Échanges d’informations en matière fiscale dans l’UE et secret professionnel des intermédiaires-conseillers fiscaux

La Cour de justice de l’Union européenne et la Cour constitutionnelle recadrent l’obligation de déclaration des dispositifs de planification fiscale transfrontières agressifs (« DAC 6 »)

Des directives européennes, dites « DAC », organisent des échanges d’informations en matière fiscale entre les États membres de l’Union européenne. Les conseillers fiscaux ont dans ce cadre des obligations de déclaration à propos des « dispositifs transfrontières » de planification fiscale auxquels ils prêteraient leur concours et qui répondraient à des « marqueurs d’agressivité ».

La Cour de justice de l’Union européenne et la Cour constitutionnelle de Belgique ont fixé des limites, liées au secret professionnel (notamment des avocats), à ces obligations.

Explications par Denis-Emmanuel Philippe, avocat au barreau de Bruxelles et maître de conférences à l’Université de Liège, et Aymeric Nollet, avocat au barreau de Bruxelles et professeur à l’Université de Liège.

En matière fiscale, un système d’échange automatique d’informations entre États membres de l’Union européenne a été instauré dès 2011 par une directive 2011/16/UE du 15 février 2011 ‘relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal […]’, mieux connue sous sa dénomination et son acronyme anglais, « Directive on Administrative Cooperation – DAC ».

En 2018, une directive appelée alors « DAC 6 » (pour la sixième version consécutive de la DAC) avait introduit dans ce système d’échange d’informations une nouvelle obligation déclarative reposant en première intention – et de façon inédite – sur les épaules des conseillers fiscaux (appelés « intermédiaires »), à propos des montages de planification fiscale internationale (appelés « dispositifs transfrontières ») qui cocheraient certains « marqueurs d’agressivité » et auxquels ils prêteraient leur concours (que ce soit dans la conception ou la mise en œuvre).

D’emblée, la question s’est posée de la compatibilité d’une telle obligation déclarative avec le secret professionnel auquel certains de ces intermédiaires peuvent être tenus.
En Belgique, ces questions se sont traduites dans des recours en annulation introduits devant la Cour constitutionnelle à l’encontre des régimes de transposition de la directive DAC 6 dans les différentes législations fiscales fédérales et régionales.

Ces recours ont dès 2020 et 2021 débouché sur des suspensions de certains aspects de ces régimes et une première question préjudicielle soumise à la Cour de justice de l’Union européenne en lien avec la question du secret professionnel des avocats.

En particulier, l’obligation, prévue par la directive (et reprise dans ces transpositions), pour l’avocat agissant en tant qu’intermédiaire et invoquant son secret professionnel, de notifier à un autre intermédiaire n’étant pas son propre client son obligation de déclaration du dispositif en cause, a été vue par la Cour de justice, dans un arrêt du 8 décembre 2022 (C 694/20), comme une ingérence injustifiée dans le droit au respect de la vie privée, lequel protège notamment le secret professionnel de l’avocat et la confidentialité de l’existence et du contenu de sa consultation.

À la suite de cet arrêt, la Cour constitutionnelle, par plusieurs arrêts du 11 janvier 2024 (nos 1/2024, 2/2024, 3/2024 et 4/2024) est ainsi venue convertir les suspensions antérieurement prononcées en de véritables annulations. Celles-ci portent sur l’obligation de notification susvisée des avocats « intermédiaires » (ayant fait l’objet de l’arrêt de la Cour de justice), ainsi que sur un autre point lié au fait que les intermédiaires tenus au secret professionnel ne pouvaient pas invoquer ce secret pour se dispenser d’une obligation de déclaration périodique que leur assignait en outre la directive pour ce qui concerne les dispositifs dits « commercialisables », c’est-à-dire les montages de planification qui peuvent être proposés sans besoin d’adaptations significatives selon le client.

Entre-temps, le législateur européen est déjà intervenu pour corriger la DAC 6 sur le premier point litigieux, mais il reste encore d’autres questions préjudicielles en suspens devant la Cour de justice, qui avaient été posées par un précédent arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 septembre 2022 relatif au régime de transposition du législateur fédéral.

Certaines de ces questions touchent au cœur même du fonctionnement de l’obligation déclarative DAC 6 en interrogeant la prévisibilité des concepts utilisés (« dispositifs transfrontières », « intermédiaires », etc.) et la largeur des marqueurs d’agressivité définis par la directive pour déterminer son application.

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