Réforme fiscale du Ministre Van Peteghem : la mise à disposition à titre gratuit d’un immeuble ne peut être corrigée par un AR!

La taxation envisagée d’un avantage de toute nature sur base de la valeur réelle qu’il a dans le chef du bénéficiaire lors des années de revenus 2024, 2025, 2026 et 2027, pour ceux en bénéficiant déjà en 2023, ne peut s’effectuer par le biais d’une modification de l’Arrêté Royal n° 18, §3 du CIR 1992 dés lors que celle-ci prend justement comme point de départ … la valeur réelle.


Dans un article de l’Echo.be du 08 mars 2023 de Madame Dykmans, interviewant l’avocat Denis-Emmanuel Philippe « La réforme fiscale prévoit de taxer la mise à disposition gratuite d'un logement pour les dirigeants d'entreprise sur base de la valeur locative réelle. Un régime transitoire est prévu jusqu'en 2027 pour les immeubles mis à disposition avant 2024 » est mentionné « Avec la réforme actuellement en gestation, le fisc se basera donc sur la valeur locative réelle du bien pour déterminer la base imposable, et ceci dès le 1er janvier 2024 » (je souligne).

Il faut distinguer deux groupes de situations. Dans le premier nous avons les nouvelles mises à disposition à titre gratuit effectuées à partir de l’année de revenus 2024 avec celles de l’année de revenus 2023 se poursuivant lors de l’année de revenus 2028 et suivantes. Dans le second, nous avons les mises à disposition existantes lors de l’année de revenus 2023 se poursuivant lors de la période jusqu’à et y compris l’année de revenus 2027.

Pour le premier groupe seul s’appliquera l’article 36, §1er, Ier alinéa CIR 1992 où l’avantage est calculé sur base de sa valeur réelle (il reste à savoir comment cela sera possible « en pratique » mais ceci est un autre débat.).

Pour le second groupe, le projet d’arrêté royal à prendre prévoit que dans la majorité (1) des situations lorsqu’un immeuble est déjà mis à disposition à titre gratuit avant le 31 décembre 2023, le «bénéfice (2)» est fixé lors des années de revenus 2024, 2025, 2026 et 2027 en prenant comme point de départ « la valeur réelle de l'avantage de la disposition gratuite du bien immobilier ou de la partie du bien immobilier ». Il s’en suit un calcul mathématique spécifique, mais l’important reste que son point de départ est la valeur réelle de l’avantage.

Ainsi une des pièces de la réforme fiscale sera qu’à partir du Ier janvier 2024 toute mise à disposition d’un immeuble à titre gratuit résultera en un avantage de toute nature calculé sur base de sa valeur réelle selon la loi, soit l’article 36, §1er ,Ier alinéa CIR 1992, à l’exception des mises à disposition existantes lors de l’année de revenus 2023 où l’arrêté royal n° 18, pris sur base de l’article 36, §1er 2ème alinéa CIR 1992, prévoira en son paragraphe 3,2,b), lors des années de revenus 2024 à 2027 y compris, un mode de calcul spécifique avec, toujours, comme point de départ la valeur réelle de l’avantage.

Nous aurons ainsi quatre années de transition pour lesquelles un arrêté royal pris sur base de l’article 36, §1er, 2ième alinéa CIR 1992 fixera un mode d’évaluation ayant comme point de départ … la valeur réelle alors même que la délégation donnée au Roi par le législateur ne l’autorise qu’à déterminer des règles d'évaluation forfaitaire de ces avantages.

Nous retrouvons cette contradiction dans le Rapport au Roi motivant la modification de l’arrêté royal n° 18.

