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La durabilité: nouvelle contrainte ou opportunité pour les experts-comptables certifiés ?

La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et les normes européennes d’informations de durabilité (European Sustainability Reporting Standards ou ESRS) s’appliquent progressivement à compter du 1er janvier 2024.

La CSRD est une directive européenne qui vise à harmoniser la publication d’informations en matière de durabilité. Ces informations extra-financières sont nécessairement liées à des investissements et des choix stratégiques des entreprises qui doivent accompagner le GREEN DEAL de la Commission européenne.

Face aux demandes croissantes de la part des donneurs d’ordre, financiers, investisseurs – dues aux évolutions de la pratique des affaires –, et à la multiplication des reportings de données environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) parfois difficiles à acquérir, la CSRD a pour objectif d’adopter un langage commun, unique et harmonisé pour simplifier ce reporting, rationaliser les demandes faites aux entreprises et leur permettre de piloter leurs performances en améliorant la transparence et la fiabilité de ces données.

L’application de la directive européenne CSRD se fait de manière progressive en fonction des entreprises concernées :

- 2025 Entreprises cotées et institutions financières de > 500 salariés, CA >50M€ et bilan > 25M€ (publication en 2025 sur l’exercice 2024)

- 2026 Entreprises > 250 salariés, CA>50M€ et bilan>25M€ (2 critères sur3) (exercice 2025)

- 2027 PME cotées sauf micro-entreprises.

Les PME doivent-elles pour l’instant forcément transmettre des informations sur tous les enjeux de la CSRD ?

Non, la publication d’informations sur tous les enjeux de la CSRD n’est pas obligatoire.

Seules les informations correspondant à des impacts, des risques ou des opportunités significatifs pour l’entreprise (qualifiés de « matériels ») sont à publier. Pour les identifier, il convient de procéder à une analyse de double matérialité.

Pourquoi une analyse de double matérialité ?

La double matérialité est un filtre qui permet à l’entreprise de retenir seulement les informations pertinentes, c’est-à-dire celles qui permettent de rendre compte d’impacts (environnementaux, sociaux ou de gouvernance) significatifs de l’entreprise ainsi que des conséquences financières probables qui y sont rattachées.

C’est donc une étape indispensable pour proportionner ses efforts aux seules informations effectivement « matérielles » à publier.

Par exemple, pour un industriel du secteur habillement (jeans et autres vêtements teintés), la consommation d’eau est a priori « matérielle », contrairement à un cabinet de conseil.

Cette analyse est le point de départ d’un processus long nécessitant d’impliquer toutes les parties prenantes, et notamment la direction, pour faire de la durabilité un sujet de priorité. Et la digitalisation est présentée à ce propos comme essentielle pour simplifier ce reporting.

Des standards européens « généraux » (European Sustainability Reporting Standards – ESRS) précisent et harmonisent les informations à transmettre. Ils couvrent des enjeux environnementaux (climat, pollution, eau, biodiversité, déchets), sociaux et de gouvernance pour l’ensemble des secteurs.

Par ailleurs des standards sectoriels sont également en cours d’élaboration afin de faciliter l’analyse de matérialité.

Ces normes ESRS sont des outils de pilotage stratégique pour l’entreprise vers des modèles d’affaires durables. Les ESRS imposent des obligations en matière de transparence, mais ne prescrivent aucune obligation en matière de résultats à atteindre.

Par exemple, lorsqu’une information est exigée concernant les politiques ou actions mises en place par l’entreprise, cette dernière doit publier ce qu’elle fait ou a l’intention de faire, mais peut également déclarer qu’elle n’a pas adopté de politique en matière de durabilité sur cet enjeu.

QUESTION PRATIQUE : la PME doit-elle systématiquement solliciter ses fournisseurs pour collecter ces informations ?

Pas nécessairement, le nombre d’informations quantitatives portant sur la chaîne de valeur est faible et les ESRS permettent aux entreprises d’utiliser des estimations si elles ne peuvent pas obtenir toutes les informations après avoir déployé des « efforts raisonnables » à cet effet.

La CSRD ne requiert pas de collecte systématique de données auprès des acteurs de la chaîne de valeur (amont et aval). De manière plus spécifique :


- L’analyse des impacts, risques et opportunités ne prescrit pas la collecte de données auprès des sous-traitants – conformément à la pratique actuelle en matière de risques financiers.

Certaines informations quantitatives n’impliquent pas de collectes supplémentaires puisqu’elles sont issues des contrats d’achat passés par l’entreprise assujettie (substances polluantes, déchets, …)

- Pour d’autres (ex. les émissions GES – gaz à effet de serre), des données statistiques (sans collecte) peuvent être utilisées.

