Il y a 50 ans : quand les années 1970 furent la décennie d’une mutation économique !

C’est l’économiste français Jean Fourastié qui avait écrit en 1979 un livre « Les Trente Glorieuses », décrivant le caractère économique exceptionnel des trois décennies d’après-guerre. Puis, tout s’écroula.

Car lorsqu’on s’intéresse aux stigmates de l’économie européenne, on arrive immanquablement aux années 1970. Ce furent dix ans d’effarement. Une image me vient souvent à l’esprit pour les résumer, c’est la couverture de l’album du groupe Supertramp, alors très populaire : Crisis ? What Crisis? (1975). On y voit un homme sirotant un cocktail sous une ombrelle ensoleillée, avec, à l’arrière-plan, des usines et des aciéries grises en ruine. Cette décennie effaça les Trente Glorieuses, que l’on peut rétrospectivement assimiler à un rattrapage de l’économie européenne par rapport à celle des États-Unis avant que, dans les années 1980, les économies des deux continents s’articulent à un rythme d’engrenage comparable dans le modèle anglo-saxon.

Le carburant devint non seulement cher, mais aussi incertain. La décennie se clôtura d’ailleurs en décembre 1979 par un sommet de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) qui constata la multiplication par cinq du prix du brut en dix ans. Cependant, il ne s’agissait pas seulement d’une crise du pétrole. Quelque chose de bien plus profond se profilait, au-delà de cette perturbation énergétique. Ce trou d’air, première phase de la mondialisation, allait muter en décrochage. Tournant le dos à la croissance stable et à la redistribution sociale prévisible des Trente Glorieuses, les débuts chaotiques de la mondialisation allaient tout bouleverser.

Les observateurs furent confrontés à un phénomène inconnu, et d’ailleurs toujours mal défini, à savoir la « stagflation » : une inflation importante conjuguée à un chômage qui devenait structurel. Alors qu’ils commençaient à peine à entendre parler de Milton Friedman, prix Nobel d’économie en 1976, tous se référaient encore au modèle keynésien, qui recommande à l’État de creuser son déficit budgétaire pour relancer la demande. Tout cela conduisit, pêle-mêle, à une inflation catastrophique couplée à un gigantesque endettement public.

Faisant le jeu d’un miroir aux alouettes involontaire, les moralistes de l’époque juxtaposèrent des solutions conjoncturelles à des glissements structurels. L’esprit informé d’aujourd’hui ne peut qu’en être accablé, tant les occasions manquées fleurirent sur la tombe des Trente Glorieuses. Pour les sexagénaires, cette décennie maudite évoque une insouciance crépusculaire, mais aussi des aciéries désormais poussiéreuses et désaffectées.

Les années 1970 furent la décennie d’une mutation économique dont les politiques ne saisirent pas la substance. Une transition vers l’imprévisibilité des agrégats économiques, vers l’attrait de l’immédiateté, vers la mondialisation digitale et l’économie de services, qui remplacèrent l’économie manufacturière. Les ingénieurs des usines allaient céder la place aux financiers. Cette décennie resterait suspendue entre deux époques.

Inaccomplie, elle renvoie à une Europe d’avant, plus tout à fait celle de l’après-guerre mais encore trop terne pour être moderne. Le rapport au temps et à l’avenir s’inverserait irréversiblement.

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