Transposition de la directive mobilité : points d'attention fiscaux

La loi du 25 mai 2023 modifiant le Codes des sociétés et des associations (le « CSA »), la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé et le Code judiciaire a transposé la « directive mobilité » (Directive 2019/2121 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 modifiant la directive 2017/1132 en ce qui concerne les transformations, fusions et scissions transfrontalière, J.O.U.E., L 321/3 décembre 2019) en droit belge. La loi du 28 décembre 2023 portant des dispositions fiscales diverses (M.B., 29 décembre 2023) a, quant à elle, apporté certaines modifications nécessaires pour aligner les dispositions fiscales avec cette transposition. En voici les principaux points d'attention.


Aucune adaptation des législations relatives aux impôts indirects

Si la loi du 28 décembre 2023 permet de clarifier (certaines) difficultés pratiques, ces clarifications se limitent aux impôts directs. Rien n'est prévu à ce stade concernant les impôts indirects. Cela risque de créer des difficultés. En effet si, par exemple, pour les impôts sur les revenus, la question de l'existence d'une branche d'activité, dans le cadre d'une scission partielle par séparation (qui est une des nouvelles opérations possibles), ne se posera pas, il n'en va pas de même pour ce qui est des impôts indirects. C'est assurément regrettable.

Opérations de restructuration : définitions autonomes

Comme pour les opérations de restructuration « classiques », le législateur fiscal a intégré des définitions autonomes à l'article 2 du Code des impôts sur les revenus 1992 (le « CIR ») dans le but de refléter pleinement les modifications intervenues en droit des sociétés. Concrètement,

  • Un nouveau point 2, visant l'opération de fusion entre sœurs, est intégré à la définition « d'opération assimilée à la fusion par absorption »;
  • La définition d'« d'opération assimilée à la scission » est modifiée pour permettre l'attribution d'actions ou parts émises par d'autres sociétés que la (les) société(s) bénéficiaire(s), c'est-à-dire pour se conformer à la nouvelle opération de scission partielle non proportionnelle; et
  • Un nouveau point 3, visant l'opération de scission transfrontalière par séparation, est intégré à la définition « d'opération assimilée à la scission ».

Ces définitions ont une importance conséquente puisqu'elles ouvrent le bénéfice du régime de neutralité prévu par l'article 211 du CIR. Sans cette adaptation, les nouvelles formes de restructuration introduites par la directive mobilité seraient vraisemblablement restées lettres mortes. Il faut dire que la possibilité d'effectuer une opération en neutralité fiscale constitue d'ordinaire un élément décisif en matière de restructurations.


Fusion entre sociétés sœurs : neutralité possible

Si la nouvelle opération de fusion entre société sœurs (désormais assimilée à une opération de fusion par absorption) pourra bénéficier du régime de neutralité fiscal, le législateur ne semble pas avoir envisagé toutes les conséquences de cette possibilité.

Ce régime prévoit en effet une immunisation des réserves exonérées mais à condition que les apports soient rémunérés par des actions ou parts nouvelles. Pourtant, la particularité des opérations de fusion entre société sœurs est précisément l'absence d'émission d'actions de la société bénéficiaire. Si bien que ce type d'opération pourrait entraîner, delege lata, une taxation des réserves exonérées comptabilisées par la société absorbée.

Pareillement, l'article 211, §2, al. 1er, du CIR prévoit, dans le cas d'un apport rémunéré autrement que par des actions ou parts nouvelles, la réduction du capital libéré et des bénéfices réservés de la société absorbée (dans le chef de la société bénéficiaire) à concurrence de la partie de l'apport qui n'est pas rémunérée par des actions ou parts nouvelles. A nouveau, si on se limite au texte de cette disposition, une opération de fusion entre sociétés sœurs pourrait donc entraîner une réduction du capital libéré et des bénéfices réservés transférés.

Ces difficultés ne devraient toutefois pas se poser en pratique dès lors qu'une fusion simplifiée entre sociétés sœurs exclut habituellement et par définition toute diminution des capitaux propres.

Par ailleurs, rien n'a été prévu par le législateur au niveau de l'exonération des éventuelles plus-values réalisées par les actionnaires à l'occasion d'une restructuration neutre (article 45 du CIR). Une taxation de ces plus-values n'est donc pas exclue pour l'heure.


Fusion entre sociétés sœurs : définitions différentes

De manière générale, on peut regretter que les définitions en droit fiscal et en droit des sociétés présentent des différences significatives.

Ainsi, la définition fiscale de cette opération vise uniquement le cas où les actions des sociétés sœurs à fusionner sont entre les mains d'une seule et même personne, là où son pendant en droit des sociétés vise notamment les cas où les actions, parts et autres titres conférant un droit de vote sont directement ou indirectement entre les mains d'une personne. Ainsi, une opération de fusion entre sœurs, conforme au droit des sociétés, ne bénéficiera donc pas forcément de la neutralité fiscale.


