• FR
  • NL
  • EN

Vendre à un actionnaire en dessous du prix du marché: un simple geste ou un avantage anormal imposable ? Changement en vue…

La cour d’appel d’Anvers, dans un arrêt du 16 septembre 2025, a confirmé la position de l’administration fiscale selon laquelle la vente d’actions à un actionnaire à un prix inférieur à leur valeur réelle constitue un avantage anormal ou bénévole (AAB) imposable dans le chef de la société cédante.

Au-delà du cas d’espèce, la décision éclaire la charge de la preuve en matière d’AAB et la portée pratique de la clause dérogatoire de l’article 26, alinéa 1er, in fine, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92)¹.


1. Les faits : une vente sous-évaluée entre société et actionnaire

La société SCRL X détenait un portefeuille significatif d’actions d’une société cotée SA Y.

Elle en vend une partie à l’un de ses actionnaires, non dirigeant, au prix moyen du titre sur les six mois précédents, soit 92,69 € l’unité.

À la suite d’un contrôle, le fisc constate que la valeur moyenne réelle du titre durant cette période était de 97,62 €, soit un écart de 4,93 € par action.

L’administration considère que cette différence constitue un avantage anormal octroyé à l’actionnaire acheteur et, à ce titre, doit être ajoutée au bénéfice imposable de la société cédante.


2. Le raisonnement fiscal : l’article 26 CIR 92

Le principe

L’article 26 du CIR 92 prévoit que :

« Lorsque des entreprises établies en Belgique accordent des avantages anormaux ou bénévoles, ceux-ci sont ajoutés à leurs bénéfices propres, sauf s’il est établi que ces avantages interviennent pour déterminer les revenus imposables des bénéficiaires. »

Autrement dit, deux étapes s’enchaînent :

  1. Constater l’avantage anormal ou bénévole : vente à prix minoré, prêt sans intérêts, mise à disposition gratuite d’actifs, etc. ;
  2. Examiner la possibilité d’application de la clause dérogatoire : éviter la double imposition en démontrant que l’avantage a été pris en compte chez le bénéficiaire.

En pratique

Dans l’affaire jugée, le fisc n’a pas discuté l’existence de l’avantage : la sous-évaluation du prix de vente est manifeste.

La question centrale portait donc sur la possibilité d’exonération en vertu de la clause dérogatoire.


3. La clause dérogatoire : un bouclier fiscal… sous conditions strictes

La société X soutenait que, puisque l’actionnaire bénéficiaire pourrait un jour réaliser une plus-value imposable lors de la revente de ses actions, l’avantage devait être considéré comme ayant potentiellement un impact sur ses revenus imposables futurs.

La cour d’appel rejette cet argument. Elle rappelle que la possibilité d’une imposition ultérieure ne suffit pas : encore faut-il que l’avantage entre effectivement en considération pour la détermination du revenu imposable du bénéficiaire.

Charge de la preuve

La charge de la preuve repose entièrement sur la société qui invoque la clause dérogatoire².

C’est à elle de démontrer :

  • soit que l’avantage a effectivement été imposé chez le bénéficiaire ;
  • soit, à tout le moins, qu’il aurait dû être imposé dans le cadre normal de l’application du CIR 92.

En l’espèce, l’administration a établi que :

  • l’actionnaire bénéficiaire n’était pas dirigeant d’entreprise ;
  • il gérait son patrimoine privé de manière normale ;
  • la plus-value future sur les actions, même si elle intégrait l’avantage, n’était pas imposable en vertu du principe de non-imposition des plus-values réalisées dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé³.

La cour d’appel en conclut logiquement que l’exonération ne peut s’appliquer, et que l’avantage reste imposable dans le chef de la société X.


4. Une notion d’avantage à large portée

Cette jurisprudence confirme la conception très large que les juridictions belges retiennent de la notion d’avantage anormal ou bénévole :

Constitue un avantage anormal tout acte juridique qui confère à un tiers une valeur économique sans contrepartie équivalente, et que la société n’aurait pas consenti dans des conditions normales de marché.