En effet, après avoir souligné

  • que le Conseil d’Etat a rappelé en 2021 qu’une « délégation conférée à une autre autorité n’est pas contraire au principe de légalité, pour autant qu’elle soit définie de manière suffisamment précise et qu’elle porte sur l’exécution de mesures dont les éléments essentiels ont été fixés préalablement par le législateur »,
  • que « la délégation prévue à l’alinéa 2 de l’article 36, § 1er, du CIR 92, qui autorise le Roi à fixer des règles permettant d’évaluer forfaitairement des avantages de toute nature obtenus autrement qu’en espèces, doit dès lors impérativement être lue en combinaison stricte avec la disposition de l’alinéa 1er de ce paragraphe, selon laquelle ces avantages sont comptés ‘pour la valeur réelle qu’ils ont dans le chef du bénéficiaire’ »,
  • que « la modification des règles de fixation des valeurs à prendre en considération pour les avantages de toute nature ne peut par conséquent être mise en œuvre que pour les faire correspondre plus étroitement à la valeur réelle pour le bénéficiaire en général » (je souligne).


Le Rapport conclut « L'arrêté présenté donne suite à cette remarque répétée en fixant plus d'avantages sur base de leur valeur réelle».

Déroutant puisque le rapport explique, à raison, que l’avantage de toute nature fixé par le Roi, résultant de la délégation, doit être établi sur base de critères prédéfinis, aboutissant à un forfait qui doit être aussi proche que possible de la valeur réelle qu’il a pour le bénéficiaire sans jamais dire, évidemment, qu’il doit y correspondre.

Étonnant aussi que nulle part le Rapport au Roi mentionne que le mode d’évaluation de l’avantage de toute nature résultant de la mise à disposition à titre gratuit d’immeubles n’est plus, dès le Ier janvier 2024, déterminé par l’arrêté royal n° 18 et, en quelque sorte, qu’il retourne sous la règle générale de la valeur réelle de l’article 36, §1er, Ier alinéa CIR 1992, à l’exception d’une période transitoire couverte par l’arrêté royal n° 18 mettant en œuvre une formule mathématique de calcul d’un avantage basé sur la valeur réelle s’éloignant du concept même de forfait.

En tout état de cause la jurisprudence du Conseil d’Etat s’y opposant, ce projet d’arrêté royal pour la mise à disposition d’immeubles à titre gratuit, couvrant désormais les seules années de revenus 2024, 2025, 2026 et 2027 ne peut être admis.

En effet nous lisons dans l’arrêt n° 58.169 du 16 février 1996 du Conseil d’Etat, confirmé par l’arrêt n° 77.164 du 24 novembre 1998 :

«

Considérant que l’article 36 du Code des impôts sur les revenus (1992) érige en principe que les avantages en nature sont comptés pour leur valeur réelle ; qu’en son alinéa 2, il permet au Roi de fixer des règles d’évaluation forfaitaire dans certains cas ;

Considérant que le forfait consiste en un mode de calcul reposant sur des éléments préétablis, et qui tient lieu de détermination de la valeur de l’avantage; que, par définition, la valeur calculée en application d’un forfait ne correspond pas, ou pas exactement, à la valeur de l’avantage; que le recours à un forfait tend à soustraire l’appréciation d’une valeur à toute discussion, et à lui substituer un mode de calcul dont le résultat est présumé correspondre à la réalité; qu’en matière fiscale, il est d’ordinaire recouru au forfait pour éviter les difficultés que pourraient susciter d’autres manières d’établir un des éléments de calcul de l’impôt; que, par nature, un mécanisme d’évaluation forfaitaire profite tantôt au contribuable tantôt au fisc;

Considérant que le mécanisme d’évaluation des avantages en nature établi par l’arrêté attaqué pour la catégorie d’immeubles qu’il vise, repose soit sur un calcul établi sur la base du revenu cadastral, soit sur la valeur locative ; que, des deux montants, c’est le plus élevé qui est appliqué;

Considérant que le calcul de l’avantage par application de coefficients au revenu cadastral constitue, de manière non contestée, une manière forfaitaire d’établir le montant de cet avantage ;

