
Une émission oFFFcourse, organisée au cœur du Congrès des experts-comptables et du Salon AVEC, a pris la mesure d’une transition majeure : dès 2026, les plus-values sur crypto-actifs entreront dans l’assiette fiscale belge. Autour du plateau, Baptistin Alaime, François Charlez, Florian Ernotte et Geoffroy Galéa ont confronté doctrine, pratique et compétitivité pour éclairer un lectorat d’experts-comptables, fiscalistes et dirigeants. L’enjeu de l’échange était net : passer du “no man’s land” à un cadre appliqué, avec DAC8, une transparence renforcée, la documentation des wallets et la fin progressive de l’anonymat.
La réforme acte l’inclusion des crypto-actifs dans le régime des plus-values à 10% appliqué aux actifs financiers, tout en conservant la distinction belge entre gestion normale (10%), revenus divers (33%) et revenus professionnels (taux progressifs). Elle ne règle pas l’essentiel : où placer le curseur entre investissement prudent et spéculation?
« À partir du moment où on fait une taxe sur les plus-values sur actifs financiers, les cryptos devaient être inclus dedans. Mais ce qu’on attendait, c’était plutôt des clarifications qui sont toujours pas là », a pointé Baptistin Alaime.
Pour François Charlez, l’insécurité demeure : « La question est floue : à quel moment est-on considéré comme un spéculateur ? J’aurais attendu des critères clairs, un curseur. » Si le taux de 10% est vu comme un compromis compétitif, « 10% je trouve ça raisonnable […] c’est une manière de nous rapprocher des États concurrents tout en restant attractifs », a estimé Geoffroy Galléa, la Belgique ne s’aligne pas sur les exonérations liées à la durée de détention (Luxembourg, Allemagne), ce qui pénalise les profils long terme.
Premier malentendu à corriger : tous les crypto-actifs ne sont pas des instruments financiers au sens de MiCA. « La majorité des crypto-actifs que nous connaissons ne sont pas des actifs financiers, ce sont des commodités digitales. Bitcoin n’est pas un actif financier », rappelle Florian Ernotte. Pourtant, le projet belge “vise” les cryptos par renvoi à la réglementation européenne, agrégant fiscalement des réalités hétérogènes.
Sur le terrain des faits générateurs, l’approche se durcit : swap crypto-crypto, conversion en fiat, usage de crypto pour acquérir un bien — dès qu’il y a aliénation, la plus-value devient taxable. « L’idée est de ratisser large […] dès que l’actif est aliéné […] si cela donne lieu à une plus-value, on passe à la caisse », a résumé Geoffroy. Cette extension interroge en période volatile : imposition d’une plus-value “papier” au swap, suivie d’une moins-value non imputable. « La Belgique ne fait pas comme la France », a rappelé Florian.
La DeFi bascule majoritairement en revenus mobiliers (intérêts, rendements), hors périmètre des plus-values à 10%. « Pour moi, la finance décentralisée génère des revenus mobiliers », insiste Florian, avec une granularité technique (staking direct, délégation, lending, liquidity mining) qui manque encore de circulaires.
La trajectoire de contrôle est limpide : DAC8 met fin à l’angle mort des flux crypto, au bénéfice d’un reporting croisé plateformes-administrations dès les transactions postérieures au 1er janvier 2026. « Tout le monde va devoir déclarer ses plus-values crypto… il faudra les mettre dans sa déclaration fiscale », a prévenu Baptistin Alaime. Les cabinets devront organiser la collecte des historiques, la traçabilité des swaps et la preuve des coûts d’acquisition.
La doctrine administrative évolue — sortie d’une vision “tout spéculatif” — mais reste fragile. « Un actif ne peut pas être spéculatif en soi […] c’est évidemment la personne qui est derrière qu’il y a un but spéculatif ou non », a rectifié Geoffroy Galéa. Entre durée de détention, fréquence des opérations et exposition relative du patrimoine, beaucoup de repères sont “officieux” : « En Belgique on sait pas trop […] j’ai déjà entendu des fonctionnaires […] un an […] mais ça n’a aucune base légale », a-t-on rappelé. D’où l’appel à des zones de sécurité mesurables : plafonds d’opérations annuelles, interdiction du levier pour rester en gestion ordinaire, durée minimale de détention (à l’image de 6 ou 12 mois ailleurs). « La solution ça serait […] apporter de la clarté à l’investisseur […], fixer une durée de détention ».
