Les limites des multiples de l'EBITDA dans la valorisation d'entreprise: au-delà de l'approximation paresseuse

​En 2022, selon l’étude M&A Monitor 2023 de la Vlerick Business School en association avec Wallonie Entreprendre, le multiple moyen du prix de cession par rapport à l’EBITDA, tous secteurs d’activité confondus, était de 5 fois pour les deals inférieurs à 1 million d’euros et de 5,1 fois pour ceux entre 1 million d’euros et 5 millions d’euros.

Ce qui est inquiétant, c’est que bon nombre de chefs d’entreprise et leurs conseillers s’appuient sur ces multiples moyens pour estimer la valeur d’une entreprise comme si ces chiffres étaient incontestables, comme s’ils étaient gravés dans le marbre alors qu’ils ne sont qu’indicatifs.

Sur base de mon expérience, ce raccourci peut s’avérer extrêmement coûteux que vous soyez cédant ou repreneur.

Pourquoi cette inquiétude ?

Il est important de garder un esprit critique même si l’approche des multiples est alléchante par sa simplicité enfantine.

Parlons dans un premier temps de cette étude qui est aujourd’hui une référence en Belgique en matière de cession & acquisition d’entreprises.

Force est de constater qu’elle se base exclusivement sur le témoignage d’experts. On parle donc bien d’une étude qualitative avec les biais éventuels qu’elle peut contenir et non d’une étude quantitative fondée sur un référentiel officiel. A sa décharge, le fait qu’elle soit à sa 10ème édition permet de dégager des tendances et atténuer dans une certaine mesure ces biais.

Dans un second temps, analysons de plus près l’EBITDA. De quel EBITDA parle-t-on ? Il s’agit de l’EBITDA historique normalisé, ce qui est paradoxal sachant que le repreneur achète la rentabilité future de l’entreprise et non la rentabilité passée.

De plus, l’EBITDA qui représente la capacité d’auto-financement, ne dit rien des flux de trésorerie libres de l’entreprise. Entre ces deux notions financières, il y a un monde, contrairement à l'EBITDA, les flux de trésorerie libres prennent en compte l’impôt des sociétés, les besoins en fonds de roulement futurs ainsi que les investissements à réaliser.

Qu’en est-il de la fiabilité de l’EBITDA ?

En tant que cédant, vous pouvez décider de l’optimiser en réduisant des dépenses discrétionnaires indispensables à la profitabilité future de l’entreprise tels que les investissements marketing, l’entretien et la réparation du matériel et outillage et le non-remplacement de personnel nécessaire.

Quid des multiples ? Peut-on imaginer un seul instant que deux PME complétement différentes aient le même multiple ? C’est possible oui mais très peu probable.

En effet, 3 éléments fondamentaux déterminent la valeur d’une entreprise : ses flux de trésorerie disponibles, son taux de croissance attendu et son niveau de risque.

Payeriez-vous 5 fois l’EBITDA de 2023, par exemple, pour une entreprise active dans un secteur en plein déclin ? Payeriez-vous 5 fois l’EBITDA de 2023 pour une entreprise qui dépend exclusivement d’une poignée de clients ? Ou encore, payeriez-vous 5 fois l’EBITDA de 2023 pour une entreprise qui dégage un EBITDA insuffisant pour faire face à des investissements impératifs futurs, au remboursement de ses obligations financières et assurer un rendement satisfaisant aux actionnaires ?

Ces quelques questions, dont les réponses sont évidentes, mettent en exergue la faiblesse de l’approche des multiples de l’EBITDA qui selon moi ne peut être utilisée qu’à titre indicatif.

Je terminerai en disant que la méthode des multiples de l’EBITDA exemplifie à souhait le concept connu sous le nom de « marteau de Maslow » qui est un biais cognitif lié à une confiance excessive dans un outil familier.

Le célèbre psychologue américain a formulé cette idée en utilisant la métaphore du marteau et du clou en écrivant « il est tentant lorsque le seul outil dont on dispose est un marteau de tout traiter comme s’il s’agissait d’un clou ».

L’approche que je préconise est clairement celle de l’actualisation des flux de trésorerie libres ou discounted cashflow (cfr. DCF). Elle est beaucoup plus pertinente et précise lorsque maîtrisée mais également beaucoup plus complexe à mettre en œuvre contrairement au raccourci dangereux que représente la méthode des multiples de l’EBITDA.

Vous êtes cédant et si votre société valait 7 fois l'EBITDA au lieu de 5 fois soit 40% de plus ?

Mots clés

Articles recommandés

La FSMA lance un calculateur de coûts pour les produits de pension

Trésorerie d'entreprise : comment l'améliorer?