Scissions partielles non proportionnelles

Avec la transposition de la directive mobilité, il est à présent envisageable non seulement de rémunérer des opérations de scission partielle de manière non proportionnelle – ce qui était déjà possible – mais surtout de modaliser cette rémunération notamment en attribuant tantôt des actions ou parts de la (des) société(s) scindée(s), tantôt de la (des) société(s) bénéficiaire(s), tantôt encore de toutes ces sociétés, le tout en bénéficiant de la neutralité fiscale.

Ces nouvelles possibilités devront toutefois s'étudier avec prudence compte tenu des risques fiscaux qu'elles peuvent générer. Ainsi, on ne peut, par exemple, exclure qu'une scission partielle non proportionnelle puisse donner lieu à la reconnaissance d'un avantage anormal ou bénévole à un (ou même plusieurs) actionnaires bénéficiaires.


Scissions partielles par séparation

Une autre nouveauté est la scission partielle par séparation qui permet l'attribution à la société scindée (et non à ses actionnaires) d'actions ou parts de la société (ou des sociétés) bénéficiaire(s). Tant du point de vue fiscal que du point de vue du droit des sociétés, cette opération n'est possible que dans une perspective transfrontalière, ce qui est évidemment dommage. Si elle est transfrontalière, cette opération pourra donc bénéficier de la neutralité fiscale. Son avantage principal est qu'elle ne nécessite pas, pour les impôts directs, que les éléments transférés répondent à la définition de branche d'activité (ce qui comme nous l'avons évoqué ci-dessus peut poser problème en matière d'impôts indirects).


Droit de démission des minoritaires

Outre des opérations, de nouveau mécanismes novateurs sont également introduits en droit belge dont le droit de démission. Celui-ci permet à certains actionnaires de sortir de l'actionnariat (avec remboursement) en cas d'opposition à une opération de restructuration visée. Le traitement fiscal à réserver au droit de démission n'est pas clair pour l'instant, le législateur fiscal étant resté muet sur cette question. En cas de démission, le CSA prévoit un droit au remboursement du titre et une destruction de celui-ci au moment de la réalisation de l'opération transfrontalière.

On pourrait donc être tenté d'assimiler l'opération de démission à une acquisition d'actions propres avec destruction concomitante. Le texte légal ne prévoit toutefois pas – strictement parlant – d'acquisition mais uniquement une destruction concomitante à un remboursement. Mais alors, comment traiter fiscalement cette opération ? Une clarification serait bienvenue.


Notaire-gardien

Le nouveau rôle, central, donné au notaire constitue une innovation sans en être réellement une. A présent, le notaire sera effectivement tenu à une vérification stricte de la légalité interne et externe des actes juridiques ainsi que des formalités préalables à une opération. Cela passera notamment par l'analyse de facteurs indicatifs relatifs à l'intention de l'opération, la résidence fiscale des entités participantes, les actifs et leur localisation ainsi que des bénéficiaires effectifs. Tant d'éléments qui sont susceptibles de préparer le travail de contrôle des agents du fisc, notamment sous l'angle de la fraude. Dans l'exercice de cette nouvelle prérogative, le notaire est tenu à l'obtention d'un certificat auprès du SPF Finances visant à attester d'éventuelles dettes fiscales ou non fiscales dont dispose un contribuable participant.

La véritable innovation réside dans le fait que le notaire joue à présent un rôle plus actif impliquant notamment que l'obtention du certificat fiscal ne suffit pas en soi à donner le feu vert pour une opération, la délivrance du certificat permettant la réalisation de l'opérant demeurant compétence du notaire.


Rétroactivité des opérations transfrontalières

L'administration fiscale accepte généralement qu'une fusion produise ses effets sur le plan fiscal en faisant application de la rétroactivité comptable. Pour cela, cette rétroactivité ne peut dépasser plus de sept mois, sauf cas particulier. Cette condition de temporalité est susceptible de poser des problèmes pratiques concernant les opérations transfrontalières introduites par la transposition de la directive mobilité. En effet, même en tenant compte d'un calendrier « optimiste », une durée de sept mois pour réaliser l'ensemble des formalités et des actes apparaît comme parfaitement impossible.


Nouvelles perspectives = nouveaux points d'attention

La transposition de la directive mobilité offre des perspectives intéressantes. Toutefois, l'aspect fiscal – pas toujours en ligne avec les objectifs du droit des sociétés – ne doit pas être perdu de vue afin d'éviter des conséquences préjudiciables. Enfin, certains points importants demeurent sans réponse et appellent une nécessaire intervention du législateur.

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