Les situations typiques incluent notamment :

  1. La vente d’actifs sous-évalués (actions, immeubles, véhicules, machines) ;
  2. La mise à disposition gratuite d’un bien ou d’un service ;
  3. Le paiement excessif pour des prestations ou fournitures ;
  4. Le renoncement à un revenu (intérêts, loyers, dividendes).

Dans tous ces cas, la société s’expose à une réintégration fiscale dans sa base imposable, sauf si la clause dérogatoire peut être prouvée.


5. Interaction avec la future taxation des plus-values (2026)

L’arrêt d’Anvers prend un relief particulier à la veille de l’entrée en vigueur de la taxe sur les plus-values financières au 1er janvier 2026.

En effet, si une telle taxation s’applique à l’avenir, un achat d’actions sous-évalué pourrait générer ultérieurement une plus-value imposable chez le bénéficiaire, ce qui rendrait la clause dérogatoire applicable.

Exemple :

Une SRL vend en 2025 à son actionnaire des actions cotées pour 100.000 €, dont la valeur réelle est de 120.000 €.

En 2027, celui-ci revend ces actions pour 150.000 €.

Si la plus-value de 50.000 € (150.000 – 100.000) devient imposable à 10 %, la société pourrait, à terme, invoquer que l’avantage initial de 20.000 € a bien été pris en compte dans un revenu imposable, et donc échapper à la taxation initiale de l’AAB.

Mais, tant que cette imposition reste potentielle et non réalisée, elle ne peut fonder la clause dérogatoire.

La société reste donc exposée à une imposition immédiate.


6. Tableau de synthèse

Élément examiné

Position fiscale

Appréciation de la Cour d’appel d’Anvers (16.09.2025)

Vente d’actions à un prix inférieur au marché

Avantage anormal (art. 26 CIR 92)

Confirmé : écart = avantage imposable

Bénéficiaire non dirigeant d’entreprise

Pas d’imposition possible dans son chef

Ne peut invoquer la clause dérogatoire

Gestion du patrimoine privé

Normale

Plus-value future non imposable

Charge de la preuve

À charge de la société cédante

Preuve non rapportée

Application de la clause dérogatoire

Rejetée

Avantage imposable dans le chef de la société

Conséquence fiscale

Réintégration de l’avantage dans le bénéfice imposable

Imposition confirmée


7. Recommandations Deg & Partners

  1. Documentez chaque transaction intragroupe ou entre société et actionnaire : contrats, évaluations, études de valeur indépendante.
  2. Appliquez une logique de pleine concurrence : le prix doit refléter les conditions du marché à la date de la transaction.
  3. Vérifiez la nature du bénéficiaire : si celui-ci est dirigeant ou non, résident ou étranger, la qualification fiscale change.
  4. Ne comptez pas sur une imposition hypothétique : la clause dérogatoire n’est applicable que si l’avantage entre réellement dans le calcul du revenu imposable.
  5. Anticipez la réforme des plus-values : les opérations intragroupe de fin 2025 pourraient avoir des conséquences fiscales croisées à partir de 2026.


8. Conclusion

L’arrêt du 16 septembre 2025 confirme une ligne jurisprudentielle constante :

la vente d’un actif en dessous de sa valeur de marché constitue un avantage anormal imposable, sauf démonstration claire que cet avantage a été ou sera imposé chez le bénéficiaire.

Cette décision invite les sociétés à redoubler de prudence dans leurs transactions avec leurs actionnaires ou entités liées, surtout à l’approche de la taxe sur les plus-values qui pourrait, à terme, modifier la portée de la clause dérogatoire.

Chez Deg & Partners, nous accompagnons nos clients dans la structuration et la documentation de leurs opérations pour prévenir toute requalification d’avantage anormal et optimiser les effets croisés des réformes fiscales à venir.

Ensemble, nous transformons la complexité en clarté.


Références légales et jurisprudentielles

¹ Article 26 CIR 92.
² C. App. Anvers, 16 septembre 2025, rôle n° 2024/AR/276.
³ Article 90, 9°, CIR 92 (gestion normale du patrimoine privé).
⁴ Circulaire administrative n° Ci.RH.421/611.420 (AFER 8/2002) relative aux avantages anormaux ou bénévoles.

Mots clés

Articles recommandés