- Même pour les informations qualitatives, la collecte d’éléments auprès des fournisseurs n’est pas systématique. Il ne s’agit donc pas de collecter massivement des informations mais bien de sélectionner les parties prenantes essentielles, susceptibles d’apporter une information significative de par leur savoir-faire ou leurs données disponibles, pour qualifier la matérialité d’un enjeu ou fournir une information significativement meilleure que l’estimation disponible.

Les normes ESRS couvre 12 normes tous secteurs confondus. Existent :

• Les normes transversales distinguant :

1. ESRS 1 – « Principes généraux »,

2. ESRS 2 – « Informations générales à fournir »,

• Les normes environnementales :

1. ESRS E1 – « Changement climatique »,

2. ESRS E2 « Pollution »,

3. ESRS E3 « Eau et ressources marines »,

4. ESRS E4 – « Biodiversité et écosystèmes »,

5. ESRS E5 « Utilisation des ressources et économie circulaire »

• Les normes sociales :

ESRS S1 – « Personnel de l’entreprise »,

ESRS S2, S3 & S4 – « Travailleurs de la chaîne de valeur », « Communautés affectées » et « Consommateurs et utilisateurs finaux »,

• Les normes de gouvernance :

ESRS G1 – « Conduite des affaires ».

Comment fonctionnent les ESRS ?

Les ESRS constituent avant tout un outil de pilotage de la trajectoire des entreprises vers des stratégies et modèles d’affaires durables, avant d’être un instrument de transparence.

Les ESRS imposent des obligations en matière de transparence, mais elles ne prescrivent aucune obligation en matière de comportement. Pour rappel, lorsqu’une information est exigée concernant les politiques, les actions et les cibles liés aux enjeux de durabilité, l’entreprise doit publier ce qu’elle fait ou a l’intention de faire dans ce domaine conformément aux ESRS, mais elle a également la possibilité de déclarer qu’elle n’a pas adopté de politique en matière de durabilité.

Les informations sur les politiques, actions, cibles et indicateurs ne sont requises que lorsque les enjeux sont considérés comme matériels.

Qu’est-ce qu’un «effort raisonnable» dans la collecte de données ?

La Commission Européenne a défini des critères pour qualifier le caractère « raisonnable » de la collecte d’informations dans un esprit de proportionnalité (taille et ressources de l’entreprise), de maturité de la chaine de valeur (capacité technique des sous-traitants) et de disponibilité d’outils simples pour collecter ces données.

La Commission européenne a élaboré des recommandations sur le caractère « raisonnable » de la collecte sous forme de FAQ, aisément consultables sur son site.

Dans la majorité des entreprises consultées par la DGE, un mécanisme de reporting des fournisseurs est souvent déjà en place (questionnaires transmis annuellement ou lors du renouvellement des appels d’offre) et ne nécessite pas à court terme de transmettre plus d’informations pour la CSRD.

La CSRD a pour but d’uniformiser les pratiques de reporting au niveau européen.

La question qui tue ? Encore des normes alors que tous les politiques souhaitent simplifier la vie des PME … Encore des tableaux ! mais qui va s’occuper de ça ? et quel en sera le coût pour la PME ?

Dans la plupart des cas, pour les entreprises déjà concernées, c’est la Direction Générale qui suit directement les travaux de mise en oeuvre – portés par la Direction RSE ou la Direction Finance ou les deux, du moins dans les entreprises de taille moyenne ou grande.

Cela révèle qu’au-delà du simple reporting, la CSRD doit donc être perçue comme un outil de pilotage stratégique – permettant d’identifier les éléments essentiels (matériels), de diagnostiquer ses impacts et ses dépendances et d’enclencher des actions de transition.

Quel impact pour les PME ?

Seules les PME cotées seront assujetties à la CSRD à partir de 2027 avec la possibilité de n’appliquer la norme qu’en 2029.

Les ESRS qui concernent les PME seront une version simplifiée bientôt disponible à moyen terme.

Si les PME non cotées n’entrent pas dans le champ de la directive, elles peuvent recevoir des demandes (facultatives) de la part des donneurs d’ordre.

Une norme volontaire simplifiée sera disponible pour leur permettre de fournir des éléments harmonisés et circonscrire les demandes. Ces demandes d’informations peuvent avoir lieu notamment lorsqu’elles permettent de valoriser les efforts mis en place par l’entreprise.

Par exemple, les PME seront dotées d’avantages comparatifs vis-à-vis de leurs concurrents internationaux au regard de la CSRD, grâce au mix électrique fortement décarboné, au système de protection sociale et à des normes encourageant déjà les entreprises à diminuer leur impact environnemental.

