel d’intégrer les critères d'alerte définis par la CTIF dans vos procédures internes afin de mieux anticiper les demandes des banques et d’assurer une conformité totale pour vos clients.

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