Veille jurisprudentielle en matière fiscale | Février 2024

Ci-après, sont résumées 4 décisions de jurisprudence publiées en février 2024, qui ont retenu notre attention en vue du Tax Tv Show du 20 février 2024.


A) Arrêt de la Cour d’appel d’Anvers du 5 décembre 2023 – Déductibilité de frais liés à un plan d’options sur actions

Rôle n° 2022/AR/1017

Dans un arrêt récent du 5 décembre 2023, la Cour d'appel d'Anvers s’est prononcée sur la déductibilité des frais engagés par une société dans le cadre des plans d'options sur actions.

Contexte de l'Affaire

L'affaire concerne une société qui accorde à son dirigeant d’entreprise des options sur actions. La question principale était de savoir si ces dépenses pouvaient être déduites comme frais professionnels, selon l'article 49 du Code des Impôts sur les Revenus de 1992 (CIR 92).

La Décision de la Cour : nécessité d’apporter la preuve des prestations effectives que l’octroi du plan d’options sur actions rémunère spécifiquement

Selon la Cour d’appel d’Anvers, pour que les frais relatifs aux options sur actions soient déductibles, il faut que ces frais correspondent à des prestations réelles effectuées par le dirigeant. Il ne suffirait pas que le dirigeant effectue des prestations pour la société. Il faudrait qu’il soit démontré que l’avantage de toute nature, qui ne relèvent pas d'une rémunération normale, soit accordé spécifiquement en rémunération de prestations effectives. En d’autres mots, selon la Cour les prestations effectives doivent être directement liées à la « rémunération supplémentaire accordée ».

La Cour s’est montrée particulièrement sévère en considérant que le fait que le bénéficiaire des options sur actions était le seul dirigeant de la société n’était pas suffisant pour apporter la preuve des prestations effectives.

Considérant que le contribuable n’apportait aucun élément concret permettait de prouver que l’octroi des options sur actions s’inscrivait dans le cadre d’une politique de rémunération (comprenant une étude de coûts-avantages, une estimation des coûts ou des revenus futurs, des objectifs à atteindre ou à réaliser, des analyses financières, des plans,...), elle a jugé que les frais relatifs aux options sur actions n’étaient pas déductibles.

Qu’en retenir ?

L’arrêt s’inscrit dans la jurisprudence, particulièrement formaliste (surtout en Flandre) de la théorie de la rémunération. Cette décision souligne l'importance pour les sociétés de déterminer, clairement et sérieusement, leur politique de rémunération dès qu’elles accordent des rémunérations « anormales » ou supplémentaire. Lors de la mise en place d’un système d’octroi d’avantage de toute nature (mise à disposition d’un immeuble, options sur actions, etc.), les praticiens doivent veiller à informer leurs clients de la nécessité de documenter de manière exhaustive les prestations effectuées en contrepartie des avantages octroyés.

A noter toutefois que d’autres juridictions, se montrent moins strictes dans l’acceptation de la preuve des prestations effectives réalisées. A titre illustratif, la Cour d’appel de Gand a confirmé la déductibilité des frais relatifs à un immeuble mis à disposition de son unique dirigeant, justement parce qu’il était le seul à générer du chiffre d’affaires.

Selon nous, à exiger une preuve trop précise et spécifique des prestations effectives rendus, l’on glisse vers le jugement d’opportunité interdit à l’administration.


B) Tribunal de première instance de Flandre Occidentale, division de Bruges du 15 mai 2023 - Dissolution de la société et la cessation d'un droit de superficie

Rôle n° 21/2974/A

Contexte

L’affaire concerne les conséquences de la dissolution d’une SRL sur le droit de superficie qui lui avait été accordé par la SRL à son administrateur et son épouse.

La SRL avait acquis le 11 décembre 2008, 98 % d'un terrain situé à Coxyde tandis que le gérant et son épouse avaient acquis les 2 % restants. Le 3 octobre 2014, un droit de superficie sur ce terrain a été accordé au gérant et à son épouse pour une durée de cinq ans. Le 24 juin 2019 (par une assemblée générale extraordinaire), la société fut dissoute avec liquidation immédiate.

L’administration soutenait que, par l’effet de la dissolution, l’administrateur et son épouse avaient acquis le terrain (sur lequel il détenait un droit de superficie) par « accroissement » et avaient ainsi bénéficié d’un boni de liquidation imposable sur la valeur du droit de superficie.

La question juridique, au cœur de l’affaire, était celle de savoir si le droit de superficie se terminait par la dissolution de la société, permettant ainsi aux actionnaires d'acquérir à la fois le terrain et les bâtiments.

Le couple de contribuables soutenait que le droit de superficie ne prenait pas fin avec la dissolution de la société, signifiant que seul le terrain était attribué aux actionnaires.

