Pour combattre les paradis fiscaux, il faut supprimer les enfers fiscaux

Ce qui fait le succès de nos paradis fiscaux, c’est la politique expansionniste des pouvoirs et des moyens de l’État, suivie de manière systématique par des dirigeants politiques clientélistes.

Une fois de plus, une fuite a permis à des journalistes du monde entier de révéler des pratiques fiscales qu’en réalité chacun, et surtout les administrations fiscales, connaissait depuis longtemps. Au passage ils ont jeté l’opprobre sur quelques noms, parfois des hommes publics, souvent des inconnus, présentés sous l’avilissante étiquette de riches.

Les journalistes font leur travail. Ils reçoivent des informations et la transmettent à leurs lecteurs en espérant, souvent à juste titre, que ces révélations pourront les intéresser. La presse est un commerce comme un autre et a besoin de vendre à ses clients. Ce n’est pas son rôle de se demander si ces informations ont été obtenues de manière légale.

La réponse est évidemment qu’elles ne le sont pratiquement jamais, qu’elles arrivent souvent trop opportunément pour que ce soit un hasard, mais qu’en tout cas quelqu’un a commis un délit quelque part. On entend d’ailleurs rarement que de tels voleurs de données soient sanctionnés.

LANCEURS D’ALERTE OU MAÎTRES CHANTEURS ?

Ils sont souvent présentés sous la flatteuse étiquette de lanceurs d’alerte alors que, lorsqu’ils sont identifiés, on constate en général qu’il s’agit simplement de personnes aigries en mal de publicité, ou corrompues, ou préparées au rôle de maître chanteur.

Certes, ceux qui sont dénoncés par la presse ont parfois commis des infractions fiscales. Celles-ci sont des délits et les lois doivent s’appliquer à eux comme aux autres.

Cette fois, les journaux ayant publié des articles issus des « Pandora papers » ont admis que la plupart des situations exposées ne relevaient pas de fraude fiscale, mais simplement du souhait de taire au public l’ampleur de son patrimoine, ou de pratiquer l’optimisation fiscale légale. Mais souvent, ces propos étaient suivis d’une étrange confusion semblant considérer peu important le fait d’avoir enfreint la loi ou non, mais comme très grave l’intention d’avoir voulu payer moins d’impôt.

Le choix licite de l’optimisation fiscale a été fréquemment ramené, non seulement par des journalistes, mais aussi par des politiciens ou des commentateurs, au même niveau que la fraude fiscale, sous prétexte que l’intention d’éviter ou de réduire un impôt était la même dans les deux cas.

L’OPTIMISATION FISCALE N’EST PAS LA FRAUDE

Ici, il faut être clair. Une fraude est commise lorsque la loi fiscale est enfreinte, lorsqu’on fait ce qu’elle interdit, ou lorsqu’on ne déclare pas ce que l’on doit déclarer. En revanche, celui qui se contente de bénéficier de dispositions légales applicables ne commet aucun délit et rien ne peut lui être reproché sur le plan du droit.

Faut-il alors considérer comme immoral le comportement de celui qui entend simplement utiliser les lacunes de la loi ou profiter des avantages qu’elle permet d’obtenir ?

Souvent, le vrai reproche qui lui sera fait est d’être riche. Il faut effectivement se ranger à l’évidence : les riches, qui sont normalement appelés à payer plus d’impôts, essayent plus souvent d’éviter de les payer que ceux qui ne doivent pas en payer du tout. Cela paraît assez logique, tout comme la constatation, qui est un truisme, qu’un riche qui évite l’impôt en évite davantage qu’un pauvre.

Il est tout aussi exact de constater que la fraude est davantage pratiquée dans les pays où l’on taxe plus. D’abord par un effet purement mathématique : les impôts que vous ne payez pas constituent pour vous une économie plus importante si vous risquez d’être taxé à 60 % qu’à 20 %… Et puis la tentation de les éviter est aussi plus forte dans les pays où l’État se montre plus gourmand.

Mais il est difficile d’affirmer qu’une entreprise ou un individu qui s’établit dans un pays plutôt qu’un autre, agit de manière immorale s’il respecte ses obligations. Si je veux vivre aux Antilles, il se peut que je préfère les Bahamas, pays peu taxé et bien géré, que la Guadeloupe au niveau de vie beaucoup plus bas, bénéficiaire de multiples subventions de la métropole, mais où les habitants sont soumis à de très lourds impôts.

Parfois, l’optimisation fiscale consiste simplement à bénéficier de dispositions plus favorables votées par le Parlement. Elles sont donc faites pour cela et on comprend mal pourquoi en bénéficier serait critiquable.

DES ÉTATS TROP PRÉSENTS

Mais revenons à l’essentiel : les paradis fiscaux existent uniquement parce qu’il existe des enfers fiscaux, comme la France et la quasi-totalité des pays de l’Union européenne. C’est bien pour échapper à l’enfer que d’aucuns s’intéressent aux paradis.

Parce que des États qui prélèvent de manière obligatoire et donc sous la contrainte la moitié, ou parfois davantage, ce que tous leurs citoyens parviennent à créer comme richesses, sont bien des enfers. Des enfers qui présentent comme normal le fait d’avoir des dépenses publiques gigantesques, et une clientèle de bénéficiaires des prébendes accordées par les politiciens, qui, un jour, risquent bien de représenter la majorité de la population.

Déjà, çà et là, des politiciens de gauche se frottent les mains lorsqu’ils font le total de ceux qui bénéficient, ou croient bénéficier, de la sécurité sociale étendue et ne voudront plus jamais remettre en cause ce système… Même lorsqu’en réalité celui-ci leur coûte car les cotisations qu’ils paient ou qu’ils ont payées auparavant, dépassent largement les avantages dont ils croient bénéficier.

Le véritable problème posé par les paradis fiscaux, c’est cela : ils existent parce que nos États sont devenus des distributeurs de pains et de jeux, comme l’Empire romain d’Occident, lors de sa décadence, entre les IIIe et le Ve siècle de notre ère. À cette époque-là aussi, la fraude fiscale était durement sanctionnée, car de plus en plus pratiquée. Et même la peine de mort n’était pas dissuasive.

À l’époque, pour échapper à l’impôt tout était bon, parce qu’il était trop lourd : nombreux étaient ceux qui préféraient être esclaves, exonérés d’impôt, plutôt que contribuables libres. Face aux exigences de l’État, le paradis fiscal était l’esclavage.

Ce qui fait le succès de nos paradis fiscaux, sans excuser ceux qui en abusent illégalement, c’est la politique expansionniste des pouvoirs et des moyens de l’État, suivie de manière systématique par des dirigeants politiques clientélistes. Il serait bon de mettre fin aux paradis fiscaux. La bonne méthode pour cela, c’est de se débarrasser des enfers fiscaux.

Article paru sur contrepoints.org : lien vers la publication

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