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Valorisation, réorganisations et gouvernance: ce que les dernières clarifications changent vraiment pour les experts du chiffre

Les réformes fiscales annoncées et les débats autour de la future taxation des plus-values replacent les évaluations, les réorganisations sociétaires et la qualité de l’information financière au cœur du rôle des experts du chiffre.

Lors du Tax TV Show du 17 décembre 2025, Christophe Remon a livré une lecture structurée et pragmatique des évolutions récentes, en croisant droit des sociétés, normes professionnelles et positions doctrinales de l’ICCI.

Au-delà des textes, une même question traverse l’ensemble des sujets abordés : jusqu’où va la responsabilité technique et déontologique de l’expert dans un environnement fiscal et juridique de plus en plus exigeant ?


1. Valorisation et missions d’évaluation : un cadre qui se resserre

Qui peut valoriser, et dans quel cadre ?

Le législateur souhaite voir émerger une note technique commune IRE–ITAA, traduisant une volonté claire d’harmonisation des pratiques. Plusieurs balises ressortent avec netteté :

  • la mission d’évaluation ne peut pas être exercée par le commissaire de l’entité concernée ;
  • l’évaluateur agit soit pour les actionnaires, soit pour un tiers, jamais pour l’entité elle-même ;
  • la norme de référence privilégiée est la norme IVS, sous réserve de validation formelle par l’IRE, toute dérogation devant être explicitement justifiée dans le rapport.

Déontologie, scepticisme et qualité

Au-delà de la technique, l’accent est mis sur les fondements déontologiques :

  • respect intégral de la loi du 7 décembre 2016 (acceptation de mission, documentation, lettre de mission, rapport) ;
  • exigence de scepticisme professionnel renforcé ;
  • mise en place d’un système de contrôle qualité conforme (logique ISQM) ;
  • vérification préalable qu’aucun confrère n’a réalisé une mission équivalente au cours des 12 derniers mois ;
  • possibilité de recourir à un EQR (engagement quality review).

La valorisation cesse ainsi d’être un simple exercice chiffré : elle devient une mission à haut risque, tant sur le plan fiscal que disciplinaire.


2. Scissions silencieuses : une neutralité fiscale enfin sécurisée

Le problème initial

Avant la réforme, les scissions et fusions dites « silencieuses » posaient une difficulté majeure :

le transfert d’immeubles pouvait entraîner des droits d’enregistrement jusqu’à 12,5 %, l’exonération étant historiquement conditionnée à l’émission d’actions nouvelles.

La réforme du 23 octobre 2025

La loi est venue lever cette insécurité en élargissant clairement le régime d’exonération :

  • fusions simplifiées entre sociétés sœurs : exonération maintenue même sans émission d’actions ;
  • fusions et scissions silencieuses : neutralité fiscale confirmée, sous réserve de clauses anti-abus ;
  • scissions partielles silencieuses : transfert d’une branche d’activité vers une filiale détenue à 100 %, sans actions nouvelles, avec exonération des droits d’enregistrement, y compris pour l’immobilier.

Un point clé mérite l’attention des praticiens : la valeur d’acquisition fiscale est désormais clairement reprise à la valeur historique, évitant la création artificielle de plus-values latentes lors d’une cession ultérieure.

Une condition transversale

Toutes ces opérations doivent poursuivre un objectif économique réel : réorganisation, simplification, transmission ou rationalisation du groupe.


3. Apports en nature : rétroactivité, attention aux confusions

Juridique vs comptable

L’avis de l’ICCI rappelle une distinction fondamentale souvent mal comprise :

  • aucune rétroactivité juridique n’est jamais possible : l’opération n’existe qu’à compter de l’acte notarié ;
  • une rétroactivité comptable est parfois admise, mais uniquement dans le cadre d’un apport d’universalité ou de branche d’activité.

Cette rétroactivité comptable :

  • doit être expressément mentionnée dans l’acte ;
  • ne peut jamais remonter avant le premier jour de l’exercice en cours si les comptes précédents ont déjà été approuvés ;
  • est exclue pour les simples apports d’actifs nets (« asset deals »).

Conséquences pratiques

Lorsqu’un apport ne peut pas être rétroactivé comptablement, l’opération devient un événement post-clôture significatif, imposant une information adéquate dans l’annexe aux comptes annuels et, le cas échéant, dans le rapport de gestion.


4. Comptes annuels et litiges : entre secret et image fidèle

L’ICCI adopte une position nuancée concernant les procédures pénales en cours :

  • aucune obligation de mentionner explicitement l’existence d’une instruction pénale ;
  • respect du secret de l’instruction et du droit de ne pas s’auto-incriminer ;
  • mais obligation impérative de respecter le principe de l’image fidèle.

Selon les circonstances, cela peut impliquer :

  • la constitution d’une provision ;
  • ou, à défaut de quantification possible, une mention appropriée en annexe, formulée de manière générale, sans révélation de détails sensibles.

La responsabilité de l’appréciation finale repose clairement sur l’organe d’administration.


5. Petites sociétés et commissaire : l’exception mise à l’épreuve

Une lecture consolidée pour les sociétés mères

L’ICCI tranche une question récurrente :

une société mère, même si elle reste petite prise isolément, ne peut pas bénéficier de l’exemption de contrôle légal si le groupe dépasse les seuils sur base consolidée.

En pratique :

  • les critères de chiffre d’affaires, de bilan et d’effectifs doivent être analysés au niveau du groupe ;
  • l’exception prévue à l’article 3:72 CSA ne joue pas pour la société mère d’un groupe dépassant les seuils consolidés.

Conséquence directe

La société mère doit nommer un commissaire, même si elle ne dépasse aucun seuil individuellement.


6. Conclusion

Les sujets abordés lors de ce Tax TV Show illustrent une tendance lourde :

le droit des sociétés, la fiscalité et les normes professionnelles convergent vers une exigence accrue de rigueur, de transparence et de justification économique.

Pour les experts du chiffre, le message est clair :

la maîtrise technique ne suffit plus. Elle doit s’accompagner d’une lecture transversale des risques, d’une documentation irréprochable et d’un positionnement déontologique solide.

C’est précisément dans ce rôle de décryptage, de mise en perspective et d’anticipation que le Forum For the Future entend continuer à accompagner la profession, en transformant la complexité normative en intelligence collective et opérationnelle.

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