A ce stade, les entreprises assujetties interrogées par la DGE ne prévoient pas de demandes supplémentaires à leurs PME sous-traitantes, ou alors de manière marginale – par exemple à des fournisseurs de rang un dont les performances de durabilité constitueraient un avantage comparatif « significatif » au regard de moyennes statiques.

A moyen terme en revanche, elles prévoient l’accompagnement progressif de leurs fournisseurs à la transmission d’informations sur :

- Leur impact environnemental (consommations d’eau, biodiversité, pollutions, déchets) en fonction des besoins de l’entreprise assujettie ;

- Les droits humains.

En résumé, nous pouvons dire que la CSRD est une nouvelle étape dans la publication d’information de durabilité. Pour optimiser leurs efforts et garantir la fiabilité des données, les entreprises doivent rationaliser leurs demandes et se diriger vers une digitalisation de la collecte des données essentielles.

Avec la CSRD, les entreprises européennes peuvent mettre en valeur leurs progrès en matière de durabilité. La connaissance des informations suffisantes à transmettre permet aux fournisseurs leur permettront de :

- Se préparer aux futures demandes de leurs clients,

- Valoriser leurs actions éventuelles en matière de durabilité

Prenons l’exemple de la Gouvernance dans cette approche de durabilité.

ESRS 2 – « Informations générales »

Q1 : Que signifie la notion de gouvernance ?

Le terme d’organes d’administration, de direction et de surveillance (visé ci-après par le terme « gouvernance ») est délibérément formulé de manière large et générique pour englober une variété de modèles de gouvernance d’entreprises, qu’elles soient cotées ou non cotées en Europe.

Dans la plupart des pays européens pour les sociétés anonymes (SA), la gouvernance désigne les conseils d’administration et les conseils de surveillance avec leurs comités spécialisés, ainsi que les organes de management tels que les directoires.

Certaines informations (notamment les mécanismes incitatifs) peuvent porter sur la direction générale (directeur général/directeur général délégué) des SA.

Q2 : Quelles sont les informations attendues en matière de gouvernance ?

Les informations attendues concernant la gouvernance portent sur les cinq éléments suivants :

1. Le rôle et la composition des organes de gouvernance (GOV-1)

a. La composition et la diversité des organes de gouvernance (e.g., exécutif/non exécutif, représentation des salariés, diversité et parité, indépendance)

b. Le rôle, les responsabilités et les compétences de ces organes en matière de durabilité (e.g., expertise en matière de durabilité)


2. Les informations sur les enjeux de durabilité (GOV-2)

a. Comment (si, par qui et à quelle fréquence) les organes de gouvernance sont informés des enjeux de durabilité matériels, de la mise en oeuvre de la vigilance raisonnable et des résultats des politiques, actions, indicateurs et cibles en matière de durabilité

b. Comment ces organes prennent en compte les enjeux matériels dans les décisions stratégiques telles que les transactions et la gestion des risques, et quels enjeux ont été traités au cours de l’exercice


3. Les mécanismes incitatifs liés aux performances de durabilité (GOV-3)

a. La description des mécanismes incitatifs liés aux performances en matière de durabilité notamment en matière de rémunération (e.g., indicateurs de performance utilisés, part variable, responsabilité de l’approbation)


4. La vigilance raisonnable (GOV-4)

a. Une table de correspondance indiquant où figure les informations relatives au processus de vigilance raisonnable dans l’état de durabilité


5. La gestion des risques et le contrôle interne liés à la durabilité (GOV-5)

a. Comment le système de gestion des risques et de contrôle interne intègre le processus de reporting de durabilité (e.g., méthode de hiérarchisation des enjeux de durabilité).


Q3 : Quelles sont les informations attendues en matière de stratégie et de modèle d’affaires (SBM) ?

Les informations attendues sur la stratégie et le modèle d’affaires (SBM) portent sur les trois éléments suivants :

1. Les informations contextuelles (SBM-1)

a. La description des activités (e.g., produits et services, marchés et types de clients visés, employés par grande zone géographique, CA par secteur d’activité)

b. Le modèle d’affaires (e.g., principales ressources utilisées, proposition de valeur des produits et services pour les différentes parties prenantes, position dans la chaîne de valeur, principaux fournisseurs, canaux de distribution, clients finaux)

c. La contribution des activités et du modèle d’affaires aux objectifs du développement durable (‘ODD’) des Nations Unies


2. La prise en compte des intérêts des parties prenantes (SBM-2)

a. La description synthétique de la compréhension que l’entreprise a des intérêts et des points de vue de ses parties prenantes par rapport à la stratégie et au modèle d’affaires de l’entreprise en lien avec les enjeux de durabilité

b. Comment ces intérêts et points de vue sont pris en compte dans la stratégie et le modèle d’affaires et communiqués aux organes de gouvernance