Sur le risque de requalification massive, l’avertissement est sans détour : « Ne faites surtout pas ça Dany, s’il vous plaît […] le spéculatif on va le garder pour des cas vraiment extrêmes. » Et côté pratique, la prudence s’impose sur les démarches de ruling : « N’allez pas voir le SDA […] objectivement parlant, c’est pas toujours justifié. »
Sur la méthode de calcul, pas de standard imposé (FIFO/LIFO/prix moyen) — la cohérence dans le temps devient centrale. L’administration n’a pas d’outil officiel validé. « Pour le moment, c’est plutôt du bricolage… L’administration n’a pas son propre logiciel, ni vérifié un logiciel qui marcherait », a-t-on relevé, alors que certains éditeurs utilisent indûment des logos publics.
À l’interface bancaire, la frilosité persiste. Cas concret : fermeture de compte après un transfert de 80 000 euros issus de gains crypto. « Les banques sont vraiment très frileuses… le risque du contribuable, c’est que les banques refusent le transfert, à moins d’avoir un dossier béton », avertit François Charlez. Des produits liés à des stablecoins pourraient apparaître, mais la condition restera une documentation irréprochable.
Dans la relation client, l’auto-positionnement fonctionne “assez souvent” : « Dans 80% des cas […] les clients font une bonne appréciation de leur situation », rapporte un praticien. Mais l’aléa interprétatif et la montée des contrôles commandent une discipline probatoire : journaux de transactions, exports de plateformes, rapprochements on-chain, preuves KYC/AML, cartographie des faits générateurs.
« Nous savons désormais que les cryptomonnaies ne relèvent plus du folklore financier, elles deviennent un actif fiscalement structuré », a résumé l’animateur. Et la recommandation opérationnelle s’impose : ajouter “crypto” aux checklists fiduciaires, du simple “avez-vous un compte crypto ?” au détail des plus-values perçues. « Il y aura une appréhension générale… il faut être le meilleur élève de la classe », a-t-on insisté.
Impact pour les experts-comptables
Structurer des politiques de méthode (FIFO/LIFO/prix moyen) et les maintenir dans le temps.
Industrialiser la collecte et l’audit des données crypto (wallets, exchanges, DeFi), avec consolidation et calcul des plus-values.
Mettre en place des checklists d’auto-positionnement (gestion ordinaire vs revenus divers/professionnels) et des mémos de qualification DeFi par type de flux.
Préparer la défense sur les sanctions en s’appuyant sur la complexité technique et l’absence de circulaires claires.
Conséquences réglementaires
Déclaration obligatoire des plus-values dès 2026, couplée aux exigences DAC8 pour les transactions postérieures au 1er janvier 2026.
Persistance du triptyque 10%/33%/progressifs selon qualification, faute de critères légaux normés.
Renvoi à la réglementation européenne pour “viser” les crypto-actifs, malgré l’absence d’une définition nationale autonome.
Signaux stratégiques
Le taux à 10% est un compromis compétitif, mais des hausses futures ne sont pas exclues selon les arbitrages budgétaires.
Déplacement vers des enveloppes régulées (ETF, custody) perçues comme “gestion normale”, avec meilleure lisibilité fiscale.
Montée en puissance des contrôles : de la banque (rapatriement fiat) vers la détection proactive via DAC8.
Points d’attention
Fait générateur élargi : imposition au swap crypto-crypto sans flux fiat; prévoir une réserve d’impôt.
Distinguer opérations techniques (transferts, conversions via stablecoins) des opérations spéculatives; interdiction de levier pour rester en gestion ordinaire.
Qualification fine des flux DeFi et des revenus accessoires (airdrops, rewards) souvent hors “plus-values” stricto sensu.
Frilosité bancaire et responsabilité documentaire : trajectoire des fonds de bout en bout, preuves KYC/AML, alignment des états financiers avec les exigences fiscales.
La réforme crypto 2026 clarifie l’intention (taxer les plus-values à 10%) et rapproche la Belgique d’une moyenne européenne, sans éradiquer le cœur du problème : la qualification des comportements et des flux dans une matière techniquement mouvante. La transparence DAC8, la fin des angles morts et l’exigence de traçabilité redistribuent les responsabilités — vers le contribuable et son conseil. La qualité des échanges, la densité des informations et la diversité des angles traités confirment l’importance de suivre l’ensemble des émissions oFFFcourse : pour transformer une bascule fiscale en pratique maîtrisée, sécuriser les dossiers et garder le cap dans un cadre en recomposition. « Le véritable défi, ce n’est pas de taxer : c’est de moderniser », pourrait-on résumer — en outillant, en documentant et en interprétant avec prudence.