Décision

Le Tribunal a rappelé que la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie dispose que, sauf accord contraire des parties, le droit de superficie ne prend pas fin du décès du tréfoncier ou du superficiaire et que la dissolution d’une société est assimilée au décès de la personne morale. Le droit de superficie s’éteint par la confusion, la destruction du fonds ou la prescription acquisitive. Par conséquent, le droit de superficie ne s’éteint pas automatiquement avec la dissolution de la société.

En l’espèce, dans le cadre de la liquidation, le terrain a été attribué aux actionnaires. Le droit de superficie s’était par conséquent éteint par confusion étant donné que ceux-ci étaient déjà propriétaires du droit de superficie. Le boni de liquidation ne comprenait donc pas le droit de superficie. Le Tribunal a considéré que l’administration ne pouvait dès lors pas imposer un boni de liquidation dont la valeur aurait été celle du droit de superficie et a annulé la cotisation.


C) Tribunal de première instance - Luxembourg, division Marche-en-Famenne - Jugement du 11 octobre 2023 – Plus-value sur actions et gestion normale de patrimoine privée

Rôle n° 19-80-A

1) Contexte

Le litige portait sur l’imposition d’une plus-value réalisée sur la cession d’actions d’une société immobilière par un couple au motif que celle-ci s’inscrivait en dehors de la gestion normale de patrimoine privé (article 90, 1° du C.I.R. 1992). Les actions ont été cédées le 9 mai 2014 pour 1.850.000 EUR alors que la société avait été constituée le 30 septembre 2013 par un apport de 18.600 EUR.

2) Décision

Dans son jugement du 11 octobre 2023, après avoir transposé à l’article 90, 9° CIR 1992 l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 24 février 2022 confirmant la constitutionnalité de l'article 90, 1° du C.I.R. 1992, le Tribunal de Première Instance du Luxembourg a jugé que la plus-value sur actions réalisée par le couple excédait les limites de la gestion normale de patrimoine.

Selon le Tribunal, l’intention spéculative des contribuables ressortait des éléments suivants :

  • Les circonstances de la création de la société S.P.R.L. F...,
  • La rapidité de la transaction ;
  • L'expertise des demandeurs dans le secteur immobilier ;
  • La circonstance que des actes préparatoires au projet avaient été posées par une autre société des contribuables ;
  • L’importance des crédits immobiliers contractés par les époux ;
  • Ainsi que la structure mise en place pour maximiser rapidement les profits.

3) Conclusion et que retenir ?

La notion de gestion normale de patrimoine reste difficile à interpréter et source d’insécurité juridique pour les contribuables et les praticiens, quoiqu’en dise la Cour constitutionnelle.

En l’espèce, c’est probablement la rapidité des transactions, l’existence de nombreux projets immobiliers similaires et le fait que les contribuables étaient actifs dans le secteur immobilier qui ont mené le Tribunal à exclure la gestion normale de patrimoine.

L’administration aurait pu également essayer d’imposer la plus-value comme revenu professionnel au motif que les contribuables avaient une activité de promoteur immobilier dans le cadre de laquelle ils vendaient, directement et indirectement par l’intermédiaire de sociétés, des biens immeubles. Par ailleurs, le mandat d’administrateur du couple n’était pas rémunéré et il n’exerçait pas d’autre activité (selon leurs déclarations fiscales).

L’affaire concerne dès lors une tout autre hypothèse que celle dans laquelle le contribuable, prudent et diligent, investit sur le moyen ou long terme dans l’immobilier par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs sociétés de patrimoine, et pourrait, selon les circonstances, bénéficier de l’exonération de gestion de patrimoine


D) Cour de cassation – arrêt du 7 décembre 2023 – Délai d’imposition allongé : l’intention frauduleuse ne doit pas nécessairement être de nature fiscale

N° rôle : RG F.23.0009.N

L’administration dispose d’un délai extraordinaire d’imposition de 7 ans (10 ans depuis les revenus perçus à partir du 1er janvier 2022) si elle démontre que l’absence de déclaration s’est accompagnée d’une intention frauduleuse ou d’un dessin de nuire (article 354, al. 2 CIR 1992)

Dans son arrêt du 7 décembre 2023, la Cour de cassation a précisé, indirectement que l’intention frauduleuse ne devait pas nécessairement viser la fraude fiscale.

La Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel d’Anvers n’avait pas justifié en droit sa décision en considérant que le fait d'obtenir un avantage en inscrivant le personnel d’une société de transport dans une société luxembourgeoise afin de réduire le coût salarial de l'équipage ne prouvait pas en soi une intention frauduleuse d'échapper au fisc belge, puisqu'une infraction à la sécurité sociale belge ne prouve pas ipso facto une infraction à la législation fiscale, et encore moins une intention frauduleuse ou une intention de nuire au sens de l’article 354, al. 2 CIR 1992).

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