3. Les impacts, risques et opportunités matériels (SBM-3)

a. La description synthétique des enjeux matériels identifiés dans les opérations et la chaîne de valeur

b. Les effets actuels et anticipés des impacts, risques et opportunités matériels de l’entreprise sur son modèle d’affaires, sa chaîne de valeur, sa stratégie et son processus de décision par horizon de temps, ainsi que les actions ou plans stratégiques pour les gérer

c. Les effets financiers actuels et anticipés des risques et opportunités matériels de l’entreprise sur sa position financière, ses résultats financiers et ses flux de trésorerie par horizon de temps

d. La résilience de la stratégie et du modèle d’affaires de l’entreprise en ce qui concerne sa capacité à faire face aux impacts et risques matériels.

Les informations relatives à SBM sont de nature stratégique, donc succinctes et synthétiques (sauf lorsqu’elles sont spécifiquement requises par une norme thématique), et doivent être distinguées des informations exigées en lien avec les politiques, actions et cibles ou « policies, actions and targets » (‘PAT’), qui relèvent davantage du domaine opérationnel.

À titre d’illustration, le plan de transition climat (E1-1) relève en priorité de la stratégie d’une entreprise à fort impact climatique et diffère d’un plan d’action climat (E1-3) d’une entreprise moins émettrice.

Le plan de transition comme le plan d’action peuvent inclure des objectifs de réduction des émissions de GES, mais le plan d’action ne fait pas nécessairement l’objet d’une approbation par la gouvernance.

L’entreprise doit indiquer si le plan de transition a été approuvé par la gouvernance. La nature stratégique de ces informations devrait conduire à les placer parmi les facteurs de risque dans le rapport de gestion.

Q4 : Quelles sont les informations attendues en matière d’impacts, de risques et d’opportunités (IRO) ?

Les informations attendues sur la gestion des impacts, risques et opportunités (IRO) portent sur les deux éléments suivants :

1. Processus d’identification et d’évaluation des enjeux matériels (IRO-1)

a. La méthodologie, les hypothèses et les données utilisées

b. La vue d’ensemble du processus d’identification, d’évaluation, de priorisation et de surveillance des impacts réels et potentiels ainsi que des risques et opportunités qui génèrent ou pourraient générer des effets financiers

c. L’intégration au processus global de gestion des risques

2. Liste des enjeux identifiés comme matériels (IRO-2)

a. La liste des exigences publiées dans l’état de durabilité en fonction des résultats de l’analyse de matérialité, incluant un tableau des points de données issues d’autres législations de l’UE, en précisant leur emplacement dans l’état de durabilité et en indiquant « non matériel » pour ceux considérés non matériels

b. La justification de la non-matérialité du climat le cas échéant

Q5 : Quelles sont les informations obligatoires à reporter ?

Les entreprises doivent reporter de manière obligatoire les informations suivantes indépendamment du résultat de leur analyse de matérialité :

- les informations requises dans ESRS 2 (Informations générales à publier), et

- les informations requises dans les ESRS thématiques concernant l’exigence de publication.

Le 5 juillet 2024, le Conseil de l’IRE a soumis le « Projet de Norme d’exercice professionnel spécifique relative aux missions légales d’assurance de l’information (consolidée) en matière de durabilité » pour approbation au Conseil supérieur des Professions économiques et au ministre de l’Economie. L’audition organisée par le CSPE a eu lieu le 21 août 2024 et le CSPE s’est réuni le 26 septembre 2024 pour en délibérer.

Dans l’attente d’une norme d’assurance adoptée par la Commission européenne, il relève de l’intérêt général que la mission légale d’assurance de l’information (consolidée) en matière de durabilité confiée au réviseur d’entreprises soit effectuée sur la base d’un référentiel internationalement reconnu, ce qui contribue à la qualité des travaux effectués et à l’harmonisation des rapports émis.

Le projet de norme IRE « durabilité » a pour objectif de permettre au réviseur d’entreprises, qui se voit confier par la loi une mission d’assurance de l’information (consolidée) en matière de durabilité, d’avoir un cadre de référence adéquat, reconnu internationalement et qui lui permette d’émettre un rapport approprié au cadre de sa mission.

L’ITAA dans son approche PME est actuellement aussi en train d’élaborer un projet de norme durabilité PME simplifié en vue de répondre aux exigences légales au niveau national. Mais l’ITAA a encore un peu de temps afin de finaliser son projet de norme « durabilité PME ».

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