Considérant que la référence à la valeur locative suppose qu’une évaluation de cette valeur soit faite par l’administration, sur la base d’éléments variables et susceptibles d’être contestés; que même si, comme le relève la partie adverse, la valeur locative est une

valeur présumée et non une valeur réelle, elle n’en est pas pour autant une valeur forfaitaire ; qu’à moins de supposer que des distorsions soient systématiquement introduites dans le calcul des valeurs locatives, il convient de considérer la valeur locative comme une approximation aussi fidèle que possible de la valeur réelle, et qui la remplace quand celle-ci n’existe pas;

Considérant que le mécanisme mis en place par l’arrêté attaqué aboutit à fixer la valeur de l’avantage que constitue la disposition d’un immeuble soit à sa valeur locative soit à un montant supérieur à celle-ci; qu’ainsi le recours au forfait écarte, au seul avantage du fisc, et donc au seul détriment du contribuable, l’aléa qui est inhérent à tout forfait, et n’apporte pas la simplification qui en est attendue, puisqu’il reste à établir, cas par cas et avec le contentieux que cela est de nature à susciter, la valeur locative de l’immeuble considéré;

Considérant qu’il s’ensuit que le mode d’évaluation des avantages qui est organisé par l’arrêté attaqué n’est pas purement forfaitaire; qu’il excède les limites de l’habilitation conférée au Roi par l’article 36, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus (1992); que le moyen est fondé,

Dans l’article 18, § 3, point 2, alinéa 2, b, de l’arrêté royal d’exécution du Code des impôts sur les revenus (1992), modifié par l’arrêté royal du 18 février 1994, les mots «sans que cet avantage ne puisse être inférieur à la valeur locative de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble» sont annulés

».

Ces deux arrêts excluaient un mode de valorisation implémenté par l’arrêté royal n° 18 basé sur la valeur locative car ne correspondant pas à un mode forfaitaire de valorisation et dépassant dés lors la délégation du législateur. Ils ne pourront, à fortiori, que s’appliquer lorsqu’il sera question de valeur réelle et non plus locative.

Il est étonnant d’envisager de passer outre la possibilité de recourir au forfait pour déterminer la valeur d’un avantage de toute nature lorsque la valeur réelle est impossible à déterminer, car cela conduira inéluctablement à une usine à gaz non seulement pour la période de transition couverte par le nouveau §3,2,b)de l’arrêté royal n° 18 mais également pour la nouvelle règle générale appliquant l’article 36, §1,Ier alinéa CIR 1992.

Il l’est encore plus de méconnaître la jurisprudence du Conseil d’Etat en recourant à l’arrêté royal n° 18 pour fixer, lors d’une période dite de transition, un mode de valorisation exclusivement basé sur la même valeur réelle.

Notons que les considérants de l’arrêt n° 58.169 du 16 février 1996 du Conseil d’Etat, confirmé par l’arrêt n° 77.164 du 24 novembre 1998, doivent être lus comme excluant tout mode de valorisation d’un avantage de toute nature sur base de sa valeur réelle qui serait prévu par l’arrêté royal 18 CIR 1992. Il ne peut donc être envisagé de déterminer l’avantage de toute nature résultant de la fourniture gratuite d’électricité sur base de moyennes nationales serrant autant que faire se peut la réalité individuelle hors de toute notion de forfaits ni d’adopter pour la mise à disposition gratuite de personnel une disposition similaire à celle envisagée pour la mise à disposition à titre gratuit d’immeubles.


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(1) Soit toutes les situations où un immeuble est mis à disposition à titre gratuit autres que celles d’une mise à disposition gratuite à un membre du personnel qui fournit des services de surveillance et de contrôle dans ce bâtiment et si cette habitation fait partie de ce bâtiment ou y est indissolublement attachée.

(2) Dans le texte « Traduction » en 2023 du néerlandais « Voordeel » (!)

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